Les relations entre sport et politique font
l’objet d’appréciations contradictoires. D’un côté, la plupart des acteurs du
monde sportif – dirigeants, pratiquants, éducateurs ou journalistes –
croient en un sport par essence apolitique. Ils ne voient dans les grandes
confrontations internationales qu’un moment privilégié de fraternisation entre
les nations, fussent-elles ennemies. Ils interprètent l’intervention de l’Etat
ou des municipalités en termes de reconnaissance par les pouvoirs publics de
l’importance qu’il convient d’accorder à la pratique sportive. Et lorsque le
politique se fait trop pressant pour être ignoré, ils dénoncent et condamnent
ce qu’ils considèrent comme un détournement ou une perversion. De leur point de
vue, le sport doit être gardé de toute ingérence politique, il n’a rien à faire
ni à voir avec les luttes idéologiques nationales ou internationales. Comme le
souligne Jacques Defrance
[1]
,
cette politique de l’apolitisme vise à préserver l’autonomie du champ sportif.
En revanche, pour l’immense majorité des historiens et des
sociologues soucieux de comprendre le phénomène sportif, nombreuses et variées
sont les manifestations du politique dans le sport. La plus évidente est la
politisation croissante des rencontres internationales. La responsabilité en
est classiquement attribuée aux régimes totalitaires : à l’Italie
fasciste, considérée comme pays précurseur en matière de propagande
nationaliste par le sport
[2]
;
à l’Allemagne nazie, qui transforma les Jeux Olympiques de Berlin en un
formidable instrument de propagande ; aux démocraties populaires qui, au
temps de la Guerre froide, portèrent le combat idéologique sur les terrains de
sport
[3]
. Ils ne
furent cependant pas seuls à s’engager dans cette voie. Dès les années vingt,
la France s’inquiéta des résultats de ses champions dans les compétitions
internationales : leurs victoires devaient démentir la rumeur selon
laquelle le pays était épuisé par son effort de guerre
[4]
.
Après la Seconde Guerre mondiale, les états-Unis et les démocraties libérales
s’engagèrent à leur tour dans la lutte idéologique par sportifs interposés.
A l’échelle de l’Hexagone, le sport fut de la même façon
pris « dans le filet des idéologies
[5]
»
dès la fin du XIXe siècle, avec la fondation d’organisations
sportives dans la mouvance des partis en lutte. Les clivages politiques de l’époque
imposèrent au monde sportif certaines de ses divisions
[6]
.
Plus tard, la mise en œuvre de politiques sportives, ayant pour objectif le
redressement physique et moral de la jeunesse (sous le Front populaire puis à
l’époque de Vichy
[7]
)
ou la formation d’une élite capable de briller au niveau international (sous la
Ve République
[8]
)
consacra l’entrée du sport dans le champ d’intervention de l’état, avant que
les collectivités locales, suivant l’exemple lyonnais
[9]
,
ne s’en emparent.
Ainsi, il est difficile de comprendre le phénomène sportif
et les méandres de son histoire sans considérer les dimensions politiques brièvement
évoquées plus haut. En d’autres termes, si les acteurs impliqués n’en ont pas
conscience ou refusent de l’admettre, le sport semble objectivement relever du
politique. Il apparaît comme un lieu implicite ou illégitime du
politique : un autre lieu du
politique.
Pour autant, dévoiler les mises en scène politiques de l’événement
sportif, et les liaisons étroites entre appareils et organisations sportives,
ne saurait épuiser la question de la politisation du sport. En effet, tout en
soulignant ce que l’idée de neutralité du sport a de mythique, il convient
d’attirer l’attention sur les erreurs auxquelles pourrait conduire, par excès
inverse, une croyance dans l’hyper politisation du fait sportif. En France,
s’il est indiscutable que, dès avant la Première Guerre mondiale, des fédérations
de gymnastique ou de sport naissent dans le sillage des principaux courants
politiques (républicain, clérical, socialiste), ces initiatives partisanes en
faveur de la pratique de la gymnastique et des sports suscitent bien des réticences
à l’intérieur même des partis dont elles se réclament. Par ailleurs, si
certaines structures sportives visent effectivement la politisation de la masse
de leurs adhérents, les stratégies mises en place dans ce but n’ont pas
l’efficacité attendue, notamment dans le cas du mouvement sportif ouvrier.
