1990-2010 : archives et écriture(s) du PCF[1]
« Le communisme français fut l’émanation de l’URSS, le
prolongement d’une ambition universelle et prométhéenne, mais aussi
l’expression de l’opposition aux pouvoirs en place, de la révolte sociale, de
certaines tendances de fond de la culture politique française »,
Marc Lazar, Le
communisme : une passion française, Paris, Perrin, (coll. Tempus),
2005, p. 222.
Vingt
ans après l’ouverture des archives des communismes, un point archivistique,
mais aussi historiographique sur les acquis scientifiques, liés pour partie à
ces fonds, semble envisageable. Au début des années 1990, d’aucuns évoquaient
« la révolution archivistique ou le renouveau documentaire
[2]
» appelant également à faire « table
rase
[3]
» du passé historiographique sur le
communisme… La quête d’archives, parfois achetées à prix d’or, fut ainsi
au début de l’ouverture des fonds de l’ex-Union soviétique, un exercice
fortement prisé ; à croire que le secret longtemps gardé par les autorités
soviétiques avait créé une telle frustration que la précipitation et parfois le
mirage des archives, induisait une rechute néopositiviste qui devenait
l’Histoire.
Toutefois, ce temps semble révolu et l’ouverture
concomitante des archives du PCF, déposées depuis aux Archives départementales
de Seine-Saint-Denis a également favorisé un renouveau. Il faut d’emblée saluer
cette initiative importante, celle d’un accès démocratique aux archives, qui
reste assez rare pour les différentes organisations politiques de notre modèle
républicain. Il y a cinq ans, Laird Boswell, historien américain reconnu pour
ses travaux sur le communisme rural en Limousin et Dordogne
[4]
, proposait
un bilan quelque peu désabusé, en posant la question de « l’impasse »
de l’historiographie du communisme français
[5]
.
Si cette historiographie a longtemps été dominée par
des enjeux idéologiques
[6]
– on
évoquait souvent les « historiens communistes », sans pour autant
prendre la peine de qualifier les autres historiens
[7]
–, les
travaux entrepris dans le sillon de « l’école kriegelienne », mais
aussi de l’approche « sociétale et téléologique », puis des cultures
politiques, voire de l’histoire des gauches ont donné lieu à différentes
publications. Une approche par les biographies, mais aussi par l’emboîtement
des jeux d’échelles a pu replacer l’histoire du PCF au cœur des logiques
multiples du Centre (Moscou), de la nation (la culture républicaine), mais
aussi au niveau local, social et individuel.
Quelles
archives pour l’histoire du PCF ?
Les
archives de Moscou
Ces archives ont offert et offrent effectivement des
ressources considérables, mais il s’agit d’un véritable maquis archivistique
[8]
:
archives des anciens partis au pouvoir, archives policières, archives du
ministère des affaires étrangères, archives d’État, archives du Komintern et de
ses organisations de masses. Ces fonds du Komintern sont d’une richesse
exceptionnelle : « cet ensemble
de documents représentait une sorte de gigantesque labyrinthe comprenant sept
millions de pages écrites en plus de quatre-vingt langues, avec des instruments
de recherche prévus pour protéger les informations plutôt que pour aider le
chercheur. Par décision du Comité exécutif du Komintern de l’Union Soviétique,
les archives du Komintern ont été protégées (aussi bien physiquement que
politiquement) jusqu’en août 1991 aux Archives centrales du Parti à l’Institut
du Marxisme-Léninisme (IML) du comité central du PCUS
[9]
». Ce maquis est d’autant plus dense que certaines archives
ne sont pas encore ouvertes comme celles du Kremlin au nom d’une continuité de
l’État (ou sont accessibles de façon parcimonieuse pour quelques nouveaux
dignitaires du régime), voir celles qui ont été refermées sur le Komintern.
