Les archives.
Patrimoine et richesse de l’entreprise. La Gazette des archives, n° 213, année 2009-1
La Gazette des archives a pris l’heureuse initiative de publier les
actes du colloque « Les archives, patrimoine et richesse de
l’entreprise », organisé les 5 et 6 juin 2008 par l’Association des
archivistes français et l’Institut national du patrimoine. Alternant
communications et débats entre archivistes publics, dirigeants d’entreprise,
responsables de services d’archives privés ou d’associations d’histoire
d’entreprises, le colloque a fait le point avec précision sur la situation des
archives d’entreprises en France, s’interrogeant à la fois sur les fonctions
assignées par les entreprises à leurs archives, la politique de conservation et
le rôle des associations et comités d’histoire d’entreprises (ou de secteurs
d’activité). L’intérêt du colloque vient d’abord de la qualité des participants
qui nous livrent des réflexions tirées de leur pratique. D’où une gerbe
d’informations précieuses et d’analyses stimulantes.
Un premier pan de réflexions concerne les
fonctions des archives pour les entreprises. Si de plus en plus d’entreprises
sont conscientes de la nécessité de sauvegarder leurs archives et s’en préoccupent
effectivement, c’est parce qu’elles ont compris que leur conservation permet
d’assurer quatre fonctions, bien définies par Henri Zuber (archives de la
SNCF) : de preuve, de mémorisation opérationnelle, de positionnement
stratégique, et patrimoniale. La fonction de preuve n’est pas nouvelle, mais,
ainsi que le souligne Maurice Hamon (Saint-Gobain), elle revêt aujourd’hui une
importance croissante, les responsabilités de l’entreprise en matière de santé
et d’environnement n’ayant jamais été aussi grandes. Mais la demande sociale
s’étend également à des questions plus sensibles encore comme les spoliations
antisémites pendant l’Occupation : s’appuyant sur les travaux de la
commission Mattéoli, Roger Nougaret (archives du Crédit agricole) montre comment
les archives bancaires (complétées par celles de la Caisse des dépôts et des
Affaires étrangères) ont permis de reconstituer les circuits de spoliation, de
prendre la mesure du phénomène, de suivre la chronologie des restitutions et de
faire valoir les droits des spoliés. Par ailleurs, les dirigeants d’entreprise
ont compris que les archives peuvent apporter une aide à la décision en
éclairant l’évolution de l’environnement de l’entreprise et les choix
stratégiques de sa direction. Enfin, dans une période de patrimonialisation
tout azimut, les archives sont « un levier de transmission et de
témoignage » (Rémi Feredj, RATP) : à la RATP comme aux AFG (Catherine
Berton), leur valorisation a permis la commémoration des temps forts de
l’histoire de l’entreprise.
Le second pan concerne la politique de
conservation, tant des archives publiques que des entreprises elles-mêmes.
Françoise Bosman (Archives nationales du monde du travail, Roubaix) retrace
avec précision le processus par lequel, après la Seconde Guerre mondiale,
l’Etat a pris en main la constitution, la gestion et la communication des
archives économiques et sociales du monde contemporain. Elle distingue deux
grandes étapes. En 1949, alors qu’il s’agit de rattraper le retard que la
France a sur les autres pays industrialisés, les archivistes ne s’étant pas
davantage que les universitaires intéressés à l’histoire de l’entreprise et à
ses sources, la décision de Charles Braibant, directeur des Archives de France,
de créer une Section des Archives économiques, une Section des Archives privées
et un Service du Microfilm, marque le coup d’envoi de cette politique
ambitieuse. Le Service des Archives économiques (dont le premier directeur est
Bertrand Gilles) réussit à convaincre des patrons de confier les archives de
leurs entreprises aux Archives nationales et, en trente ans, collecte des fonds
importants (banque Rothschild, Cie du canal de Suez, compagnies de chemin de
fer, etc.). Après 1980, il s’agit de répondre à une demande croissante et
diversifiée qui ne se limite pas aux seuls universitaires et de poursuivre la
collecte des fonds, en l’élargissant à l’ensemble du monde du travail. La
création du centre de Roubaix (sur lequel on lira avec profit l’ouvrage
collectif coordonné par F. Bosman, Usine à mémoire, les Archives nationales du monde
du travail, Le Cherche-Midi Editeur, 2008) a été l’instrument de cet
élargissement. Les archives publiques, tant au niveau national que
départemental, ont, en direction des entreprises, une mission complexe
d’information et de conseil, voire de rappel des règles. Mais les opérations de
fusion-acquisition, l’internationalisation des firmes ou les privatisations
rendent leur rôle sans doute plus complexe que par le passé. En particulier,
les Archives nationales doivent être attentives aux changements de propriétaire
— la Seita devenue Altadis puis Philip Morris — et de statut
(réalisé ou en cours) — EDF ou Air France — afin de suivre le
devenir des archives des entreprises (Martine de Boisdeffre, Archives de
France).