Réticences des courants politiques vis-à-vis de la gymnastique et des
sports
Etudiés sur la seule base des relations qui s’établissent
entre organisations sportives et courants politiques, les rapports entre sport et politique sont indiscutables : l’Union des sociétés de
gymnastique de France, fondée en 1873, est
ouvertement nationaliste et républicaine ; la Fédération
gymnique et sportive des patronages de France,
créée en 1903, est clairement
acquise à la cause cléricale ; la Fédération sportive athlétique
socialiste, constituée en 1908 et ancêtre
de la Fédération sportive du travail
[10]
,
se réclame du socialisme.
Ces liens deviennent toutefois problématiques une fois
envisagées la méfiance que les initiatives partisanes en faveur de la pratique
de la gymnastique et des sports suscitent au sein même des courants politiques
concernés.
Ainsi, l’Union des sociétés de gymnastique de France ne fait pas l’unanimité chez les républicains,
profondément et durablement divisés au sujet de la capitulation et de la répression
de la Commune. Chacun soupçonne les sociétés de gymnastique d’être acquises à
la faction adverse. Et les gouvernements républicains qui se succèdent après
1879 restent prudents vis-à-vis de l’Union de gymnastique qui leur offre
pourtant avec insistance ses services et dont les dirigeants réaffirment en
toutes occasions leur attachement à la patrie et à la République. Les relations
s’améliorent lentement, au prix d’efforts constants de l’USGF. L’Union est
finalement reconnue d’utilité publique en 1903, bien tardivement. En effet, le Club
alpin français, fondé en 1874, l’est depuis
1881.
De même, les partisans du docteur Paul Michaux, animateur
inlassable de la Fédération gymnique et sportive des patronages de France, doivent lutter contre la réserve de l’église et des
milieux cléricaux à l’encontre des exercices corporels. Il y a parmi les prêtres
une longue tradition de méfiance à l’égard du corps. Les tenues sportives sont
jugées indécentes et l’on redoute les effets de la vanité née du succès
[11]
.
Les compétitions se déroulent le dimanche et détournent donc les jeunes de leur
devoir religieux. Les fêtes de gymnastique sont une manière d’exprimer sa foi
qui n’emporte pas l’adhésion de tous les catholiques, dont l’opposition se
concentre sur les manifestations extérieures de l’activité sportive
[12]
.
Enfin, au tournant du XIXe et du XXe siècles, les quelques leaders socialistes s’intéressant à la pratique des
activités corporelles
[13]
se heurtent à l’hostilité de la plupart de leurs camarades. Ceux-ci envisagent
le sport comme un simple passe-temps, réservé à une élite oisive. Le sport
exalte l’individualisme et, porteur des valeurs bourgeoises, il est une activité
corruptrice de la classe ouvrière
[14]
.
Après la Première Guerre mondiale, en Alsace, les associations ouvrières
d’excursionnisme affiliées à l’Arbeiter Wanderbund
[15]
se heurtent encore à l’opposition des cadres nationaux de la Fédération
sportive du travail. Les dirigeants parisiens de la fédération
reprochent aux sportifs ouvriers alsaciens de se consacrer aux pratiques de
montagne qui sont, selon leurs schèmes de perception de la réalité sociale, des
pratiques bourgeoises par excellence ; ils ne comprennent pas qu’en
Alsace, le tourisme pédestre, largement diffusé dans l’espace social, a perdu
son caractère de pratique d’élite
[16]
.
Au final, qu’ils participent à une entreprise nationaliste
d’inspiration républicaine, qu’ils animent un mouvement religieux ou qu’ils
portent la lutte des classes dans le domaine du sport, les responsables de ces
appareils sportifs partisans que tout oppose par ailleurs rencontrent les mêmes
difficultés. Ils peinent à faire accepter à ceux dont ils partagent les
convictions cette croyance qui leur est commune : l’activité associative
sportive est un moyen de formation et de propagande.
Les morales sportives et leur mise en œuvre : la part du politique
D’une manière générale, les structures sportives partisanes,
bien qu’elles affichent des ambitions de nature idéologique, ne se distinguent
pas par des discours ou des activités pouvant être qualifiés, au sens strict,
de politiques.
