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"Sociétés, Sensibilités, Soin"
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Instituer le patrimoine  : enjeux et limites
Introduction
Anissa Mami
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RÉSUMÉ

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Patrimoine, histoire, culture, institutions

SOMMAIRE

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Encore une fois bienvenue à toutes et à tous à l’occasion de cette journée transversale organisée par le Centre Georges Chevrier de l’Université de Bourgogne. Une journée qui répond à un objectif d’ouverture interdisciplinaire puisqu’elle permet aux doctorants, ainsi qu’aux post doctorants, de disciplines variées, d’échanger autour d’une thématique précise, commune, et d’apporter des réflexions constructives. C’est également une journée de contribution à la culture scientifique.

Le thème du jour est donc : instituer le patrimoine, enjeux et limites.

À travers les interventions qui vont être présentées durant la journée et qui constituent ou ont constitué des sujets de recherches scientifiques et des sujets de thèses, il est sans équivoque que le patrimoine, sa notion, son concept et son champ, sont larges et vastes et restent néanmoins ambigus et complexes d’un certain point de vue.

À l’ère actuelle, on entend souvent parler de patrimoine familial, naturel, collectif, de patrimoine culturel, architectural, matériel, immatériel, de patrimoine mobilier, immobilier, financier et même de petit patrimoine. De multiples adjectifs sont désormais associés à ce terme, lui conférant ainsi différentes catégories et différents usages. 

Comme il est communément entendu, dans le droit romain, le patrimoine désignait les biens recueillis par succession. Cela a commencé par la transmission des biens de la famille et de l’héritage familial de père en fils ce qui signifie que le patrimoine, à ses débuts, était incarné dans un esprit individualiste avec un statut privé. Et au fil du temps avec les évènements historiques, notamment depuis la révolution française, le patrimoine a dépassé cette restriction familiale et est devenu collectif, appartenant à toute une collectivité. Ainsi, l’élargissement de la notion du patrimoine a pris une nouvelle dimension au xviiie siècle avec l’idée d’un patrimoine national. Il n’est plus question de bien privé renvoyant à un individu particulier, mais de bien commun représentant un groupe social, un témoin physique de son passé et de son histoire. Dans ce cadre, l’historien de l’art Michel Melot déclare : « […] Le patrimoine fait de la collectivité une communauté. Il transforme les populations en Peuples et les territoires en Nations » (Michel Melot, « L’humanité à la recherche de son patrimoine », dans Pascal Lardellier [dir], La métamorphose des cultures. Société et organisation à l’ère de la globalisation, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2011, p. 28-29). Le patrimoine est donc un identifiant culturel auquel on se réfère. C’est un représentant identitaire.

Dans cet esprit de nationalisme et au nom d’un intérêt général, la France est considérée comme le pays précurseur quant à l’appréhension et à la protection du patrimoine. Pour ce faire, le parcours qui n’était pas sans dédales, s’est fait par étapes et a nécessité certaines mesures. La restitution des biens de l’Église à l’Assemblée constituante, la création des Archives nationales en 1790, l’apparition des musées et la publication d’un certain nombre d’instructions et de décrets par rapport à la conservation et à la préservation des biens, sont considérés comme les premières volontés de l’institutionnalisation du patrimoine. Néanmoins, ce n’est qu’à partir de 1830, avec la création d’une inspection générale des monuments historiques en France puis la création de l’école du Louvre comme École d’administration des musées en 1882, et avec la promulgation de différentes lois qui se sont succédées et qui normalisent et cadrent les interventions et la conservation des monuments et des objets d’art, notamment les fameuses lois de 1887, de 1913 et tant d’autres lois, que l’on voit naître une véritable politique du patrimoine.

Ces multiples mesures et actions constituent un processus de patrimonialisation qui a servi d’assise à l’institutionnalisation du patrimoine. Une institutionnalisation qui a été rendue formelle en France dans la deuxième moitié du xixe siècle, durant laquelle une gouvernance et des établissements dédiés aux questions patrimoniales sont mis en place, tel que le ministère chargé des affaires culturelles instauré en 1959. Ce mécanisme s’est fait également à travers la formulation des règles et d’un cadre juridique protecteur (dont la loi Malraux est considérée comme référence), ainsi qu’à travers la mise en place de certaines modalités d’application assurées par la création de différents services, d’administrations détachées, de directions régionales et d’institutions publiques.

Toutes ces procédures de sauvegarde et de préservation qui considéraient au préalable que tout objet ou monument qui peut servir aux arts et aux sciences est du patrimoine constituant un bien culturel, incluent désormais les pratiques sociales et ethnologiques, les traditions, coutumes et les savoir-faire dans la sphère patrimoniale. Il est estimé que ces dernières reflètent la culture d’une communauté et constituent un repère intangible à son authentification. D’ailleurs, à l’heure actuelle, parmi les missions du DPRPS (Département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique) de la Direction générale du patrimoine du ministère de la Culture, un volet entier est consacré au patrimoine culturel immatériel connu sous l’abréviation de PCI. De plus, en 2003, une convention de reconnaissance de ce patrimoine culturel immatériel a été mise en place par l’Unesco, convention ratifiée par la France en 2006.

