Les autres lieux du politique

 

Les morales sportives ont-elles un fondement politique ?

 

Les relations entre sport et politique font l’objet d’appréciations contradictoires. D’un côté, la plupart des acteurs du monde sportif – dirigeants, pratiquants, éducateurs ou journalistes – croient en un sport par essence apolitique. Ils ne voient dans les grandes confrontations internationales qu’un moment privilégié de fraternisation entre les nations, fussent-elles ennemies. Ils interprètent l’intervention de l’Etat ou des municipalités en termes de reconnaissance par les pouvoirs publics de l’importance qu’il convient d’accorder à la pratique sportive. Et lorsque le politique se fait trop pressant pour être ignoré, ils dénoncent et condamnent ce qu’ils considèrent comme un détournement ou une perversion. De leur point de vue, le sport doit être gardé de toute ingérence politique, il n’a rien à faire ni à voir avec les luttes idéologiques nationales ou internationales. Comme le souligne Jacques Defrance  [1] , cette politique de l’apolitisme vise à préserver l’autonomie du champ sportif.

En revanche, pour l’immense majorité des historiens et des sociologues soucieux de comprendre le phénomène sportif, nombreuses et variées sont les manifestations du politique dans le sport. La plus évidente est la politisation croissante des rencontres internationales. La responsabilité en est classiquement attribuée aux régimes totalitaires : à l’Italie fasciste, considérée comme pays précurseur en matière de propagande nationaliste par le sport  [2]  ; à l’Allemagne nazie, qui transforma les Jeux Olympiques de Berlin en un formidable instrument de propagande ; aux démocraties populaires qui, au temps de la Guerre froide, portèrent le combat idéologique sur les terrains de sport  [3] . Ils ne furent cependant pas seuls à s’engager dans cette voie. Dès les années vingt, la France s’inquiéta des résultats de ses champions dans les compétitions internationales : leurs victoires devaient démentir la rumeur selon laquelle le pays était épuisé par son effort de guerre  [4] . Après la Seconde Guerre mondiale, les états-Unis et les démocraties libérales s’engagèrent à leur tour dans la lutte idéologique par sportifs interposés.

A l’échelle de l’Hexagone, le sport fut de la même façon pris « dans le filet des idéologies  [5]  » dès la fin du XIXe siècle, avec la fondation d’organisations sportives dans la mouvance des partis en lutte. Les clivages politiques de l’époque imposèrent au monde sportif certaines de ses divisions  [6] . Plus tard, la mise en œuvre de politiques sportives, ayant pour objectif le redressement physique et moral de la jeunesse (sous le Front populaire puis à l’époque de Vichy  [7] ) ou la formation d’une élite capable de briller au niveau international (sous la Ve République  [8] ) consacra l’entrée du sport dans le champ d’intervention de l’état, avant que les collectivités locales, suivant l’exemple lyonnais  [9] , ne s’en emparent.

Ainsi, il est difficile de comprendre le phénomène sportif et les méandres de son histoire sans considérer les dimensions politiques brièvement évoquées plus haut. En d’autres termes, si les acteurs impliqués n’en ont pas conscience ou refusent de l’admettre, le sport semble objectivement relever du politique. Il apparaît comme un lieu implicite ou illégitime du politique : un autre lieu du politique.

Pour autant, dévoiler les mises en scène politiques de l’événement sportif, et les liaisons étroites entre appareils et organisations sportives, ne saurait épuiser la question de la politisation du sport. En effet, tout en soulignant ce que l’idée de neutralité du sport a de mythique, il convient d’attirer l’attention sur les erreurs auxquelles pourrait conduire, par excès inverse, une croyance dans l’hyper politisation du fait sportif. En France, s’il est indiscutable que, dès avant la Première Guerre mondiale, des fédérations de gymnastique ou de sport naissent dans le sillage des principaux courants politiques (républicain, clérical, socialiste), ces initiatives partisanes en faveur de la pratique de la gymnastique et des sports suscitent bien des réticences à l’intérieur même des partis dont elles se réclament. Par ailleurs, si certaines structures sportives visent effectivement la politisation de la masse de leurs adhérents, les stratégies mises en place dans ce but n’ont pas l’efficacité attendue, notamment dans le cas du mouvement sportif ouvrier.

