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Instituer le patrimoine : enjeux et limites
Le Centre d’Art Ronzier, de la caserne à la création contemporaine : un exemple de réhabilitation
Bahéra Oujlakh
Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Notes | Références
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RÉSUMÉ

La présente étude relate la création d’un centre d’Art au cœur d’un lieu appartenant au patrimoine architectural de la ville de Valenciennes (Hauts-de-France). En effet, l’ancienne caserne militaire Ronzier accueille aujourd’hui l’UFR des étudiants en arts plastiques et en création numérique. De ce fait, il y a trois ans, au vu des possibilités qu’offrait ce bâtiment historique, une initiative commune a permis la création d’un Centre d’Art situé dans les locaux du sous-sol.

Un lieu destiné à la culture de la région où se déroulent expositions, concerts, performances, lectures et autres manifestations offrant un rayonnement culturel à la ville. Ayant participé à plusieurs de ces manifestations, je souhaite expliquer la manière dont un lieu issu du patrimoine administratif peut être remanié et repensé pour devenir une passerelle culturelle dynamique et prolifique pour la ville et ses habitants. Je propose donc de communiquer en particulier sur une expérience : celle d’un workshop (ou atelier d’artiste) qui a permis de faire connaitre le lieu et ses futures exploitations artistiques aux habitants. Et ce, en se basant notamment sur un patrimoine immatériel de la région de l’Avesnois.

Il s’agissait de réaliser cinq journées de recherche-création au sein du Centre d’Art avec l’artiste visuelle, Élise Bérimont, fille du poète et homme de radio Luc Bérimont, originaire de Ferrière-la-Grande. La question de l’histoire d’un territoire, associée à celle de la réception par les artistes et les étudiants en Art du département, a donc été mise en lumière lors de ces journées de workshop avec, comme aboutissement, une exposition (Soleils ! Entre Canada et Avesnois) en janvier 2017.

Haut de page MOTS-CLÉS

Mots-clés : art, histoire, patrimoine, architecture militaire, transformation
Index géographique  : Hauts-de-France, Valenciennes, Avesnois
Index historique : xixe siècle, xxie siècle
SOMMAIRE

  Introduction
I. Le Centre d’Art Ronzier
1) Un lieu dédié à l’art et à la poésie
II. La réhabilitation des édifices administratifs et industriels à des fins créatives
  Conclusion
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Introduction

Réhabilité en 2014, le Centre d’Art Ronzier (fig. 1) est un nouveau lieu culturel rattaché à l’Université. Il accueille diverses expositions allant des réalisations des étudiants du département aux expositions liées à des collections publiques (FRAC, DRAC, etc.). La question du patrimoine résonne, en ce qui me concerne, de différente manière. Elle évoque le patrimoine militaire et architectural de la ville de Valenciennes, mais également le patrimoine industriel et immatériel de la région. C’est en effet la question du patrimoine industriel et post-industriel qui m’a conduit en 2014 à entamer une thèse de doctorat portant sur une recherche en Art et humanités dont la soutenance est prévue pour la fin de l’année 2019. Ce thème du patrimoine industriel se situe au cœur de mon engouement pour les textiles et plus spécifiquement pour les arts textiles contemporains : une filière artistique dont un aperçu est régulièrement présenté à la manufacture de Roubaix par le biais d’expositions et de rencontres d’artistes. Cependant, l’actualité de mes projets m’a incitée à davantage orienter ma communication autour de la question du patrimoine architectural de Valenciennes. Plus précisément, j’ai exposé la manière dont l’ancienne Caserne Ronzier (fig. 2), présente sur le site des Tertiales faisant face au Phénix (scène nationale conventionnée), est récemment devenue un Centre d’Art. Le lieu accueille donc, en plus des diverses expositions d’arts plastiques, concerts, lectures et autres évènements en lien avec le service culturel de l’Université.

fig.1 La Caserne Ronzier
fig.1 La Caserne Ronzier, département Art, Bibliothèque et restaurant de l’Université Polytechnique
Hauts-de-France
Source : http://www.uphf.fr/FLLASH/arts/departement/
<b>fig.2</b>Valenciennes, Caserne Ronzier fig.2 Valenciennes, Caserne Ronzier, date inconnue, carte postale
Source : les archives de la bibliothèque de Valenciennes.