Surtout ces archives permettent d’envisager l’histoire
des sections nationales de la IIIe Internationale et pour la
France, celle de la SFIC, puis du PCF. En effet, l’Internationale fondée à
Moscou en mars 1919 par Lénine, puis affirmée lors de son deuxième Congrès en 1920,
est un instrument de contrôle des partis nationaux ; les archives
contiennent alors toute la documentation sur les relations entre le Centre du
monde communiste et ses sections de 1919 à 1943 (date de dissolution de
l’Internationale communiste par Staline). Dès lors, le Parti mondial de la
Révolution a suivi, impulsé et parfois réorienté les activités des sections
nationales. Ce contrôle affirmé par la bolchevisation, puis la stalinisation,
se lit à l’aune d’une documentation très riche, fondée sur la « société du
rapport », selon la belle expression de Nicolas Werth, permettant de
saisir au mieux le rôle de l’Internationale communiste, puis plus tard du
Kominform et du MCI (mouvement communiste international).
Ces
nombreux rapports, manuscrits ou reprographiés, sont facilement accessibles car
il n’y a pas d’obstacles linguistiques ; un même rapport peut être
reproduit en plusieurs langues – les trois langues utilisées au sein
de l’Internationale étaient l’allemand, le russe et le français –. Toutefois,
il a fallu avoir accès aux inventaires.
Après l’effondrement du régime
communiste, ces archives sont devenues la propriété des archives de l’Etat
russe ; dès 1996, un accord a été signé entre le « Rosarkhiv »
et le Conseil International des Archives pour un projet de numérisation des
archives du Komintern. Ce programme conçu par le
Conseil International des Archives, placé sous l’égide du Conseil de l’Europe,
est appelé « Incomka » (abréviation de Commission
internationale de la numérisation des archives du Komintern). Cette opération a consisté à réaliser un programme
de catalogage électronique et de numérisation d’une partie des fonds de
l’Internationale communiste. L’Institut d’Histoire Contemporaine (IHC)
composante de l’UMR CNRS 5605 de l’Université de Bourgogne, en partenariat avec
les Archives de France, a participé au processus en apportant son expertise.
Cette
base de données propose à tout chercheur l’inventaire des fonds (22 000
pages) et plus d’un million de documents numérisés (seulement 5 % du total
des archives du Komintern) ; le système de recherche indexée de cette base
de données est organisé sous différents axes reprenant les noms de
militants ou cadres du Komintern, le dernier axe donnant « huit tables de
mots-clés […] événements officiels (réunions, conférences, congrès), noms
géographiques, publications, organisations, groupes sociaux, statut
(profession, titre), sujets, typologie documentaire
[10]
».
Cette base de données archivistiques est consultable en France aux Archives
nationales et à l’Université de Bourgogne et permet,
comme l’écrit Serge Wolikow, « de travailler sur des séries de documents,
de faire des recherches plus systématiques, plus comparatives. On va pouvoir,
par exemple, observer les processus de décision du Komintern. Cela ne
remplacera pas le voyage sur place, surtout si les documents recherchés ne sont
pas numérisés, mais cela nous accompagnera dans notre préparation. Ce fonds,
disponible au plus grand nombre, permet l’élargissement de la communauté de
chercheurs. C’est éminemment démocratique
[11]
».
Travail
qui a donné lieu à plusieurs colloques consacrés aux rapports entre Archives et
Histoire ; le premier, en 1994, faisait un état de l’ouverture des
archives de Moscou
[12]
, tout en
invitant à prendre en considération les enjeux historiographiques, « le
temps de la vérification » selon les mots justes de Sophie Cœuré.
