Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche "Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
Transversales |
Violences et transitions | |||||||||||||||||||||
L’héritage de la violence fondatrice selon Paul Ricœur et les justificatifs de la violence sociale : cas de la République démocratique du Congo | |||||||||||||||||||||
Godefroid Nzila | Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Notes | Références | ||||||||||||||||||||
Haut de page RÉSUMÉ
Paul Ricœur place l’héritage de la violence fondatrice dans l’ADN de l’État. La violence de l’État, c’est la violence de son caractère pénal. En effet, l’État punit ; en dernière analyse, c’est lui qui a le monopole de la contrainte physique, morale et légitime. L’État ne peut être défini si l’on n’incorpore pas à sa fonction le monopole de la violence légitime. En abordant la violence de l’État par son côté pénal, punitif, on va droit au problème central, pense Ricœur. Car les multiples fonctions de l’État, son pouvoir de légiférer, de décider et d’exécuter, sont finalement sanctionnées par le pouvoir de contraindre en dernière instance. En d’autres termes, la violence comme contrainte est comprise pour l’État comme moyen de garantir le droit. Cela étant, la problématique de la légitimité de la violence physique de l’État se situe au niveau des moyens utilisés. Généralement, une décision place l’homme d’action devant un choix à opérer en présence d’une multitude de moyens qui s’offrent à sa conscience. Mais, comment s’assurer que les moyens choisis ne produiront pas des effets pervers non voulus ou contraires aux fins poursuivies ? À cette problématique, Ricœur fait observer que le politique choisit des moyens efficaces susceptibles de lui permettre de mener à bien son action. Dans cette optique, il définit l’État, dans Du Texte à l’Action, comme « la synthèse de l’efficace et du juste ». C’est ce qui manque, en réalité, aux hommes politiques qui ont la charge de la destinée de la nation congolaise. Et, cette mal gouvernance de l’État dans la gestion de ses biens et de son peuple, mais aussi dans la prise des décisions qui engagent et hypothèquent l’avenir de tout un peuple, fait de ce pays depuis l’époque coloniale jusqu’à ce jour, le théâtre des conflits et des violences à répétition. Raison pour laquelle nous évoquons les causes lointaines externes ou étrangères et les causes internes des violences et conflits qui caractérisent et justifient la situation sociopolitique de ce pays. |
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Introduction D’entrée de jeu, point n’est besoin de se demander pourquoi réfléchir sur la violence ? Comment les violences naissent-elles ? En effet, nous avons une bonne raison de nous interroger encore sur la violence parce que nous savons qu’elle grandit dans notre univers et ses conséquences ne peuvent nous laisser indifférents. C’est dire en d’autres termes qu’on ne finira jamais d’exploiter une thématique tant qu’elle donne matière à réflexion. Il nous semble que tout travail scientifique exige une méthode. Pour ce faire, la méthode phénoménologico-herméneutique nous servira de guide heuristique dans la description de ce qui se montre ou se présente devant nous comme phénomène de violence et dans l’interprétation des raisons ou motifs de cette violence. Après une petite clarification terminologique du concept-clé violence, notre thème se subdivisera en deux parties. D’abord, nous essaierons de comprendre comment Paul Ricœur conçoit l’héritage de la violence fondatrice. Ensuite, nous tenterons de dégager quelques justificatifs de la violence sociale partant de la situation sociopolitique actuelle et troublée en RDC. Enfin, une petite conclusion ouvrira certainement la porte à de nouvelles perspectives d’avenir. Faisons une petite Clarification terminologique. On se représente communément la violence sous la forme d’un mouvement destructeur : un phénomène violent se traduit, en effet, bien souvent, par un mouvement impétueux, subit et rapide, qui crée des dégâts et des dommages sur son passage. Que l’on songe aux glissements de terrain produits par un torrent de montagne, aux coups et blessures qu’un homme peut dans un accès de colère causer à autrui, ou encore à la mise à sac d’une ville par une armée ; dans tous ces exemples, nous avons affaire à des phénomènes violents