I. Le Centre d’Art Ronzier

En conséquence, le Centre d’Art est devenu en quelques années un lieu de symbiose, regroupant habilement l’ensemble des acteurs de la culture de Valenciennes. La particularité architecturale est celle propre au profil d’une ancienne caserne militaire (fig. 3). Ainsi, le spectateur pénètre dans un lieu où la forme voûtée des plafonds et la succession des salles, avec et sans fenêtres, confère aux espaces une atmosphère tout à fait spécifique. Chacune des expositions présentées depuis l’ouverture transfigure de fait cet endroit, qui est à redécouvrir sous un nouveau jour, par le prisme de l’art contemporain. En outre, ce lieu est non seulement propice aux expositions mais aussi à la création.

<b>fig.3 </b> Valenciennes. La caserne Ronzier, place Poterne</i>
fig.3 Valenciennes. La caserne Ronzier, place Poterne
vers 1910, carte postale.
Source : les archives de la bibliothèque de Valenciennes

1) Un lieu dédié à l’art et à la poésie

C’est l’exemple d’un workshop mené avec mes étudiants en 2017 : Uapistan trouble, où l’artiste visuelle Élise Bérimont, fille du poète et homme de radio Luc Bérimont, a animé le dit atelier d’art plastique (fig. 4). Nous avons, en effet, réalisé une sculpture, une série de photographies et de vidéos autour du poème Soleil Algonquin de Luc Bérimont[1]. Ces vidéos et photographies ont été par la suite présentées lors de l’exposition Soleils ! Entre Avesnois et Canada d’Élise Bérimont au Centre d’Art en février 2017. Le fait de présenter des travaux d’étudiants s’est depuis développé, puisque récemment, et en partie autour de ce lieu, s’est créé le collectif numéro 52 : 95 à l’origine de deux expositions : le temps captif en 2017, en collaboration avec le FRAC Hauts-de-France et Résonances en 2018 (fig. 5), en écho à l’œuvre du poète Wilfred Owen. Le poète a lui aussi, tout comme Luc Bérimont, un passé dans la région des Hauts-de-France. Luc Bérimont (1915-1983) a vécu sa jeunesse à Ferrière-la-Grande, dans un petit village de l’Avesnois, dans la région de Maubeuge. Une partie de son œuvre fait référence à cette enfance paisible dans la nature, notamment le poème Le bois Castiau (fig. 6), qui inspirera Élise Bérimont dans la création d’une performance vidéo Nous n’irons plus au bois Castiau (2015) (fig. 7), présentée lors de l’exposition Soleils ! Entre Avesnois et Canada (fig. 8). L’extrait suivant évoque ce territoire et cette enfance vécu par le poète :

« Je repars en direction de mon village par le tramway vétuste et fidèle. La maison du Bois Castiau m’attend avec sa bonne odeur de soupe et de pâte levée. Je lui fais mes confidences, je lui demande assistance et conseil, inquiet du personnage véhément, inconnu de moi-même et des miens, qui se lève et exige la remise en question de toute une tradition paysanne au nom de la poésie[2]. »

<b>fig.4 </b>Uapistan trouble
fig.4 Uapistan trouble, workshop réalisé en partie au Centre d’Art Ronzier, en janvier 2017
Source : collection personnelle

<b>fig.5</b>Carton d’invitation à l’exposition Owen in/and France</i>
fig.5 Carton d’invitation à l’exposition Owen in/and France>
Source : Office de tourisme de Valenciennes
<b>fig.6</b><i>Luc Bérimont, Le bois Castiau, première de couverture</i>
fig.6 Luc Bérimont, Le bois Castiau, première de couverture
Source : Lalibrairie.com
<b>fig.7</b>Élise Bérimont,<i>Nous n'irons plus au bois Castiau</i>
fig.7 Élise Bérimont,Nous n'irons plus au bois Castiau
source : http://www.eulalie.fr/IMG/pdf/dossierpresse-expositionsoleils.pdf
<b>fig.8</b>Affiche de l’exposition Soleils ! d’Élise Bérimont
fig.8 Affiche de l’exposition Soleils ! Élise Bérimont au Centre d’Art Ronzier
Source : https://www.touslesvalenciennoisici.com/event/soleils-entre-avesnois-canada-elise-berimont
Concernant Wilfred Owen (fig. 9), son lien à la région apparaît, quant à lui, au regard de la maison forestière d’Ors où le poète a vécu à la fin de la première guerre mondiale. La maison a été transformée en 2011 par l’artiste britannique Simon Patterson en lieu d’exposition commémoratif. En atteste cette ultime lettre écrite par Owen à sa mère le 31 octobre 1918 de Ors, dans la région de Cambrai :