Le
colloque, Archives des sociétés en
mouvements. Regards croisés : archivistes et chercheurs (octobre
2005), permit de faire un premier bilan de l’exploration de ces archives, tout
en élargissant les perspectives. D’abord, il a souligné les dimensions
historiographiques nouvelles concernant le communisme ; les différents
champs d’investigation, comme celui prépondérant des biographies individuelles
et/ou collectives. En octobre 2007, l’université de Bourgogne associée à la
direction des archives de France a organisé deux journées d’études sur Un siècle de communisme : des
recherches à l’épreuve des archives. Il s’agissait de confronter les
expériences communes à partir de ces fonds. Le dialogue, la coopération entre
archivistes et historiens, a bénéficié de l’apport des archives communistes,
puisqu’il a fallu repérer, inventorier et surtout proposer des inventaires
indexés, constitués dans un partenariat pluridisciplinaire
[13].
Enfin,
les Archives de France et l’Université de Bourgogne ont tenu récemment un colloque
[14]
faisant le
point sur l’apport de ces archives en publiant un guide en français
[15]
fort utile
avant toute plongée ou immersion dans ces fonds documentaires. Les archives du
Komintern offrent ainsi les enjeux du contrôle du centre sur l’une de ses
sections, mais aussi la mise en œuvre des lignes politiques définies par le
centre au sein d’une démocratie occidentale, la République française. La
dialectique entre le centre et la périphérie permet également de comprendre les
logiques d’aller/retour, d’influences réciproques
[16]
;
d’autre part, ces fonds permettent d’appréhender les itinéraires des cadres
français du Komintern, leur « cursus honorum » au sein de
l’institution. Ainsi, l’équipe du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, sous la
direction de Claude Pennetier, a pu récupérer une grande partie des
« biographies et auto-biographies » produites dans le cadre de la
gestion du personnel politique par le Komintern. Ces « bios »,
institution de contrôle par excellence, ont donné lieu à de nombreux travaux,
en particulier à l’élaboration du « dictionnaire des kominterniens »
et sur le « moule » stalinien
[17]
. Elles
associaient en plus des documents du Komintern, les archives de la sûreté
française
[18]
… D’autres
chercheurs ont dépouillé ces fonds pour compléter leur corpus archivistique
afin d’écrire leurs thèses
[19]
. Si les
archives de Moscou ont suscité un engouement certain, les archives du PCF ont
également offert de nouvelles pistes d’études sur le communisme.
Les
archives du PCF
Dans un souci « d’ouverture », Robert Hue,
alors secrétaire général du PCF, a permis, au début des années 1990 – en
élargissant un processus ouvert par Georges Marchais –, d’accéder
aux archives qui étaient entreposées au siège du parti place du colonel Fabien
(auxquelles il faut ajouter les fonds de la bibliothèque marxiste de Paris).
Ces archives sont ouvertes depuis 1993, mais il a fallu attendre 1998, pour une
plus grande médiatisation de cette ouverture : « dans la diversité de
leurs opinions ou de leurs engagements politiques, de leurs relations avec le
PCF, de leurs sensibilités, de leurs projets professionnels, les historiens qui
s’engagent dans des travaux sur l’histoire du PCF trouveront portes ouvertes
pour ses archives
[20]
».
Ces archives ont été ensuite classées « archives historiques » par le
ministère de la Culture en mai 2003, puis quelques mois plus tard, une
convention signée entre le PCF et le Conseil
général de la Seine-Saint-Denis a conduit au dépôt de la totalité de ces fonds
aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis
[21]
.
En 2005, à l’occasion de
l’ouverture des fonds aux Archives départementales de Seine-Saint-Denis,
Marie-George Buffet, Secrétaire générale du PCF, déclarait : « Ayant sacrifié lui-même à une approche officielle et instrumentalisante
de l’histoire, le Parti communiste a désormais renoncé explicitement à toute
pratique arbitraire de rétention ou de communication sélective de documents
d’archives. A l’inverse des rumeurs et prétendues révélations, il s’agit ainsi
de laisser place à la rigueur des travaux et à la transparence des controverses ». Si
le PCF souhaitait donner un caractère solennel à cette ouverture, l’historien
Marc Lazar revenait sur l’enjeu de ces fonds : « Grâce à cet
ensemble, on comprend mieux l’activité du PCF, sa stratégie, ses analyses
politiques, sa vision des autres partis, son travail organisationnel, sa
perception de la société française et l’importance qu’il accordait à
l’idéologie. Parfois aussi on saisit son action internationale, mais il y a
beaucoup de lacunes
[22]
».