qui sont, partiellement du moins, destructeurs. Les ravages produits par la violence sont imputables à certains dérèglements qui peuvent survenir dans le cours de la nature ou dans la vie des hommes : ils sont l’effet de mouvements qui transgressent les lois ou les règles qui régissent habituellement les phénomènes naturels et humains. C’est pourquoi on peut considérer la violence comme un phénomène enfreignant des règles déterminées, comme un phénomène anormal. Il ne faut cependant pas se figurer tous les phénomènes violents comme chaotiques, comme des formes d’activité ne se pliant à aucune règle assignable[1]. Mais, comment peut-on décrire la violence ? En effet, la violence, c’est vouloir obtenir quelque chose par la force ; c’est créer une pression psychologique sur l’autre pour l’obliger ou forcer à voir, à ressentir, ou à faire quelque chose dont il ne voulait pas. Dans une interaction entre deux ou plusieurs personnes, il y a violence lorsqu’un acte (parole, écrit, geste ou réaction quelconque) est posé intentionnellement contre autrui et peut entraîner des conséquences sur celui-ci (anxiété, peur, perte des biens matériels, humiliation, traumatismes, blessures physiques, décès). C’est pourquoi, on parle de la violence verbale, écrite, gestuelle, physique, psychologique, violence du mal dominant, etc. En fait, dans la violence, il y a toujours de l’agressivité, un caractère de rivalité qui est mis en jeu ; elle est essentiellement un combat entre deux ou plusieurs rivaux qui se disputent quelque chose et obéit à la loi du plus fort ou du rapport des forces. I. L’héritage de la violence fondatrice selon Paul Ricœur Ce que je viens d’appeler « l’héritage de la violence fondatrice », écrit Ricœur, c’est un fait qu’il n’existe pas de communauté historique qui ne soit née d’un rapport qu’on peut dire originel à la guerre. Ce que nous célébrons sous le titre d’événements fondateurs, ce sont pour l’essentiel des actes violents légitimés après coup par un État de droit précaire. […] Ce n’est pas par hasard, poursuit-il, si les fondateurs de la philosophie politique, Hobbes en tête, ont placé la crainte de la mort violente à la base du réflexe sécuritaire sur lequel se greffent les formes variées et divergentes du principe de souveraineté. Au sens fort du mot, c’est la sécurité que les individus attendent de l’État, de quelque façon que celui-ci procède dans sa réplique à la crainte de la mort violente au niveau institutionnel. Évoquer cette crainte, c’est rappeler la place du meurtre dans la genèse de la politique[2]. Pour faire simple, Ricœur place l’héritage de la violence fondatrice dans l’ADN de l’État.La violence de l’État, c’est la violence de son caractère pénal. L’État punit ; en dernière analyse, c’est lui qui a le monopole de la contrainte physique, morale et légitime. On sent l’influence de Max Weber chez Ricœur, en ce sens que l’État ne peut être défini si l’on n’incorpore pas à sa fonction le monopole de la violence légitime[3]. Au fait, dans l’idée de la violence légitime, l’adjectif marque l’idée de la place de la force du droit, le droit contre le droit de la force. Au fond, quand il y a un État qui a la possibilité de protéger un espace de discussion en expropriant en quelque sorte la violence privée : du coup, nous sommes privés (la population) de la violence par laquelle nous pourrions nous rendre ou nous faire nous-même justice. En effet, selon Weber, l’État est cette communauté humaine qui, à l’intérieur d’un territoire déterminé, revendique pour elle-même et parvient à imposer le monopole de la violence physique légitime. En abordant la violence de l’État par son côté pénal, punitif, on va droit au problème central, pense Ricœur. Car les multiples fonctions de l’État, son pouvoir de légiférer, de décider et d’exécuter, sont finalement sanctionnées par le pouvoir de contraindre en dernière instance. L’efficacité avec laquelle l’exercice de la violence arbitraire (illégale) sert les desseins de l’État a décidé certains penseurs politiques à considérer cette forme de violence comme un moyen normal et légitime de gouverner. Nicolas Machiavel (au xve siècle) est l’un des premiers philosophes politiques à avoir légitimé la violence politique illégale au nom de la raison d’État, c’est-à-dire au nom de la sauvegarde de l’ordre public. Selon lui, le bon politique