Les dirigeants du sport ouvrier, notamment, même s’ils
voient dans la pratique des exercices corporels un moyen d’attirer et de former
la jeunesse, axent le plus souvent leurs interventions sur la dénonciation de
la politisation du sport dans les mouvements concurrents. Ainsi, une critique
construite de l’activité des organisations sportives conscriptives, bourgeoises
et catholiques est mise en place par le biais des discours et de l’iconographie
publiés dans les revues des fédérations ouvrières.
Un dessin paru dans le numéro de Sport ouvrier (organe de la Fédération sportive du Travail
d’Alsace-Lorraine) d’août 1927 en est la parfaite illustration : des
bourgeois – reconnaissables, les hommes à leur chapeau, leurs gants et
leur canne, la femme à son manteau de fourrure – assistent à l’arrivée
d’une course à pied. L’analogie avec les courses de chevaux est
frappante : la tenue des spectateurs, leur posture, les jumelles posées
devant l’élégante. Ravalés au rang de chevaux de course, deux prolétaires s’épuisent
et souffrent pour le divertissement des exploiteurs… « Souhaites-tu cette
course aux records dénuée de sens ? Non ». A la traditionnelle
condamnation du sport-spectacle, antithèse du sport éducatif
[17]
,
l’illustration ajoute un contenu politique : la responsabilité de cette dérive
incombe à la bourgeoisie. Et il n’y a qu’un moyen pour y échapper : faire
du sport dans un club sportif travailliste…
Les sociétés conscriptives (sociétés de gymnastique et de
tir, sociétés agréées) et les organisations cléricales portent également la
responsabilité d’une politisation du sport contre laquelle le mouvement sportif
ouvrier entend lutter, comme invite à le penser un dessin montrant un boxeur
(ouvrier ?) aux prises avec un soldat en tenue de combat, publié dans le
numéro de mars 1935 de Sport ouvrier.
Les deux adversaires ont un globe terrestre pour ring, il y
a entre eux une Tour Eiffel. L’athlète assène un violent direct au soldat français.
Des bourgeois (reconnaissables à leur chapeau haut-de-forme), un prêtre et un
officier assistent de loin, à moitié cachés et visiblement mécontents, à la défaite
du soldat. Celui-ci porte un masque à gaz, ce qui achève de le déshumaniser :
ravalé au rang de robot, il est présenté comme un instrument docile de l’armée,
de l’église et de la bourgeoisie ; suréquipé, il est vaincu par un prolétaire
armé de son seul courage. Ce dessin satirique témoigne du rejet de la politique
sportive officielle mise en œuvre au cours de l’Entre-deux-guerres. Le sport
prolétarien permet de contrer les organisations sportives qui se placent au
service de l’institution militaire : les sociétés agréées, qui organisent
la pratique du tir et dispensent des cours de préparation militaire, ainsi que
les patronages catholiques, qui poursuivent des buts similaires. « L’unité
du sport prolétaire porte un grand coup à la guerre et au fascisme »,
affirme la légende. L’illustration exprime le rejet d’une politique belliciste
et d’un régime politique jugé liberticide.
Enfin, peu avant le déclenchement de la Seconde Guerre
mondiale, la presse sportive ouvrière dénonce l’opération de propagande et de détournement
des valeurs olympiques que constituent les Jeux de Berlin de 1936, et contre
laquelle les défenseurs du « vrai » sport doivent s’élever. Dans le même
temps, l’Olympiade populaire de Barcelone, qui devait se dérouler en juillet
1936, est saluée comme une compétition pure, exempte de toute dérive
politique : « À Barcelone iront tous ceux qui veulent que soit réalisée
un jour l’idée de Pierre de Coubertin : l’esprit olympique
[18]
. »
Il faut noter, au passage, le changement radical de point de vue des
responsables des organisations sportives ouvrières : longtemps dénoncé
comme entreprise bourgeoise, le mouvement olympique est ici ardemment défendu.