Ces fonds se composent des
archives de direction du PCF
[23]
, des archives de fonds personnels (de cadres, dirigeants ou militants)
[24]
et des fonds revenus sous forme de microfilms de Moscou. Les
premiers fonds permettent d’entrer dans le cœur du processus décisionnel, avec
les archives du secrétariat politique, du bureau politique et des comités
centraux. Les comités centraux ont fait l’objet d’une publication spécifique
qui donne leur inventaire précis et leurs apports pour la recherche
scientifique
[25]
. Pour des
études prosopographiques, mais aussi sur les crises et tensions au sein de
l’organisation, les fonds de la Commission
centrale de contrôle politique (CCCP), 1940-1994 [261 J 6/1-23] sont très précieux, tout comme le fonds 261 J 27 (secteur liaison avec les fédérations de 1961
à 1990). Certains fonds sont en cours de classement, en particulier
ceux des activités thématiques du parti ; comme la politique extérieure
« polex » ou encore la section agraire, parmi bien d’autres, ce sont
les « lacunes », qu’évoquait à juste titre Marc Lazar, auxquelles il
ajoutait les archives financières du parti, celles des comptes du parti et des
aides venues de Moscou.
Ces archives papiers sont également complétées par des
archives sonores : enregistrements des comités centraux, qui invitent à
penser une histoire plus singulière celle des registres d’expression, voire des
accents, donnant un supplément d’âme, mais aussi une grille de lecture sur les
logiques sociales du recrutement des cadres. Une sociologie et une
anthropologie des acteurs du PCF semblent dorénavant envisageables, dans
l’esprit des travaux de Michel Hastings
[26]
. Les
archives du journal L’Humanité complètent
également ces fonds (en particulier pour toute l’iconographie et les
photographies de presse).
Enfin, l’association Ciné-Archives, basée au siège du
PCF, place du colonel Fabien, propose des fonds remarquables sur un outil de
propagande et de formation du vingtième siècle, inscrit dans la culture de
« l’agit-prop », le cinéma. A ces fonds d’images, on pourrait ajouter
les fonds documentaires d’affiches qui ont donné lieu à des travaux importants
[27]
.
D’autres
fonds classiques à ne pas négliger
Cela n’enlève rien au recours traditionnel aux
archives publiques. Les archives nationales, les archives départementales et
les archives municipales restent aussi des lieux importants. Tant pour la
surveillance d’une organisation politique jugée dangereuse par l’Etat, que pour
de nouveaux fonds qui ont pu y être déposés.
En premier lieu, les archives Thorez qui ont été
versées par la famille en 2002 aux Archives nationales
[28]
, puis pour
la documentation secondaire aux Archives municipales d’Ivry
[29]
. Mathilde
Regnaud, dans le cadre de sa thèse de l’école des Chartes
[30]
, a offert
un premier outil pour consulter une partie de ces fonds, regroupant 450
cartons, 60 mètres linéaires. Le fonds du dirigeant historique du PCF, qui a
façonné le parti des années 1930 aux années 1960 – « le cadre
thorézien », pour reprendre la belle formule de Bernard Pudal
[31]
– est
dorénavant un passage obligatoire pour mesurer les logiques de décision du PCF,
en complément des archives déposées à Bobigny. Toutefois, les archives
nationales disposent aussi d’autres fonds privés importants pour l’histoire du
PCF, comme ceux de Marcel Cachin
[32]
, d’Henri
Rol-Tanguy
[33]
ou bien
encore de Charles Fiterman
[34].