ne doit pas hésiter à agir malhonnêtement, avec tous ceux qui menacent la souveraineté de l’État, en rompant les engagements pris envers eux et en leur infligeant même des châtiments si la raison d’État l’exige. Soulignons au passage que dans le but d’acquérir des stratégies pour conserver le pouvoir, Le Prince de Machiavel est beaucoup exploité et cité, souvent et malheureusement à tort par plusieurs politiques africains pour justifier leur agir politique. En effet, l’État est détenteur du monopole de la violence légitime. L’idée de l’État comme instrument de régulation sociale s’est développée et s’est étayée notamment dans le cadre des doctrines sociologiques. La violence d’État apparaît comme une composante inséparable de l’exercice de la souveraineté, même lorsque celle-ci n’est pas l’instrument du despotisme. Afin de justifier cette violence, on évoque parfois « la raison d’État », notamment pour désigner l’impératif au nom duquel le pouvoir politique transgresse le droit ou la morale dans l’intérêt de l’État ou du public. La sécurité de l’État justifierait sous certaines conditions, un acte immoral ou illicite, et le recours aux « secrets d’État »[4]. Par ailleurs, Ricœur fait une distinction importante entre le pouvoir et le mal. Non pas que le pouvoir soit le mal, mais le pouvoir est une grandeur de l’homme éminemment enclin au mal. D’ailleurs, il a tout à fait raison lorsqu’il dit que le pouvoir est peut-être dans l’histoire, la plus grande occasion et démonstration du mal.[5] Et, cela parce que le pouvoir est une très grande chose voire l’instrument ou instance de la rationalité historique de l’État. Il ne faut, ajoute-t-il, à aucun moment lâcher ce paradoxe. Certes, le pouvoir n’est pas le mal, et l’on a vu que la visée du vivre-bien est première ; mais le pouvoir est une grandeur éminemment exposée au mal. Cependant, Ricœur emprunte le concept de pouvoir à Hannah Arendt qui le distingue avec soin de la force et de la violence. La violence n’est pas un abus de pouvoir et le pouvoir, n’est pas ou n’est pas fondamentalement l’usage légitime de la violence. Les deux concepts sont même, dit-il, antithétiques et inversement proportionnels. Le pouvoir n’existe que là où une action en commun est réglée par un lien institutionnel reconnu. En fait, l’erreur initiale est de lier « pouvoir » à « commander/obéir » ; mettre avant le pouvoir sur, vient le pouvoir dans. Or, « Potestas in populo, auctoritas in senatu », (le pouvoir réside dans le peuple mais l’autorité siège au Sénat) disent les Latins[6]. Le pouvoir procède fondamentalement de la capacité d’agir en commun. Or, l’action en commun n’existe qu’aussi longtemps que les acteurs l’entretiennent. Le pouvoir existe quand les hommes agissent ensemble ; il s’évanouit dès qu’ils se dispersent. La violence est l’exploitation même de cette faiblesse par l’autorité qui est un projet instrumental à court terme. Dans « la crise de la démocratie et la conscience européenne », Ricœur déploie une vision arendtienne d’un pouvoir qui ne naît pas de lui-même, mais « monte du peuple […] comme la nuée procède de l’évaporation sur la surface terrestre ». L’homme « fait le pouvoir » et l’exerce « directement ou par délégation », affirme-t-il[7]. À partir de la conception du pouvoir, Arendt jette une vive lumière sur les phénomènes de la violence, et constitue donc une contribution précieuse pour tous ceux qui ne prennent pas leur parti des violences de nos sociétés et s’efforcent d’œuvrer à un traitement négocié, non-violent, des conflits inhérents à toute vie sociale politique. La violence n’est rien d’autre que la manifestation la plus évidente du pouvoir. Dans une formulation qui apparaît paradoxale au premier regard, Arendt soutiendra au contraire que c’est quand le pouvoir manque que la violence tend à occuper le terrain ; mais elle ajoute aussitôt que celle-ci manifeste sa totale incapacité à instaurer quelque lien politique que ce soit : « le règne de la pure violence s’instaure quand le pouvoir commence à se perdre » et ne faut-il pas ajouter si « la violence peut détruire le pouvoir, elle est parfaitement incapable de le créer »[8]. Le pouvoir correspond à l’aptitude de l’homme à agir, et à agir de façon concertée. Le pouvoir n’est jamais une propriété individuelle ; il appartient à un groupe et continue à lui appartenir aussi