« Très Chère Mère,

L’endroit d’où je t’écris à présent, je l’appellerai “La cave enfumée de la Maison forestière”. J’écris sur le premier feuillet du bloc arrivé hier dans le colis. Heureusement, le colis était de petite taille, car il m’est parvenu juste avant que nous ne montions en ligne. Seule la paraffine n’a pas trouvé asile dans mon parquetage […] C’est la belle vie. Davantage hélas que vous, Chère Mère, j’oublie le hideux reflet des canons dehors, et les impacts creux des obus. Il n’y a aucun danger ici, ou s’il y en a, il sera passé depuis longtemps lorsque vous lirez ces lignes[3] [...] »

<b><i>fig.9</i></b>Affiche de l’exposition Owen in/and France
fig.9 Affiche de l’exposition Owen in/and France
Source : https://www.uphf.fr/colloque-international-et-expositions-owen-inand-france

II. La réhabilitation des édifices administratifs et industriels à des fins créatives

Ainsi, le Centre d’Art poursuit une double ambition : celle de se nourrir de son propre patrimoine matériel (architectural et militaire) et immatériel (la poésie), tout en y incluant les étudiants à l’œuvre. Et ce, dans le but d’associer passé et présent, mémoire et création. Ce nouvel espace d’expositions et de rencontres s’inscrit donc dans une mouvance propre au territoire : celle de la réhabilitation d’anciens lieux administratifs et industriels à des fins créatives.

C’est l’exemple de lieux comme le Tri postal et la Gare Saint-Sauveur à Lille tous deux réaménagés en 2004, lors de Lille, capitale européenne de la culture. C’est le cas également des maisons folies, et notamment de la maison folie Wazemmes à Lille[4], dans l’ancien quartier d’ouvriers d’Afrique du nord où une ancienne manufacture textile formée de deux corps de bâtiments est devenue, elle aussi, un Centre d’Art et un lieu de vie et de partage. Concernant la Caserne Ronzier, deux corps de bâtiments sont toujours visibles de part et d’autre de l’esplanade (fig. 10). L’ensemble de cartes postales, exemple ci-dessous en figure 10, atteste de la similarité du bâtiment resté intact. Ce qui diffère en revanche, c’est la passerelle installée entre les deux bâtiments permettant d’obtenir un accès plus aisé. Cependant, si nous nous penchons sur ces deux documents, un aspect assez saisissant nous apparaît : celui de la délimitation du terrain. En effet, lors de la présentation de cette communication, j’ai insisté sur le fait que nous sommes passés d’un lieu clos et sous surveillance, à un espace ouvert sur l’extérieur et dont la situation géographique est davantage décloisonnée.

<b>fig.10</b>Le pôle Ronzier et le Centre d’Art
fig.10 Le pôle Ronzier et le Centre d’Art (rez-de-chaussée à droite de l’image en rouge)
Source : //www.uphf.fr/FLLASH/arts/video/le-pole-ronzier

La métaphore associée à cette refonte stylistique est assez déroutante : nous passons ainsi d’un lieu militarisé et rigoureux à un lieu où l’imaginaire et la liberté de création sont totalement requises. En cela, un réel détournement s’est opéré. L’extrait suivant relate de manière assez explicite notre idée :

« C’est ce type d’homme que l’armée voulait créer et généraliser : plus fort physiquement, prêt au sacrifice, dominateur, volontaire, se contrôlant, ayant l’esprit de camaraderie et le sens d’une responsabilité disciplinée. En ce sens, elle se définissait elle-même comme une école de la masculinité, comme un lieu où le soldat deviendrait un “homme”, un homme qui deviendrait, dans l’armée, conscient de sa force personnelle mais qui saurait en même temps la discipliner et la soumettre à un but élevé, à une plus grande totalité[5]. »

En somme, l’idée d’uniformisation rigoureuse et intransigeante de la masse laisse le pas aux initiatives et à l’innovation artistique. De même, si nous prenons le réaménagement, non loin de Valenciennes, de l’ancien site minier de Wallers-Arenberg, le détournement est quasiment le même. Devenu Arenberg creative mine et inscrit au Patrimoine Mondial de l’Unesco, le lieu accueille aujourd’hui expositions, ateliers de créations, salles de recherche et équipes de tournages.