Réticences des courants politiques vis-à-vis de la gymnastique et des sports

Etudiés sur la seule base des relations qui s’établissent entre organisations sportives et courants politiques, les rapports entre sport et politique sont indiscutables : l’Union des sociétés de gymnastique de France, fondée en 1873, est ouvertement nationaliste et républicaine ; la Fédération gymnique et sportive des patronages de France, créée en 1903, est clairement acquise à la cause cléricale ; la Fédération sportive athlétique socialiste, constituée en 1908 et ancêtre de la Fédération sportive du travail  [10] , se réclame du socialisme.

Ces liens deviennent toutefois problématiques une fois envisagées la méfiance que les initiatives partisanes en faveur de la pratique de la gymnastique et des sports suscitent au sein même des courants politiques concernés.

Ainsi, l’Union des sociétés de gymnastique de France ne fait pas l’unanimité chez les républicains, profondément et durablement divisés au sujet de la capitulation et de la répression de la Commune. Chacun soupçonne les sociétés de gymnastique d’être acquises à la faction adverse. Et les gouvernements républicains qui se succèdent après 1879 restent prudents vis-à-vis de l’Union de gymnastique qui leur offre pourtant avec insistance ses services et dont les dirigeants réaffirment en toutes occasions leur attachement à la patrie et à la République. Les relations s’améliorent lentement, au prix d’efforts constants de l’USGF. L’Union est finalement reconnue d’utilité publique en 1903, bien tardivement. En effet, le Club alpin français, fondé en 1874, l’est depuis 1881.

De même, les partisans du docteur Paul Michaux, animateur inlassable de la Fédération gymnique et sportive des patronages de France, doivent lutter contre la réserve de l’église et des milieux cléricaux à l’encontre des exercices corporels. Il y a parmi les prêtres une longue tradition de méfiance à l’égard du corps. Les tenues sportives sont jugées indécentes et l’on redoute les effets de la vanité née du succès  [11] . Les compétitions se déroulent le dimanche et détournent donc les jeunes de leur devoir religieux. Les fêtes de gymnastique sont une manière d’exprimer sa foi qui n’emporte pas l’adhésion de tous les catholiques, dont l’opposition se concentre sur les manifestations extérieures de l’activité sportive  [12] .

Enfin, au tournant du XIXe et du XXe siècles, les quelques leaders socialistes s’intéressant à la pratique des activités corporelles  [13] se heurtent à l’hostilité de la plupart de leurs camarades. Ceux-ci envisagent le sport comme un simple passe-temps, réservé à une élite oisive. Le sport exalte l’individualisme et, porteur des valeurs bourgeoises, il est une activité corruptrice de la classe ouvrière  [14] . Après la Première Guerre mondiale, en Alsace, les associations ouvrières d’excursionnisme affiliées à l’Arbeiter Wanderbund  [15] se heurtent encore à l’opposition des cadres nationaux de la Fédération sportive du travail. Les dirigeants parisiens de la fédération reprochent aux sportifs ouvriers alsaciens de se consacrer aux pratiques de montagne qui sont, selon leurs schèmes de perception de la réalité sociale, des pratiques bourgeoises par excellence ; ils ne comprennent pas qu’en Alsace, le tourisme pédestre, largement diffusé dans l’espace social, a perdu son caractère de pratique d’élite  [16] .

Au final, qu’ils participent à une entreprise nationaliste d’inspiration républicaine, qu’ils animent un mouvement religieux ou qu’ils portent la lutte des classes dans le domaine du sport, les responsables de ces appareils sportifs partisans que tout oppose par ailleurs rencontrent les mêmes difficultés. Ils peinent à faire accepter à ceux dont ils partagent les convictions cette croyance qui leur est commune : l’activité associative sportive est un moyen de formation et de propagande.