longtemps que ce groupe n’est pas divisé. La violence se distingue par son caractère instrumental. Sous son aspect phénoménologique, elle s’apparente à la puissance, car ses instruments, comme tous les autres outils, sont tous conçus et utilisés en vue de multiplier la puissance naturelle jusqu’à ce qu’au dernier stade de leur développement, ils soient à même de la remplacer [9]. La violence comme contrainte est comprise pour l’État comme moyen de garantir le droit. Mais, la problématique de la légitimité de la violence physique de l’État se situe au niveau des moyens utilisés pour contraindre. Généralement, une décision place l’homme d’action devant un choix à opérer en présence d’une multitude de moyens qui s’offrent à sa conscience. Il apparaît sagement qu’il ne suffit pas de vouloir quelque chose ou de formuler un vœu pour le voir se réaliser automatiquement. Mais, il faut nécessairement se doter des moyens appropriés et justes pour atteindre une fin ou réaliser un rêve. Contrairement au machiavélisme qui soutient la logique de la « la fin justifie les moyens », nous estimons que le choix des moyens nécessite impérativement la médiation de « l’insight délibératif » dont parle Bernard Lonergan ou de la raison ; au cas contraire, on aboutit à des impasses, à des succédanés (ce qui peut remplacer ou suppléer). Ceci admis, une autre question est celle de savoir comment s’assurer que les moyens choisis ne produiront pas des effets pervers non voulus ou contraires aux fins poursuivies ? À cette problématique, Ricœur fait observer que le politique choisit des moyens efficaces susceptibles de lui permettre de mener à bien son action.[10] C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il définit l’État, dans Du Texte à l’Action, comme « la synthèse de l’efficace et du juste ».[11] Bien analyser anticipativement certaines décisions en politique pour qu’elles soient justes et efficaces pour tout le monde, est signe de sagesse. En effet, la sagesse dans des équilibres à tenir, vous éviterait de ne pas prendre des décisions qui, visiblement, favorisent une catégorie de personnes en défavorisant la majorité de la population. Or, la démocratie dans son système représentatif et de prise de décisions par la majorité, incarne d’une manière ou d’une autre de la violence symbolique dont parle le sociologue français Pierre Bourdieu. Cette violence est une domination des dominants qui touche particulièrement les dominés ou le bas peuple et s’observe dans la légitimation des normes et des dictats des dominants[12]. Toutefois, l’expérience prouve aussi le contraire. Le moyen efficace n’est pas forcément juste. L’exemple le plus patent, est celui de la bombe atomique avec ses conséquences insoupçonnées, bombe larguée sur les deux villes japonaises : Hiroshima et Nagasaki. Pour corroborer à cette thèse, par rapport aux pertes de vies humaines qu’elle a provoquées, on se demande s’il était juste et nécessaire de dévaster toute une ville avec tant d’innocents, de la réduire en cendres parce qu’on voulait s’attaquer à quelques inciviques ou ennemis. Est-ce juste de brûler une maison parce que le serpent s’y est caché ? Pour faire bref, l’exercice de la violence légitime du pouvoir face à la recrudescence de la violence dans nos sociétés, reflète aujourd’hui une autodestruction pragmatique du pouvoir. Par ailleurs, il est indubitable que la violence fait souffrir ses victimes, les déshumanise et déshumanise aussi les violents eux-mêmes. Par contre, en face de l’État nous avons un autre pôle d’incarnation de la violence : les citoyens ou les êtres humains. Donc, la violence n’est pas un moyen neutre, elle est incarnée dans l’homme ou mieux comporte une représentation de l’être humain. Si nous osons affirmer que : « opter pour la violence, c’est nier d’une manière ou d’une autre son humanité », il nous faut cependant répondre à la question c’est quoi l’homme ? Au triptyque questionnement fondamental de la philosophie kantienne à savoir que puis-je savoir ? que dois-je faire ? que m’est-il permis d’espérer ? la « tâche urgente »[13] que constitue pour la philosophie, aux yeux de Paul Ricœur, une réponse à la question : qu’est-ce que l’homme ? Pour répondre à cette question fondamentalement anthropologique, il nous semble nécessaire de rappeler la vision de l’homme chez Hobbes, Rousseau et Kant, parmi