Là
encore, il ne faut pas omettre les fonds classiques de la surveillance des
partis politiques par l’appareil d’Etat ; les fonds du Ministère de
l’Intérieur, des Préfets et sous-préfets, de la police ou des renseignements
généraux complètent utilement les archives spécifiques du PCF
[35]
. D’autant
que certaines saisies peuvent donner des dossiers importants en particulier
lors de la Seconde Guerre mondiale, où la politique de collaboration de l’Etat
français avec l’occupant allemand a renforcé au maximum les filatures des
« terroristes ». Les brigades spéciales ont su repérer les lieux de
rencontres, les personnages de la Résistance communiste, en particulier des
FTP-MOI, et ont méticuleusement reporté sur des fiches centralisées ces
renseignements, tout comme les documents saisis lors des arrestations
[36].
Toutefois, la remarque récente du spécialiste reconnu
de l’histoire de la police, Jean-Marc Berlière laisse perplexe : « comment écrire sur le parti
communiste clandestin des années de guerre sans exploiter les archives
policières qui complètent ou contredisent les archives conservées par le PCF
récemment versées aux AD de Seine-Saint-Denis, mais hélas largement expurgées,
en particulier au début des années 1990 ?
[37]
». Si nous partageons
entièrement la première partie de la formulation, nous avons
quelques doutes sur la deuxième partie. Quelles sont les preuves apportées par
l’historien ?
Il serait alors utile de se demander sur quelles bases reposent ses
allégations : qu’est-ce qui a été trié, expurgé ? L’historien en dit
trop ou alors pas assez…
A contrario, les
archives de police ou de la sûreté (direction de la sûreté du territoire,
intégrée depuis peu à la direction centrale du renseignement intérieur) ont pu
également être expurgées. Tel est le constat qu’a pu faire l’historien Michel
Pigenet
[38]
, pour la
fameuse « affaire des pigeons », lorsqu’au cœur de la guerre froide
Jacques Duclos est arrêté et que plusieurs bureaux du Parti communiste français
sont perquisitionnés à Paris et en province. Aucune trace des documents saisis
et Michel Pigenet de déclarer : « je
n’ai rien trouvé du côté des archives publiques, sauf quelques éléments
secondaires sur la distribution de tracts […]. Certains documents ont beaucoup
circulé. Ils dorment peut-être aujourd’hui à la DST. Dans ce cas, impossible
pour les historiens d’y avoir accès […]. Lorsque Jacques Duclos a été arrêté,
il était en possession d’un carnet où il notait toutes ses interventions […].
Cette pièce importante lui a été confisquée. De larges extraits ont ensuite été
publiés dans la presse et dans un ouvrage. Mais le carnet, lui, a disparu. Il
paraît que le préfet Jean Baylot en avait pris possession et s’en vantait
devant ses proches
[39]
...».
Les archives départementales offrent également des
fonds fort utiles, possédant de nombreuses affiches sur la SFIC et le PCF
[40]
,
regorgeant de tracts. Viennent s’ajouter depuis peu, des fonds provenant des
fédérations communistes, suivant ainsi les recommandations faites par Frédéric
Genevée, responsable de la commission archives du PCF, afin de verser les
archives fédérales aux archives départementales. Aux Archives départementales
du Doubs, le chercheur peut consulter les fonds des deux fédérations
communistes, relatant la scission du début des années 1980
[41]
; la
fédération du Val-de-Marne a déposé ses archives en 2005
[42]
, celle du
Nord en 2006 au Centre des archives du monde du travail à Roubaix. Cette
« histoire par en bas » touche ainsi de nombreux départements.