Le message délivré est donc sans ambiguïté. Les
organisations concurrentes du mouvement sportif ouvrier sont coupables de faire
de la pratique sportive un instrument politique de domination des masses
laborieuses. Hors de la Fédération sportive du travail, de l’Union des sociétés sportives et
gymniques du travail, puis de la Fédération
sportive et gymnique du travail
[19]
,
point de salut. Seule la pratique dans un club ouvrier permet au prolétaire de
s’affranchir de ces formes d’aliénation et d’endoctrinement. L’argumentaire n’a
rien d’original : en politique, il est de bonne guerre de dénoncer chez
les autres la mauvaise foi ou des dérives idéologiques. Ici, le procédé se
mesure toutefois à une croyance fortement ancrée dans les esprits : celle
d’un sport hors du temps et de la politique.
De la même manière, contrairement à ce que suggèrent les
liaisons étroites existant entre le sport travailliste et les organisations
politiques et syndicales, les activités préconisées dans le cadre des clubs
ouvriers ne peuvent être considérées comme véritablement politiques. Au vu
d’enquêtes menées en Alsace et en Bourgogne, les organisations travaillistes ne
proposent pas de pratiques radicalement différentes de celles des organisations
concurrentes, mais investissent et adaptent un ensemble d’activités corporelles
« classiques » pour en faire les supports d’une morale teintée de
politique. Si la diffusion d’une idéologie apparaît effectivement comme un
objectif essentiel, cette diffusion doit donc s’effectuer sans référence
directe au dogme, par une sorte d’apprentissage implicite.
Mieux que toutes autres activités sportives, les pratiques
touristiques ouvrières permettent de saisir dans quelle mesure les docrines politiques sont susceptibles d’influencer les morales sportives.
Comme beaucoup d’autres
associations touristiques, les sections de l’Arbeiter Wanderbund construisent ou
aménagent des refuges à l’intention de leurs membres. Les comptes rendus
d’activités sont alors l’occasion de célébrer les principes marxistes et les
vertus populaires d’entraide, de fraternité. C’est grâce à la mise en commun de
leur force de travail et de leur savoir-faire que les touristes ouvriers
peuvent mettre à la disposition des militants un refuge à partir duquel ils
peuvent parcourir la montagne. En avril 1937, le journal Sport ouvrier publie une liste des différents refuges ouverts
aux licenciés de la Fédération sportive et gymnique du travail, ainsi qu’aux membres des partis et syndicats de
gauche qui cherchent un lieu où passer leurs quatorze jours de congés payés. On
exalte alors la solidarité ouvrière, qui permet de pallier la faiblesse des
moyens financiers. A l’inverse, lorsqu’une section du Club vosgien, des Vosges trotters ou encore du Club alpin français (sociétés recrutant préférentiellement les catégories
moyennes et dominantes) achève la construction d’un bâtiment, l’annonce qui en
est faite est l’occasion de remercier le ou les généreux donateurs ayant permis
de mener à bien le projet
[20]
ou bien de vanter l’action des adhérents qui par leur dynamisme ont attiré de
nouveaux membres dont les cotisations ont permis de financer la réalisation. A
ce sujet, il convient de rappeler que si les associations touristiques ouvrières
sont bien des groupements de pratiquants, ceux qui rejoignent les autres
associations de touristes ne sont pas tous des résidants : bon nombre
d’entre eux ne sont que des touristes de passage, s’inscrivant dans les clubs
locaux pour bénéficier des avantages réservés à leurs membres.
Enfin, il faut ajouter que les morales sportives véhiculées
au sein des groupements sportifs partisans n’ont certainement pas toujours la
portée escomptée.
L’étude spécifique d’une société travailliste de plein air,
implantée à Dijon en 1951
[21]
,
permet de révéler l’empreinte du politique sur les pratiques proposées aux
jeunes ouvriers : ces derniers sont régulièrement orientés vers des
travaux collectifs ou des activités visant l’apprentissage de la vie en groupe.
Cependant, cette analyse signale dans le même temps les difficultés importantes
auxquelles se heurtent les dirigeants de la structure pour la réalisation de
leurs programmes. L’expérience de la mise en place d’un camping communautaire,
par exemple, apparaît comme un demi-échec. La contribution des adhérents à l’aménagement
du camp n’est pas toujours aisée à obtenir, notamment dans le cas de tâches nécessitant
un investissement de longue durée. En outre, la majorité des sociétaires
profite du terrain sans prendre part aux activités communes et sans veiller à
se conformer au règlement établi. Le bulletin interne du club et les rapports
présentés à l’occasion d’assemblées générales critiquent le comportement de ces
adhérents, qui « se [désintéressent] totalement de la vie du club et
donnent à tous l’impression d’être ici parce que cela ne coûte pas cher ».