des références ou mieux des théoriciens philosophes politiques cités par Ricœur. Ainsi, leur vision nous servira de lanterne pour éclairer la question de la violence en tant que mal en lien avec l’homme. En effet, pour Thomas Hobbes, en état de nature, phase de temps asocial, pré-politique, où les hommes coexistent sans qu’il existe une autorité surplombante qui leur impose la paix ou un certain nombre de lois communes à respecter, les hommes vivent dans la jungle. Au fond, Hobbes imagine cet état comme un état de guerre de tous contre tous à cause de trois passions naturelles : la peur, l’appétit des jouissances et le besoin de reconnaissance. Du coup, dans sa méchanceté l’homme devient un loup pour l’homme (homo homini lupus est). Ainsi, pour changer le comportement de l’homme ou l’obliger à cesser avec sa méchanceté, il faut une loi absolue, efficace promulguée par le souverain Léviathan qui tient compte de la sécurité et de la paix des hommes. Pour ce faire, avec la loi civile, la culture de la référence à l’autorité compétente est d’une importance incontournable. Chez J.-J.Rousseau, l’homme naît bon, c’est la société qui le corrompt. Cela étant, Rousseau affirme que par essence, l’homme n’est pas violent, parce qu’il naît avec des qualités morales supérieures et que celles-ci se dégradent au contact des lois, des institutions et coutumes de la société civilisée. Pour ce faire, il propose alors une double thérapie : du point de vue politique par le respect du contrat social et du point de vue éducatif, de recréer l’homme au moyen de l’éducation afin de le façonner. De même pour Kant, l’homme ne devient homme que par l’éducation. Cependant, dans sa thèse de l’insociable sociabilité, qu’il expose du point de vue cosmopolitique, E. Kant soutient que l’homme serait un être antagoniste dans son rapport à autrui : à la fois sociable et insociable ; prêt à composer avec l’autre, mais aussi à le sacrifier et même à sacrifier la société lorsque ses intérêts sont mis en jeux ! À cet effet, Kant propose des impératifs catégoriques pouvant aider l’homme à bien agir. Par exemple : « Agis donc de telle sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours en même temps comme une fin et jamais simplement comme un moyen ». Et devant les sollicitations de nos penchants mauvais, c’est-à-dire à agir mal contre autrui (pour le cas d’espèce nous pouvons dire : à réagir par la violence contre la violence) ; il faut un moment s’arrêter et se demander : si tout le monde doit agir de la sorte ou mieux de la même manière que moi, (Par exemple : si tout le monde se mettait à mentir, à voler, à ne s’occuper que de soi-même, en fait à être égoïste, à s’enflammer et réagir de façon épidermique, passionnel et irrationnel devant n’importe quelle situation, à détourner les deniers publics, à voler les biens d’autrui, à exiger des pots-de-vin ou de sortir avec les femmes des autres avant de les embaucher au travail, à ne pas respecter les biens communs et les lois de la République, etc. Bref, se demander si tout le monde se mettait à faire un tel mal comme je suis tenté de le faire… que deviendrait alors notre humanité ou notre monde ? À chaque fois que nous sommes tentés d’avoir un comportement non éthique : demandons-nous ce que serait la vie si chacun faisait comme nous ? C’est une question de sagesse pratique qui consiste à inventer les conduites qui satisferont notre humanité. Pour ce faire, c’est à cause de la violence qu’il faut passer de l’éthique à la morale[14]. En effet, demandons-nous ce que serait une société de délateurs, de profiteurs, de voleurs corrupteurs et de corrompus, de menteurs, de délinquants, d’insouciants, d’égoïstes, de fraudeurs ou tricheurs, d’hypocrites, de violents, de bandits, etc. ? Certes, on peut continuer la liste des qualificatifs à loisir, mais la réponse est une : cela serait une société vouée à l’échec et peut-être à la déchéance, à la misère matérielle et intellectuelle. Donc, nous devons éviter de tels comportements, à quelque niveau que ce soit, si nous voulons construire notre société de demain où il fera beau et bon vivre. Déterminons-nous à débusquer et à écarter sans complaisance et au besoin à punir sans faiblesse ce qui ruine notre société ou la dessert : les corrompus, les antinationaux, les roublards, les charognards et les paresseux. Pour Paul