Mais à côté des institutions publiques, il ne faut pas
oublier les fonds déposés dans des institutions de recherches, des musées ou
des associations
[43]
. L’IHTP
possède les archives de Jean Pronteau, ancien responsable de la section
économique du Comité central de 1951 à 1961, et dispose également des archives
de Joë Nordmann, avocat communiste
[44]
;de
son côté, le Centre d’histoire de l’IEP de Paris détient le fonds Charles
Tillon (1897-1993), ancien dirigeant des FTP, ministre à la Libération, exclu
en 1952
[45]
. Le Musée
d’histoire vivante à Montreuil, créé à l’époque du Front populaire, sauvegarde
les fonds de Jacques Duclos
[46]
et de
nombreux documents, tout comme le Musée de la Résistance nationale à Champigny
[47]
. Enfin,
l’Institut national de l’audiovisuel met à disposition des chercheurs des fonds
impressionnants, tant sur les campagnes électorales, les élections que sur les
émissions politiques ou sur la fête de l’Humanité
[48].
Dans cet inventaire à la Prévert, il ne faut pas
oublier non plus que certains fonds sont éclatés, dispersés un peu partout,
comme les archives d’André Marty, un des dirigeants majeurs du PCF, de
l’Internationale communiste jusqu’à son exclusion en 1952. Il a fallu toute
l’énergie d’archivistes et d’historiens pour reconstituer le puzzle de ces
archives
[49]
.
Quels
résultats historiographiques ?
Les
premiers travaux historiques publiés à partir d’un dépouillement de ces sources
ont confirmé les hypothèses anciennes et leurs conclusions. Il n’y a pas eu de « révolution
historiographique » : il s’agissait du « temps de la
vérification » (selon l’expression de l’historienne Sophie Cœuré). Cependant, l’ouverture des
archives a également donné lieu à différentes entreprises de
« révélation » ou de sortie de l’ombre ; ainsi, la biographie
d’un émissaire du Komintern trop longtemps oublié, Eugène Fried a permis de
comprendre le poids de Moscou sur le PCF
[50]
.
Avec
l’effondrement du communisme et des dictatures en Europe de l’Est, la quête de
sensationnel, voire de scoops, a réveillé un genre historique particulier,
celui d’une vision policière de l’histoire, voire d’une histoire où les
historiens se transforment en juges. Ces règlements de compte s’évertuent à
présenter Jean Moulin, Pierre Cot et Pierre Meunier comme des agents
soviétiques. Leur philo-communisme ou leur engagement comme compagnons de route
ne sont perçus que sous l’angle d’hommes sous influence, au pire manipulés par
Moscou
[51]
.
Thierry Wolton s’emploie à démontrer que Jean Moulin était un agent
soviétique ; Gérard Chauvy, quant à lui, accumule des soupçons propres à
suggérer que Raymond Aubrac aurait pu être un agent double, retourné par la
Gestapo lyonnaise ! Toutefois, le genre biographique n’offre pas seulement
de telles dérives, un renouvellement de l’histoire singulière, en particulier
des dirigeants du parti communiste
[52]
, mais aussi collective enrichit alors
l’histoire du PCF
[53].
Des points précis, liés à la conjoncture et aux
changements d’orientation de l’IC et du PCF, (ou à l’époque du Kominform, puis
du Mouvement communiste international) ont fait ainsi l’objet d’un nouveau
traitement ; retenons entre autres les travaux sur l’année 1940
[54]
, sur les
bataillons de la jeunesse
[55]
, ou
l’année 1956
[56]
. La
publication de sources
[57]
, munies
d’un appareil critique
[58]
, a
également participé à ce renouveau, tout comme les séminaires pluriannuels.
[59]
. Peut-être
faudrait-il envisager une comparaison avec d’autres PC, comme Marc Lazar
l’avait proposé avec le PCI
[60]
, afin de
mesurer les logiques unificatrices du modèle, mais aussi les spécificités
nationales, en particulier au cours de la période stalinienne ?