De la même façon, les responsables dijonnais dénoncent chez les participants à
des séjours de montagne un manque de bonne volonté, une insatisfaction
permanente et une forte propension à discuter les décisions des responsables de
sorties. La mise en place de principes de fonctionnement assez stricts, renforçant
l’autorité des individus désignés pour encadrer les excursions, répond à cette
forme d’indiscipline
[22]
.
Dès lors, il est permis de considérer que les meneurs de l’organisation échouent
dans leur tentative d’établir au sein du groupe des relations parfaitement
saines, fondées sur la tolérance et le respect mutuel.
Ainsi, dans le cas du sport ouvrier dijonnais, il semble que
la réalisation des ambitions globales du mouvement travailliste soit limitée
par les comportements de la masse des pratiquants. Les sportifs ouvriers témoignent
de dispositions parfois totalement contraires à l’idéal visé par leurs
dirigeants, qui compromettent la mise en œuvre des programmes des clubs, en même
temps qu’elles suggèrent leur échec relatif. Sous l’influence des simples sociétaires,
peu sensibles à la morale qui sous-tend la plupart des activités, les pratiques
ouvrières se voient, en partie au moins, dépossédées de leur contenu idéologique.
Loin d’apporter une réponse définitive à la question de la
politisation du sport, la présente réflexion ne fait que dévoiler une part de
la complexité des liens existant entre le fait sportif et la sphère politique.
Ce faisant, elle signale quelques pistes de recherche utiles, en même temps
qu’elle attire l’attention sur les précautions devant nécessairement
accompagner toute analyse d’une telle problématique.
Certes, l’idée d’une utilisation du sport à des fins de
contrôle des masses populaires ne doit plus aujourd’hui être remise en cause, même
s’il apparaît que la diffusion d’une idéologie, dans le cadre du club, est conçue
comme devant s’effectuer de manière discrète, indirecte, au moyen de pratiques
et de modalités de pratiques soigneusement choisies pour constituer le support
d’une morale politique. De ce point de vue, les observations effectuées « sur
le terrain », en Alsace comme en Bourgogne, ne font que confirmer la définition
du fait sportif comme autre lieu du politique et l’analyse de Pierre Chambat selon laquelle le sport est « une
manière non ouvertement politique de faire de la politique
[23]
».
Pour autant, les faits mis en évidence n’en suggèrent pas
moins très clairement la nécessité d’un renouvellement de l’approche des liaisons
s’établissant, au cours du temps, entre sport et idéologie. Les leaders des
partis politiques ne semblent pas unanimement convaincus de l’efficacité d’une
propagande sportive. Au-delà, les enquêtes effectuées à l’échelle
d’associations invitent à s’interroger sur les dimensions les plus concrètes de
la politisation du fait sportif et sur ses effets réels. Une fois investies par
les sportifs ordinaires, les activités des clubs travaillistes, en particulier,
pourraient voir s’atténuer largement leur dimension politique et, détournées de
leurs fonctions, perdraient de leur efficacité.
Pour atteindre la réalité des organisations associant sport
et propagande, qu’il s’agisse du mouvement gymnique républicain, de la fédération
sportive catholique ou encore des groupements laïcs, il apparaît donc nécessaire
de dépasser l’analyse des discours des instances dirigeantes. Les historiens ne
devraient négliger, en particulier, d’explorer les modalités de mise en œuvre
des projets idéologiques et de mesurer leur véritable portée. Ils pourraient
alors s’employer à décrire la manière dont les ambitions spécifiques des
structures imprègnent le fonctionnement et les activités des associations
qu’elles rassemblent, ainsi (surtout) que les conditions de réalisation de leurs
programmes.
Karen Bretin, Laboratoire SPMS, EA 4180- Benoît
Caritey
UMR CNRS 5605, Centre Georges Chevrier,
Université de Bourgogne