Les morales sportives et leur mise en œuvre : la part du politique

D’une manière générale, les structures sportives partisanes, bien qu’elles affichent des ambitions de nature idéologique, ne se distinguent pas par des discours ou des activités pouvant être qualifiés, au sens strict, de politiques.

Les dirigeants du sport ouvrier, notamment, même s’ils voient dans la pratique des exercices corporels un moyen d’attirer et de former la jeunesse, axent le plus souvent leurs interventions sur la dénonciation de la politisation du sport dans les mouvements concurrents. Ainsi, une critique construite de l’activité des organisations sportives conscriptives, bourgeoises et catholiques est mise en place par le biais des discours et de l’iconographie publiés dans les revues des fédérations ouvrières.

Un dessin paru dans le numéro de Sport ouvrier (organe de la Fédération sportive du Travail d’Alsace-Lorraine) d’août 1927 en est la parfaite illustration : des bourgeois – reconnaissables, les hommes à leur chapeau, leurs gants et leur canne, la femme à son manteau de fourrure – assistent à l’arrivée d’une course à pied. L’analogie avec les courses de chevaux est frappante : la tenue des spectateurs, leur posture, les jumelles posées devant l’élégante. Ravalés au rang de chevaux de course, deux prolétaires s’épuisent et souffrent pour le divertissement des exploiteurs… « Souhaites-tu cette course aux records dénuée de sens ? Non ». A la traditionnelle condamnation du sport-spectacle, antithèse du sport éducatif  [17] , l’illustration ajoute un contenu politique : la responsabilité de cette dérive incombe à la bourgeoisie. Et il n’y a qu’un moyen pour y échapper : faire du sport dans un club sportif travailliste…

 

Les sociétés conscriptives (sociétés de gymnastique et de tir, sociétés agréées) et les organisations cléricales portent également la responsabilité d’une politisation du sport contre laquelle le mouvement sportif ouvrier entend lutter, comme invite à le penser un dessin montrant un boxeur (ouvrier ?) aux prises avec un soldat en tenue de combat, publié dans le numéro de mars 1935 de Sport ouvrier.

 

 

Les deux adversaires ont un globe terrestre pour ring, il y a entre eux une Tour Eiffel. L’athlète assène un violent direct au soldat français. Des bourgeois (reconnaissables à leur chapeau haut-de-forme), un prêtre et un officier assistent de loin, à moitié cachés et visiblement mécontents, à la défaite du soldat. Celui-ci porte un masque à gaz, ce qui achève de le déshumaniser : ravalé au rang de robot, il est présenté comme un instrument docile de l’armée, de l’église et de la bourgeoisie ; suréquipé, il est vaincu par un prolétaire armé de son seul courage. Ce dessin satirique témoigne du rejet de la politique sportive officielle mise en œuvre au cours de l’Entre-deux-guerres. Le sport prolétarien permet de contrer les organisations sportives qui se placent au service de l’institution militaire : les sociétés agréées, qui organisent la pratique du tir et dispensent des cours de préparation militaire, ainsi que les patronages catholiques, qui poursuivent des buts similaires. « L’unité du sport prolétaire porte un grand coup à la guerre et au fascisme », affirme la légende. L’illustration exprime le rejet d’une politique belliciste et d’un régime politique jugé liberticide.

Enfin, peu avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, la presse sportive ouvrière dénonce l’opération de propagande et de détournement des valeurs olympiques que constituent les Jeux de Berlin de 1936, et contre laquelle les défenseurs du « vrai » sport doivent s’élever. Dans le même temps, l’Olympiade populaire de Barcelone, qui devait se dérouler en juillet 1936, est saluée comme une compétition pure, exempte de toute dérive politique : « À Barcelone iront tous ceux qui veulent que soit réalisée un jour l’idée de Pierre de Coubertin : l’esprit olympique  [18] . » Il faut noter, au passage, le changement radical de point de vue des responsables des organisations sportives ouvrières : longtemps dénoncé comme entreprise bourgeoise, le mouvement olympique est ici ardemment défendu.