L’historiographie,
longtemps clivée par les combats idéologiques et politiques
[61]
, mais
aussi dominée par la pénurie documentaire, était restée majoritairement centrée
sur le factuel et l'événementiel, laissant aux sciences politiques le champ de
la réflexion théorique. Grâce à l’élargissement des sources documentaires, on a
assisté à la diversification et la multiplication des recherches mettent à
l’ordre du jour un effort scientifique structuré autour de qustions
transversales envisagées sur une durée séculaire.
Ainsi, plusieurs écoles historiographiques ont
réveillé d’anciennes failles, tout en déplaçant quelque peu la focale. Si la
lecture téléologique et sociétale continue de guider les recherches, une partie
de ses promoteurs, dans la lignée de Stéphane Courtois a préféré orienter ses
travaux sous l’angle d’un projet criminogène (Livre Noir du communisme
[62]
).Ce courant historiographique souligne un enjeu important lié à
la violence de guerre et à la brutalisation des sociétés
[63]
, caractérisant pour partie la culture
politique des communismes
[64]
, mais n’en donne pas toutes les
dimensions
[65]
, même si Michel Hastings, dans sa
contribution pose une question fondamentale qui remet en cause cette vision
essentialiste : est-on
si sûr que tout est communiste dans le communisme ?
[66]
».
En ce sens, il est
utile d’évoquer le poids du « centre », le Komintern ou
Internationale communiste
[67]
, mais aussi des périphéries (les
Etats-Nations, leurs sociétés et leurs institutions, les partis nationaux)
permettant d’envisager aussi le pluriel des communismes
[68],
tout en regardant à une échelle
plus fine, celle des villes, des villages et parfois des quartiers (« la
banlieue rouge »). Ainsi la sociologie des acteurs, l’approche par les
terrains spécifiques permet de comprendre l’énigme de l’implantation
[69]
.
Renouvelant le genre, Julian Mischi
[70]
propose
dans un essai stimulant, tiré de sa thèse de science politique, un ouvrage qui
invite à comprendre les formes de politisations populaires, via le PCF, en portant un regard
particulier sur différentes régions sur un temps long. Cette association entre
histoire et science politique offre une analyse réussie sur les logiques
sociales, les lignes politiques tout en abordant la question du déclin du PCF
et de la dépolitisation… Dans
cette lignée du rapport à la société française, Roger Martelli vient d’offrir
un travail stimulant
[71]
, avec une
précision sans précédent, grâce à une découverte importante dans les fonds du PCF,
les petits carnets du secrétariat à l’organisation qui permettent enfin de
connaître les vrais chiffres des adhérents
[72]
; il
revisite ainsi les travaux anciens de l’école kriegelienne sur les effectifs du
PCF
[73]
,
confirmant la rigueur scientifique de ces premières recherches. L’auteur
souligne également les grands moments de rencontre entre le communisme et la
société française, mais aussi les logiques du déclin historique du parti qui
aux dernières élections présidentielles a recueilli 1,9 % des suffrages
exprimés (1,6 % des inscrits). Si le Front populaire et la Libération ont
fait l’objet de nombreux travaux, son approche de l’embellie du programme
commun, mais aussi de ses contradictions, éclaire largement les flux et reflux
de militants
[74]
. Le rôle
et l’enjeu des intellectuels du parti qui se voulait, aux lendemains de la
Libération, le « parti de l’intelligence » ont également été revisités,
tant dans une vision nationale
[75]
que
comparative
[76].
D’autres
travaux sur les vecteurs du communisme ont aussi vu le jour grâce à l’ouverture
des archives ; Alexandre Courban, travaillant sur la presse communiste,
non seulement comme un acteur de propagande et de cohésion du groupe, mais
comme une véritable entreprise, permet ainsi de cerner au mieux la famille
communiste
[77]
, tout
comme Marie-Cécile Bouju qui a exploré les maisons d’éditions du PCF
[78]
.