De leur côté, les entreprises n’ont pas
attendu les archivistes pour s’occuper de leurs archives comme le savent bien
tous les chercheurs qui les ont utilisées, mais, pendant les années 1990, elles
ont été de plus en plus nombreuses à faire appel à des archivistes pour les
gérer et à créer des services d’archives. Cependant, cette embellie ne doit pas
faire illusion : comme le montre le cas de Solvay (Jacques Lévy-Morelle),
il n’y a pas toujours de politique clairement définie de conservation et,
aujourd’hui encore, seuls sept groupes du CAC 40 ont un service d’archives
constitué. De plus, les services d’archives ne recrutent pas assez de jeunes
diplômés, d’ailleurs trop souvent sur des emplois précaires, préférant recycler
des cadres d’entreprise. Par ailleurs, il règne un certain flou institutionnel —
certains services sont rattachés à la direction de la Communication, quand
d’autres le sont à celle du Patrimoine —, mais l’essentiel reste la
gestion des « archives vivantes » qui demeure très décentralisée et
souvent sans règles bien précises alors qu’on sait bien que, dans l’entreprise
comme ailleurs, la valeur des archives historiques dépend de la qualité du
pré-archivage. Il reste, comme l’a montré la destruction récente d’une partie
des archives rassemblées par la BNP, que l’existence d’un service spécialisé
n’est pas une garantie suffisante pour leur conservation. Il y faut aussi la
conscience d’une responsabilité patrimoniale et historique et une volonté
politique affirmée que, aujourd’hui, on trouve heureusement à la tête du groupe
BNP Paribas. On ne peut donc que se réjouir de la décision de PSA de créer à
Hérimoncourt (Doubs) un centre chargé de traiter les archives historiques du
groupe (Daniel Colas, PSA). Aujourd’hui, les archives d’entreprises sont confrontées
à deux nouveaux défis : la conservation des archives audiovisuelles qui
suppose la volonté de les montrer et la numérisation (François Labadens,
Patrimoine et Mémoire d’entreprises).
Enfin, troisième volet, le rôle si important
des associations et comités d’histoire que l’on connaît bien grâce au Guide des comités
d’histoire et services historiques édité par Florence Descamps en 2002.
Marie-Noëlle Polino (AHICF) en dresse un portrait de groupe très éclairant.
Leur statut varie — du service administratif de l’entreprise à
l’association indépendante —, mais tous s’enracinent dans un milieu
professionnel. Leur évolution suit de près la recomposition des entreprises qui
les soutiennent : c’est ainsi, par exemple, que l’Association pour
l’histoire de l’électricité a été dissoute en 2000 et que ses activités ont
rejoint la Fondation EDF-Diversiterre, tandis qu’EDF devenait en 2005 une
société de droit privé. Ces associations se sont peu à peu professionnalisées
et se sont placées dans une relation de prestataire par rapport à leurs
mécènes. Leurs fonctions sont diverses : conseil aux entreprises en
matière de conservation d’archives, collecte de fonds, voire création de fonds,
notamment de témoignages oraux et d’autobiographies. Yvon Kharaba (académie François
Bourdon) décrit bien l’action originale d’une association emblématique :
l’académie François Bourdon. Si Schneider a bien créé un service d’archives en
1913, leur gestion s’est faite à minima. La création de l’académie en 1985 est
la conséquence de la liquidation de Creusot-Loire, un groupe d’anciens cadres
se préoccupant alors de la conservation des archives. Aujourd’hui, l’ensemble
des fonds historiques représente 6,5 km de dossiers, 420 000 clichés
photographiques, 150 000 plans et 40 000 ouvrages techniques.
L’académie s’est développée grâce à un partenariat étroit avec Schneider
Electric et offre aux entreprises des prestations d’archivage, certains de ses
clients étant devenu des mécènes. Au total un « système mixte »
original puisque l’académie est à la fois un centre de conservation des
archives historiques de Schneider et un prestataire de services en direction
des entreprises. C’est ce qui lui permet de vivre à moindre frais. En tout cas,
un modèle qui mériterait d’être imité.
Pour finir, on me permettra un regret. En
refermant ce petit volume qui fait bien comprendre que l’archivage est devenu,
pour les entreprises, une fonction stratégique, le lecteur ne peut que déplorer
que le colloque ne se soit pas interrogé sur la place de l’historien des entreprises
dans cette nouvelle configuration. Il y avait pourtant beaucoup à dire.
Jean-Claude Daumas
Université de
Franche-Comté
Institut universitaire de France
Pour citer cet article
:
Jean-Claude Daumas, « Les archives. Patrimoine et richesse de l'entreprise » in Historiographie & archivistique. Ecriture et méthodes de l'histoire à l'aune de la mise en archives, sous la direction de Philippe Poirrier et Julie Lauvernier, Territoires contemporains, nouvelle série - 2 - mis en ligne le 12 janvier 2011.
URL : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/historiographie/CR_JC_Daumas.htm
Auteur : Jean-Claude Daumas
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