Le message délivré est donc sans ambiguïté. Les organisations concurrentes du mouvement sportif ouvrier sont coupables de faire de la pratique sportive un instrument politique de domination des masses laborieuses. Hors de la Fédération sportive du travail, de l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail, puis de la Fédération sportive et gymnique du travail  [19] , point de salut. Seule la pratique dans un club ouvrier permet au prolétaire de s’affranchir de ces formes d’aliénation et d’endoctrinement. L’argumentaire n’a rien d’original : en politique, il est de bonne guerre de dénoncer chez les autres la mauvaise foi ou des dérives idéologiques. Ici, le procédé se mesure toutefois à une croyance fortement ancrée dans les esprits : celle d’un sport hors du temps et de la politique.

De la même manière, contrairement à ce que suggèrent les liaisons étroites existant entre le sport travailliste et les organisations politiques et syndicales, les activités préconisées dans le cadre des clubs ouvriers ne peuvent être considérées comme véritablement politiques. Au vu d’enquêtes menées en Alsace et en Bourgogne, les organisations travaillistes ne proposent pas de pratiques radicalement différentes de celles des organisations concurrentes, mais investissent et adaptent un ensemble d’activités corporelles « classiques » pour en faire les supports d’une morale teintée de politique. Si la diffusion d’une idéologie apparaît effectivement comme un objectif essentiel, cette diffusion doit donc s’effectuer sans référence directe au dogme, par une sorte d’apprentissage implicite.

Mieux que toutes autres activités sportives, les pratiques touristiques ouvrières permettent de saisir dans quelle mesure les docrines politiques sont susceptibles d’influencer les morales sportives.

Comme beaucoup d’autres associations touristiques, les sections de l’Arbeiter Wanderbund construisent ou aménagent des refuges à l’intention de leurs membres. Les comptes rendus d’activités sont alors l’occasion de célébrer les principes marxistes et les vertus populaires d’entraide, de fraternité. C’est grâce à la mise en commun de leur force de travail et de leur savoir-faire que les touristes ouvriers peuvent mettre à la disposition des militants un refuge à partir duquel ils peuvent parcourir la montagne. En avril 1937, le journal Sport ouvrier publie une liste des différents refuges ouverts aux licenciés de la Fédération sportive et gymnique du travail, ainsi qu’aux membres des partis et syndicats de gauche qui cherchent un lieu où passer leurs quatorze jours de congés payés. On exalte alors la solidarité ouvrière, qui permet de pallier la faiblesse des moyens financiers. A l’inverse, lorsqu’une section du Club vosgien, des Vosges trotters ou encore du Club alpin français (sociétés recrutant préférentiellement les catégories moyennes et dominantes) achève la construction d’un bâtiment, l’annonce qui en est faite est l’occasion de remercier le ou les généreux donateurs ayant permis de mener à bien le projet  [20] ou bien de vanter l’action des adhérents qui par leur dynamisme ont attiré de nouveaux membres dont les cotisations ont permis de financer la réalisation. A ce sujet, il convient de rappeler que si les associations touristiques ouvrières sont bien des groupements de pratiquants, ceux qui rejoignent les autres associations de touristes ne sont pas tous des résidants : bon nombre d’entre eux ne sont que des touristes de passage, s’inscrivant dans les clubs locaux pour bénéficier des avantages réservés à leurs membres.

Enfin, il faut ajouter que les morales sportives véhiculées au sein des groupements sportifs partisans n’ont certainement pas toujours la portée escomptée.