Cette
revisite de travaux anciens, concerne également les origines du PCF. Romain
Ducoulombier, dans un ouvrage important
[79]
, qui
s’inscrit dans le traumatisme de la mort de Jean Jaurès et de l’impact de la Grande
Guerre, en particulier grâce au poids
des instituteurs, souligne bien les racines du PCF, qui dépassent la seule
« greffe bolchevique », permettant l’émergence d’un « parti de type
nouveau ».
Le
paradigme totalitaire
[80]
a sans
doute joué, mais il semble quelque peu réducteur et invite à prendre en
considération la nationalisation du phénomène communiste (le
« national-thorézisme » évoqué autrefois par Annie Kriegel). Ainsi,
la micro-histoire, ou « l’envers de l’histoire
[81]
»,
selon la belle formule de Pierre Birnbaum, permet de saisir au mieux la
complexité d’un phénomène politique souvent réduit à une histoire monolithique,
voire monocausale. Cet emboîtement des échelles invite à appréhender une
« histoire totale » du communisme, empruntant également aux enjeux de
mémoire(s)
[82]
.
Bernard
Pudal invite à penser le communisme comme une foi, une croyance et une pratique « il s’agit moins pour nous
de proposer une histoire du PCF que de mettre en œuvre un cadre analytique
socio-historique susceptible de rendre compte des logiques qui président à son
involution
[83]
».
L’auteur analyse le même phénomène que Roger Martelli, celui du déclin du PCF,
tout en proposant une autre grille de lecture fondée sur les ressorts de la matrice ecclésiale. Dans sa synthèse sur
l’historiographie du communisme, on suit avec intérêt le découpage
chronologique proposé, la démarche qui invite à intégrer le « micro et le
macro
[84]
», mais « le caractère
biocratique » de ces mondes communistes, semble quelque peu occulter
d’autres approches possibles…
Conclure
Cette
variété vient facilement contredire la vision d’une histoire dans une
« impasse ». Les différents sujets de thèses, tant en France
[85]
, qu’à l’étranger, soulignent la vitalité des
recherches sur le PCF
[86]
. Il est vrai que l’entité « PCF »
est à la fois comprise dans l’histoire des communismes, des gauches mondiales,
mais aussi des comparaisons internationales entre les partis communistes.
Au-delà des prises de
position, il est certain que « l’écriture de l’histoire comme savoir
critique et scientifique suppose une appropriation des archives, convoquées et
interrogées, mais elle implique également un dialogue dans la mesure où ces
archives obéissent à des logiques et des ruses qui ne les rendent pas
évidentes
[87]
».
Ainsi l’histoire n’est pas l’unique compilation des archives, qui ne serait
qu’une démarche d’accumulation primitive des documents, dans un souci exhaustif
et positiviste, mais dépend de questionnements, de problématiques qui guident
la démarche scientifique.
Si
une approche multiscalaire est nécessaire, il faut également considérer les
différentes séquences historiques qui jalonnent l’histoire du communisme. La
dialectique de la longue durée et des événements doit être pensée pour saisir
l’ampleur d’un phénomène historique majeure du XXe siècle. Il s’agit
de penser les passages, les croisements, les transferts culturels, mais aussi
les résistances à l’homogénéisation, l’ancrage dans des contextes nationaux
spécifiques : les moments de fortes cohérences comme ceux d’émiettements. Il
s’agit de penser l’entité communiste, sa dimension internationale et générale
comme sa différenciation en sections nationales et mouvements dits de masse.
Dès lors, il s’agit d’une histoire parfois éclatée
et/ou élargie grâce à des enjeux comparatifs… S’il y a une grande dispersion des fonds, il y a également une
pluralité de travaux sur le PCF. Sans vouloir gommer ces
différences, il semble utile de plaider pour la mise en place sous l’égide des
Archives nationales, d’un inventaire exhaustif des ressources disponibles pour
l’histoire du PCF, et plus largement des communismes, sous forme d’un guide,
voire d’un portail…
Jean Vigreux
Université de Franche Comté
LSH EA 2273