Ainsi, le patrimoine acquiert un sens large, il est devenu symbole d’histoire, de culture et de biens qui ont été hérités et qui doivent être transmis. Le patrimoine confère aux sociétés et aux collectivités une importante valeur historique et artistique, et de ce fait, son domaine apparaît de plus en plus étendu et amplifié, et connait donc différentes catégories. Du matériel à l’immatériel, partant des vestiges et édifices, jusqu’aux traditions et rituels et passant par la gastronomie et le chant, le répertoire patrimonial ne cesse de croitre. Selon le professeur Henry Ollagnon, « le patrimoine est un ensemble d’éléments matériels et immatériels qui concourent à sauvegarder l’autonomie et l’identité de leurs titulaires et son adaptation face à un univers imprévisible » (Henri Pierre Jeudy [dir], Patrimoines en folie, Collège international de philosophie (Paris, 1987-1988). Conférence du séminaire « Patrimoine », Éditions de La Maison des sciences de l’homme, Paris, 1990, p. 26).

De ce fait, la préservation du patrimoine est une responsabilité qui a besoin d’avoir des assises politiques, juridiques et scientifiques rigoureuses, et qui se complètent. Car le patrimoine ne se résume pas uniquement aux biens personnels individuels, ou aux sphères économiques, mais incarne aussi des biens communs, et une mémoire collective auxquels l’ensemble de l’humanité a droit. Et pour lesquels les organismes internationaux tel que l’Unesco ou l’Icomos se sont constitués faisant appel à l’idée de legs, de partage et de transmission intergénérationnelle.

Ainsi, l’institutionnalisation du patrimoine s’est faite par strate. Elle émane de la prise de conscience des individus à ce qui les rattachent, les unit, et à la sensibilisation de la conservation de tout ce qui constitue un fort enjeu mémoriel, représentant ainsi l’identité même de leurs sociétés. Toutes ces intentions et pensées de cette institutionnalisation se traduisent à travers la législation, les décrets juridiques, les organismes et les établissements créés à ce titre. La sauvegarde du patrimoine culturel est une valorisation de l’authenticité des peuples et de leurs spécificités collectives qui leur permet de se distinguer.

À travers les interventions qui vont être présentées aujourd’hui, nous espérons apporter des réflexions approfondies sur l’institutionnalisation du patrimoine, de ses enjeux et de ses limites, d’autant plus que cette question est abordée sous différents angles, et sous un regard multidisciplinaire, regroupant les sciences de l’architecture, des arts, de la sociologie, de l’histoire et de l’histoire de l’art. Nous aurons donc le plaisir d’écouter Pierre Maurer docteur en histoire de l’architecture qui communiquera sur L’inscription sur la liste du patrimoine mondial, Hejja Mustapha, doctorant en sociologie du patrimoine, et qui communiquera sur Le patrimoine culturel immatériel du haut atlas oriental et sa reconnaissance par l’Unesco, ensuite nous écouterons Bahéra Oudjlekh doctorante en art, qui présentera le cas d’étude du Centre d’art Ronzier de Valenciennes, Cristine Godfroy Galardo, chercheure post-doctorante en histoire de l’art qui présentera Les mesures préliminaires de protection des monuments nationaux. Explorant la même période cruciale pour le patrimoine français, Katherin Landais, doctorante en histoire de l’art et co-organisatrice de ce séminaire, évoquera La création du patrimoine artistique dijonnais pendant la Révolution par l'inventaire de François Devosge. Enfin Camille Mestdagh doctorante en histoire de l’art abordera la question de La patrimonialisation du mobilier historique et ses répercussions sur l’industrie du meuble entre 1865 et 1900.

 Bibliographie  :

Jean-Yves Andrieux, Patrimoine et Histoire, Paris, Belin, 1997.

Dominique Audrerie, Question sur le patrimoine, Bordeaux, Confluences, 2003.

Jean-Pierre Bady, Marie Cornu, Jérôme Fromageau et Jean-Michel Leniaud, 1913, Genèse d’une loi sur les monuments historiques, Paris, 2013, La Documentation française.

Collectif, « Patrimoine et institutions », Histoire de l’art, n° 56, 2005.

Xavier Greffe, La gestion du patrimoine culturel. Paris, Economica, 1999.

Patrimoines en folie. Collège international de philosophie (Paris, 1987-1988), conférence du séminaire « Patrimoine », éd. La Maison des sciences de l’homme, Paris, 1990, p. 26.

Département du pilotage de la recherche et de la politique scientifique : http://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Connaissance-des-patrimoines/Departement-du-pilotage-de-la-recherche-et-de-la-politique-scientifique.

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Anissa Mami,
Centre Georges Chevrier, UMR 7366 uBFC/CNRS
(Sous la direction de Philippe Poirrier)

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Pour citer cet article :
Anissa Mami, « Instituer le patrimoine  : enjeux et limites : introduction », Revue TRANSVERSALES du Centre Georges Chevrier - 15 - mis en ligne le 26 novembre 2019, disponible sur :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/Transversales.html
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Auteur : Anissa Mami
Droits :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Transversales/menus/credits_contacts.html
ISSN : 2273-1806