L’étude spécifique d’une société travailliste de plein air, implantée à Dijon en 1951  [21] , permet de révéler l’empreinte du politique sur les pratiques proposées aux jeunes ouvriers : ces derniers sont régulièrement orientés vers des travaux collectifs ou des activités visant l’apprentissage de la vie en groupe. Cependant, cette analyse signale dans le même temps les difficultés importantes auxquelles se heurtent les dirigeants de la structure pour la réalisation de leurs programmes. L’expérience de la mise en place d’un camping communautaire, par exemple, apparaît comme un demi-échec. La contribution des adhérents à l’aménagement du camp n’est pas toujours aisée à obtenir, notamment dans le cas de tâches nécessitant un investissement de longue durée. En outre, la majorité des sociétaires profite du terrain sans prendre part aux activités communes et sans veiller à se conformer au règlement établi. Le bulletin interne du club et les rapports présentés à l’occasion d’assemblées générales critiquent le comportement de ces adhérents, qui « se [désintéressent] totalement de la vie du club et donnent à tous l’impression d’être ici parce que cela ne coûte pas cher ». De la même façon, les responsables dijonnais dénoncent chez les participants à des séjours de montagne un manque de bonne volonté, une insatisfaction permanente et une forte propension à discuter les décisions des responsables de sorties. La mise en place de principes de fonctionnement assez stricts, renforçant l’autorité des individus désignés pour encadrer les excursions, répond à cette forme d’indiscipline  [22] . Dès lors, il est permis de considérer que les meneurs de l’organisation échouent dans leur tentative d’établir au sein du groupe des relations parfaitement saines, fondées sur la tolérance et le respect mutuel.

Ainsi, dans le cas du sport ouvrier dijonnais, il semble que la réalisation des ambitions globales du mouvement travailliste soit limitée par les comportements de la masse des pratiquants. Les sportifs ouvriers témoignent de dispositions parfois totalement contraires à l’idéal visé par leurs dirigeants, qui compromettent la mise en œuvre des programmes des clubs, en même temps qu’elles suggèrent leur échec relatif. Sous l’influence des simples sociétaires, peu sensibles à la morale qui sous-tend la plupart des activités, les pratiques ouvrières se voient, en partie au moins, dépossédées de leur contenu idéologique.

Loin d’apporter une réponse définitive à la question de la politisation du sport, la présente réflexion ne fait que dévoiler une part de la complexité des liens existant entre le fait sportif et la sphère politique. Ce faisant, elle signale quelques pistes de recherche utiles, en même temps qu’elle attire l’attention sur les précautions devant nécessairement accompagner toute analyse d’une telle problématique.

Certes, l’idée d’une utilisation du sport à des fins de contrôle des masses populaires ne doit plus aujourd’hui être remise en cause, même s’il apparaît que la diffusion d’une idéologie, dans le cadre du club, est conçue comme devant s’effectuer de manière discrète, indirecte, au moyen de pratiques et de modalités de pratiques soigneusement choisies pour constituer le support d’une morale politique. De ce point de vue, les observations effectuées « sur le terrain », en Alsace comme en Bourgogne, ne font que confirmer la définition du fait sportif comme autre lieu du politique et l’analyse de Pierre Chambat selon laquelle le sport est « une manière non ouvertement politique de faire de la politique  [23]  ».

Pour autant, les faits mis en évidence n’en suggèrent pas moins très clairement la nécessité d’un renouvellement de l’approche des liaisons s’établissant, au cours du temps, entre sport et idéologie. Les leaders des partis politiques ne semblent pas unanimement convaincus de l’efficacité d’une propagande sportive. Au-delà, les enquêtes effectuées à l’échelle d’associations invitent à s’interroger sur les dimensions les plus concrètes de la politisation du fait sportif et sur ses effets réels. Une fois investies par les sportifs ordinaires, les activités des clubs travaillistes, en particulier, pourraient voir s’atténuer largement leur dimension politique et, détournées de leurs fonctions, perdraient de leur efficacité.

Pour atteindre la réalité des organisations associant sport et propagande, qu’il s’agisse du mouvement gymnique républicain, de la fédération sportive catholique ou encore des groupements laïcs, il apparaît donc nécessaire de dépasser l’analyse des discours des instances dirigeantes. Les historiens ne devraient négliger, en particulier, d’explorer les modalités de mise en œuvre des projets idéologiques et de mesurer leur véritable portée. Ils pourraient alors s’employer à décrire la manière dont les ambitions spécifiques des structures imprègnent le fonctionnement et les activités des associations qu’elles rassemblent, ainsi (surtout) que les conditions de réalisation de leurs programmes.