Nous citons Arenberg, car tout comme la maison folie Wazemmes ou la Manufacture de Roubaix – ces lieux sont habités par une histoire directement reliée au travail pénible, répétitif et aliénant. Il est donc surprenant et réjouissant de voir ces anciennes usines devenir, tour à tour, des lieux dédiés à la création et à l’innovation. Tous ont une visée commune : celle de rendre hommage et de réenchanter ces espaces longtemps jugés inesthétiques et inintéressants d’un point de vue culturel. Et ce, dans l’objectif d’offrir un nouvel essor à ces architectures du xixe siècle, en lien direct avec la question de la conservation et du dépassement de ce dit patrimoine minier et textile. En effet, la question du patrimoine architectural est fondamentale, puisque la présente exposition, Roubaix, métamorphose d’une ville textile, invite le spectateur à comprendre l’impact de l’implantation des usines textiles dans la ville sur l’ensemble du paysage urbain et des déplacements qui en découlent. À l’instar de l’ancien village de Moulins de Wazemmes, Roubaix change totalement d’aspect lors de la révolution industrielle[6]. Certaines des maisons ouvrières et courées – visibles dans un saisissant contraste avec les maisons art déco et autres demeures de maîtres de Croix – sont donc pour certaines classées aujourd’hui au patrimoine industriel.  

Conclusion

En conséquence, ces lieux, longtemps écartés de toutes formes de créativité et d’accès à la culture, prennent leur revanche sur un passé élitiste et bourgeois. Ils sont même aujourd’hui prisés pour leurs particularités stylistiques et l’ampleur des espaces à disposition. Ainsi, le Centre d’Art de Valenciennes s’inscrit dans cette dynamique et vient compléter un duo. Il est devenu un lieu essentiel à la vie étudiante et culturelle du site des Tertiales. Le duo, c’est le face à face existant depuis plus de dix ans déjà entre le département Art et le théâtre du Phénix – entre arts plastiques et arts vivants. Ce duo se voit donc complété par le Centre d’Art, qui, lui aussi, permet de rendre visible et ouvert la création, les arts de la scène et la performance. En outre, la proximité du lieu avec l’espace Pasolini, laboratoire artistique et lieu de résidences d’artistes, accentue encore ce mariage entre arts visuels et arts vivants.

Le Centre d’Art permet ainsi un lien entre l’ensemble des corps existants autour de la vie culturelle et universitaire de la ville, et ce, toujours dans un esprit de croisement des arts, à l’adresse de l’ensemble des habitants : en d’autres termes, ni excentré sur un campus ou inaccessible par les transports, mais proche du cœur de ville, en contact direct avec la création régionale voire internationale.

Bibliographie

Carole Labarre, « L'ÂGE DES CASERNES (Michel Auvray) », Encyclopædia Universalis [en ligne], disponible sur http://www.universalis.fr/encyclopedie/l-age-des-casernes/, page consulté le 28/03/2019.

Paula Cossart et Julien Talpin, « Les Maisons du Peuple comme espaces de politisation. Étude de la coopérative ouvrière “la paix” à Roubaix (1885-1914) », Revue française de science politique, 2012/4, vol. 62, p. 583-610.

Élise Bérimont, « Nous n'irons plus au bois Castiau », Nord', 2015, vol. 66, n° 2, p. 77-116.

Ute Frevert, « L’armée, école de la masculinité. Le cas de l’Allemagne au xixe siècle », Travail, genre et sociétés, 2000/1, n° 3, p. 45-66.

Luc Bérimont, « Soleil algonquin », Nord', 2015/2, n° 66, p. 29-31.

Autres documents

Émission Lectures pour tous de l’ORTF en 1964 – invité Luc Bérimont pour présenter Le Bois Castiau, disponible sur https://vimeo.com/202072449, consulté le 28/03/2019.

 

Haut de page AUTEUR

Bahéra Oujlakh,
Université de Valenciennes
(Sous la direction de Catherine Chomarat-Ruiz)

Haut de page NOTES


[1] De son vrai nom André Leclerc.
[2] Élise Bérimont, « Nous n'irons plus au bois Castiau », Nord', vol. 66, n° 2, 2015, p. 77-116.
[4] Wazemmes est un terme issu de la contraction des mots Was (le marais) et de hem (la maison).
[5] Militärische Blätter, 3, 1860, p. 10 dans Ute Frevert, « L'armée, école de la masculinité. Le cas de l’Allemagne au xixe siècle », Travail, genre et sociétés, 2000/1, n° 3, p. 45-66.
[6] La ville est même qualifiée en 1893 de « ville sainte des prolétaires » par le député Jules Guesde.

Haut de page RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Bahéra Oujlakh, « Le Centre d’Art Ronzier, de la caserne à la création contemporaine : un exemple de réhabilitation », Revue TRANSVERSALES du Centre Georges Chevrier - 15 - mis en ligne le 26 novembre 2019, disponible sur :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/Transversales.html.
Auteur : Bahéra Oujlakh
Droits :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Transversales/menus/credits_contacts.html
ISSN : 2273-1806