Françoise Hiraux [éd.], Les archives audiovisuelles. Politiques et
pratiques dans la société de l’information, Louvain-la-Neuve, Academia
Bruylant, 2009, 251 p.
L’Université
catholique de Louvain organise depuis quelques années un colloque annuel
consacré aux archives. Celui de mars 2008 consacré aux archives audiovisuelles
est ainsi rapidement venu à publication pour livrer un bilan des pratiques et
des solutions dans le monde francophone face à ce véritable défi archivistique
et patrimonial.
Le
défi est d’abord définitionnel, car on peine à définir l’audiovisuel : ces
archives, apparues postérieurement à l’écrit, regroupent à la fois des films,
des cassettes, des jeux vidéo, des CD et des DVD. On voit immédiatement qu’on
privilégie le support plutôt que le contenu, tant la diversité prévaut.
Surtout, c’est une particularité de ces archives que de ne pouvoir être
« lues » sans instrument adéquat. Cette condition matérielle pose
d’ailleurs de redoutables problèmes de conservation, dans la mesure où elle
rend les centres tributaires de logiques industrielles : qui se soucie
encore de produire des magnétoscopes et pour combien de temps encore ?
Tout
l’intérêt du colloque est précisément de ne pas se focaliser exclusivement sur
ces questions matérielles et techniques, aussi cruciales soient-elles, et de
construire un plaidoyer argumenté en faveur d’un traitement archivistique
classique, quoique renouvelé. Aussi est-ce par la déclinaison classique des
opérations des archivistes que l’on peut aborder l’ensemble des communications
de cet ouvrage.
Le
recueil de ces archives est la première de ces opérations, qui fait déjà
envisager la multiplicité des situations des centres : quand certains
centres bénéficient du dépôt légal, comme la BNF en France, la plupart des
institutions se voient contraintes de gérer des archives audiovisuelles, alors
que les personnels ont le plus souvent été formés quasi-exclusivement à gérer
de l’écrit, avec les budgets modestes, voire dérisoires, qui vont avec. De
fait, pour les centres, les archives audiovisuelles constituent un défi à la
fois technique, humain et financier. D’où l’incongruité qu’il peut y avoir à
construire des archives audiovisuelles, notamment en filmant des entretiens de
carrière, qu’il s’agit ensuite de conserver… Et pourtant, nos sociétés
produisent un volume exponentiel d’archives audiovisuelles.
La
préservation, afin d’assurer la transmission future, constitue par conséquent
la mission la plus redoutable pour les centres d’archives. La conservation des
archives audiovisuelles nécessite en effet des conditions matérielles,
notamment de température et d’hygrométrie, particulièrement sévères (p. 83 par
exemple) que peu de centres peuvent offrir. C’est pourquoi, la question de la
sauvegarde revient comme un leitmotiv dans les communications. Le plus souvent,
il n’y a guère (ou pas encore) de préservation en amont à la manière d’un records management, et les archivistes
interviennent – ou sont sollicité(e)s – pour sauver ce qui peut
– et doit – l’être encore : films anciens de l’Afrique
coloniale belge, ou productions radiophoniques contemporaines de Suisse ou du
Burkina Fasso, etc. C’est sur cette question de la préservation que les
communications sont les plus nombreuses et les plus intéressantes, car elles
interrogent les solutions et plaident pour un traitement raisonné.
La
numérisation à cet égard semble à la fois le moyen idoine d’assurer la
transmission, mais aussi la source d’interrogations. Outre son coût, elle
suppose surtout d’opérer des migrations régulières en raison de l’obsolescence
rapide des formats, si possible en utilisant des logiciels libres : par
là, elle résout un problème… en en posant de nouveaux, et qui demeureront. En
outre, elle oblige à interroger la question de l’original et des copies, des
versions de consultations de celles de conservations… Une bonne gestion de la
numérisation pose ainsi de redoutables problèmes qu’un centre habituel
d’archives ne peut guère affronter. C’est pourquoi, plusieurs communications montrent
l’importance des coopérations. Quand la BNF affronte presque seule ces défis,
les centres helvétiques se sont fédérés pour créer Memoriav à partir de 1995,
afin de sauvegarder la mémoire audiovisuelle suisse, tandis que l’Agence de
l’Eau Adour-Garonne sollicite la Cinémathèque de Toulouse. De fait, les
communications plaident pour un usage raisonné des coopérations. D’autant que
numériser ne sert à rien, si ces archives ne bénéficient pas d’un traitement
documentaire adéquat, et notamment d’une identification parfaite, voire d’une
bonne indexation, afin de pouvoir être valorisées.
Car
la valorisation devient indispensable, notamment en raison des coûts de la
sauvegarde. Valoriser ne signifie pas nécessairement vendre, mais utiliser
activement, inscrire ces archives dans un patrimoine actif et vivant. A cet
égard, les portails internet offrent des ressources suggestives, surtout, on y
revient, s’ils constituent l’aboutissement de coopérations : c’est le cas
de la plate-forme mémoire-orale.be qui rassemble une partie du patrimoine
audiovisuel de la Belgique francophone, ou du site Mémoire orale de l’industrie
et des réseaux, qui présente les mémoires industrielles de l’aluminium, du
chemin de fer et de l’électricité en France.
Au
final, les archives audiovisuelles apparaissent bien comme un défi. Mais elles
constituent peut-être également une chance pour surmonter l’éparpillement,
voire la balkanisation, des centres d’archives. En favorisant les coopérations,
elles pourraient bien œuvrer pour le maintien d’un réseau archivistique, que
les politiques publiques, en France au moins, négligent dans le meilleur des
cas.
Xavier Vigna
Université de Bourgogne
Centre Georges Chevrier
Pour citer cet article
:
Xavier Vigna, « Françoise Hiraux [éd.], Les archives audiovisuelles. Politiques et
pratiques dans la société de l’information» in Historiographie & archivistique. Ecriture et méthodes de l'histoire à l'aune de la mise en archives, sous la direction de Philippe Poirrier et Julie Lauvernier, Territoires contemporains, nouvelle série - 2 - mis en ligne le 12 janvier 2011.
URL : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/historiographie/CR_X_Vigna.htm
Auteur : Xavier Vigna
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