Karen Bretin, Laboratoire SPMS, EA 4180- Benoît Caritey
UMR CNRS 5605, Centre Georges Chevrier,
Université de Bourgogne

 



[1] J. Defrance, « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif », Politix, « Sport et politique », 50, 2000, p. 13-27.

[2]. Les victoires dans les compétitions internationales permettent de diffuser à l’étranger une image positive du fascisme. En football, l’Italie remporte deux Coupes du monde en 1934 et 1938. En boxe, Primo Carnera est champion olympique en 1936. Enfin, Gino Bartali est l’un des cyclistes les plus en vue.

[3] P. Milza, F. Jequier et P. Tetart [dir.], Le pouvoir des anneaux, les Jeux olympiques à la lumière de la politique (1896-2004), Paris, Vuibert, 2004.

[4] Voir P. Arnaud, « Des jeux de la guerre aux jeux de la paix. Sport et relations internationales (1920-1924) », p. 315-348, in P. Arnaud et T. Terret [dir.], éducation et politique sportives, XIXe-XXe siècles, Paris, Ed. du CTHS, 1995.

[5] . L’expression est de Ronald Hubscher (R. Hubscher, J. Durry et B. Jeu, L’histoire en mouvements, le sport dans la société française (XIXe-XXe siècle), Paris, Armand Colin, 1992.

[6] . J. Meynaud (Sport et politique, Paris, Payot, 1966) montre que les relations entre « sport et politique », farouchement niées par les acteurs du monde sportif, se donnent à voir dans l’apparente redondance des institutions sportives.

[7] . Voir J.-P. Callede, Les politiques sportives en France, éléments de sociologie historique, Paris, Economica, 2000 et J.-L. Gay-Lescot, Sport et éducation sous Vichy 1940-1944, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1991.

[8] . Voir J.-L. Martin, Histoire de l’éducation physique sous la Ve République, la conquête de l’Education nationale, 1969-1981, Paris, Vuibert, 2002, 205 p.

[9] . Voir P. Arnaud, « Pour une histoire des politiques sportives municipales », Spirales, 5, 1992, p. 11-16 ; P. Arnaud, « Education physique et santé, quand Lyon faisait la politique de la France », Spirales, 13-14, 1998, p. 189-204 ; E. Le Germain, « Herriot », in Le sport et ses espaces, XIXe-XXe siècles, Paris, Ed. du CTHS, 1998 , p. 93-102; E. Le Germain, « La masse contre l’élite, la politique municipale de la ville de Lyon en faveur de l’éducation physique », in S. Fauche, J.-P. Callede, J.-L. Gay-Lescot et J.-P. Laplagne [dir.], Sport et identités, Paris, L’Harmattan, 2000, p. 431-436.

[10] . Née en 1919.

[11] . B. Dubreuil, « La naissance du sport catholique », in A. Ehrenberg [dir.], Aimez vous les stades ?, Recherches, 43, avril 1980, p. 221-251.

[12] . Voir G. Cholvy [dir.], Le patronage, ghetto ou vivier ?, Paris, Nouvelle Cité, 1988.

[13] . Jean Jaurès, notamment. Nicolas Bancel et Jean-Marc Gayman évoquent les articles rédigés par Albert Surier pour le journal socialiste La Petite République, qui reprennent les raisonnements de Jean Jaurès : « Je voudrais bien […] que l’on ne méconnût pas plus longtemps l’admirable moyen d’éducation morale que nous négligeons là et la merveilleuse valeur physiologique du sport que nous n’utilisons point » (N. Bancel et J.‑M. Gayman, Du guerrier à l’athlète, p. 219 ; La Petite République, le 28 octobre 1903).

[14] . R. Hubscher, « Le sport dans le filet des idéologies », in R. hubscher, J. durry et B. jeu [dir.], L’histoire en mouvements. Le sport dans la société. française, XIX-XXe siècles, Armand Colin, 1992, p. 132 ; A. Garrigou, « Socialisme et loisir au XIXe siècle », in Adeline Daumard [dir.], Oisiveté et Loisirs dans les sociétés occidentales au XIXe siècle, Abbeville, Imprimerie F. Paillard, 1983, p. 43 ; L. Strauss et J.-C. Richez, « Promenades et excursions dominicales des ouvriers alsaciens avant la seconde guerre mondiale », in A. Rauch [dir.], Sports et loisirs en Alsace au XXe siècle, Paris, Editions Revue EPS, 1994, p. 88.

[15] . Fédération ouvrière de tourisme pédestre alsacienne.

[16] . Il faut y voir un effet de la proximité avec l’Allemagne, où les organisations d’excursionnistes (comme les Wandervogels) ou de naturistes fondent leur activité sur une critique de la société.

[17] . Seule la pratique sportive qui est à elle-même sa propre fin est éducative. Elle seule peut améliorer la santé, forger le caractère et développer des vertus morales, bref, élever le sportif. Le mercantilisme et le vedettariat ne peuvent qu’avilir l’individu. Celui qui cède aux sollicitations des racoleurs est perdu. On trouve de tels développements dans une série de publications conservées aux archives de la Fédération sportive et gymnique du travail : Sport ouvrier (organe de la FST), automne 1923 ; Bourgeoisie et prolétariat en face du sport, Pré-Saint-Gervais, FST, 1931 ; P. Marie, Pour le sport ouvrier, Paris, Editions du Parti Socialiste SFIO, 1934.

[18] . Cité par L. Strauss, « Le sport travailliste français pendant l’Entre-deux-guerres », in Pierre Arnaud [dir.], Les origines du sport ouvrier en Europe, Paris, L’Harmattan, 1994.

[19] . En 1923, une scission intervient au sein du mouvement sportif ouvrier, qui se compose désormais de deux organisations : la Fédération sportive du travail, d’obédience communiste, et l’Union des sociétés sportives et gymniques du travail, d’obédience socialiste. En 1934, les structures fusionnent pour donner naissance à la Fédération sportive et gymnique du travail.

[20]. L’hôtel du Grand Ballon ouvert par le Club vosgien a été largement financé par une donation de J. Schlumberger, industriel à Guebwiller.

[21] . La société se nomme tout d’abord Les amis de la nature puis, à partir de la fin des années 1950, Amitié et nature. Elle fonctionne toujours actuellement.

[22] . Plusieurs mois avant le départ en stage d’été, de nouvelles règles sont établies : « 3 ou 4 camarades (les plus aptes) seront désignés, ils seront les seuls à décider des programmes et modifications éventuelles, bien sûr avec votre avis mais sans que tout un chacun puisse “grogner” à chaque virage de sentier, à chaque longueur de corde, à chaque initiative prise ! ». Les dirigeants du groupe de montagne justifient ainsi leur décision : « Notre petite expérience des camps passés nous montre plusieurs choses […]. La montagne nécessite une conception de vie collective avancée et […] des camarades (très peu nombreux) ont quelquefois cherché dans ces camps autre chose que la Montagne ». Archives de la société Amitié et nature, bulletin de la société, mars 1978. Cf. annexe 2, p. 445.

[23] . P. Chambat, « Sport et politique », in B. Michon et C. Faber (éd.), Sciences sociales et sports : états et perspectives, actes des journées d’étude de Strasbourg, Strasbourg, 1987, p. 95-105.


Pour citer cet article :
Karen Bretin et Benoît Caritey, « Les morales sportives ont-elles une fondement politique ? » in Les autres lieux du politique, sous la dir. de Benoît Caritey et Serge Wolikow, Territoires contemporains, nouvelle série - 1 - mis en ligne le 26 juin 2008.
URL : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/autreslieux/B_Caritey-K_Bretin.htm
Auteurs : Karen Bretin, maître de conférences à l'université de Bourgogne & Benoît Caritey, maître de conférences à l'université de Bourgogne
Droits : © Tous droits réservés - Ce texte ne doit pas être reproduit (sauf pour usage strictement privé), traduit ou diffusé. Le principe de la courte citation doit être respecté.


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