Ricœur, notre auteur, l’homme se révèle d’abord comme sujet de la finitude et de la faillibilité. Ensuite, à partir de la question de qui, l’homme se définit par sa capacité de…C’est pourquoi, pour Ricœur, être sujet c’est être conscient d’être capable de dire, de faire, de raconter et de s’imputer (comme responsable de ses actes). Dans cette perspective, l’on comprend mieux pourquoi la religion s’adresse à cet homme capable de…en des termes non pas d’imposition, mais de collaboration à l’œuvre salvifique. Enfin, pour atteindre le bien-vivre-ensemble, Ricœur définit la visée éthique, comme la visée de la « vie bonne » avec et pour autrui dans des institutions justes. Mais, qu’est-ce que le mal politique ? Évoquant le pouvoir et le mal dans Histoire et vérité, Ricœur écrit que le mal politique c’est la folie de la grandeur et la cupidité du pouvoir. Cette attitude égocentrique conduit à l’oubli de la visée première du politique, à savoir l’organisation de la Cité et le bien-vivre-ensemble de ses citoyens. En évoquant l’exemple de Ghandi en Inde, de Mgr Desmond Tutu et Nelson Mandela en Afrique du Sud après l’Apartheid (philosophie d’Ubuntu et Commission Vérité et réconciliation), Paul Ricœur soutient la non-violence pour la désescalade de la violence. Afin d’empêcher que les différends, les litiges, les conflits ne dégénèrent en violence, Ricœur conçoit le compromis comme une barrière entre l’accord et la violence. En fait, c’est en l’absence d’accord que nous faisons des compromis pour le bien de la paix civique. Pour Ricœur, nous pourrions même dire que le compromis est notre seule réplique à la violence dans l’absence d’un ordre reconnu par tous, et en quelque sorte unique dans ses références. Le compromis est ce qui empêche la société de tomber en morceaux. À en croire Ricœur, le conflit majeur résulte, selon lui, de ce que tout actuellement appartient à l’ordre marchand. Est-ce que tout peut être acheté ? Il y a des biens qui ne sont pas des marchandises, comme la santé, l’éducation, la citoyenneté etc. Le compromis s’inscrit entre les exigences rivales venant de ces ordres différents. Quant à la question de savoir s’il ne faut pas toujours, chez les parties adverses, le désir et la volonté de parvenir à un compromis, pour qu’il advienne au terme d’un conflit, Ricœur estime que l’intransigeance rend malheureusement impossible toute recherche du compromis. Pour y parvenir, le compromis exige la négociation et non pas l’imposition ni l’intransigeance qui sont incompatibles avec la recherche de nouveaux systèmes de références[15]. Face à la croissance de la violence dans notre société, l’État a une grande responsabilité d’éduquer sa population afin de bien canaliser ses multiples situations ou problèmes et mécontentements qui peuvent dégénérer et s’exprimer par des violences et conflits à répétition. Pour y parvenir, il a aussi le devoir de recourir en toute justice et justesse à son pouvoir de violence légitime, d’autant plus que la paix tant recherchée dans le monde reste le fruit de la justice et de la charité fraternelle. II. Les justificatifs de la violence sociale : cas de la République démocratique du Congo Les violences existent partout (en commençant par la famille qui est la première institution de l’intégration sociale des humains ; à l’école (les violences scolaires), dans les lieux de travail ou différents services de l’État (on parle des violences institutionnelles, militaires ou policières, meurtrières, idéologiques, contestataires et populaires, etc.), dans la rue, entre amis ou voisins, et paradoxalement même en amour on observe de la violence (violences sexuelles). Sur le plan économique et environnemental, on peut aussi parler d’une certaine violence économique qui fait que les gens n’arrivent pas à vivre du fruit de leur travail, de leur production ; Il s’agit d'une violence peu visible, mais très dangereuse. En effet, depuis plusieurs décennies la RDC demeure en proie à des violences et dans une profonde insécurité liée aux cycles des conflits sociopolitiques, des guerres et des violences récurrentes qui constituent plus particulièrement une entrave de taille au développement social et économique du pays. Bref, les conflits, les violences, les guerres constituent une caractéristique importante de l’histoire congolaise passée et présente. Survolant rapidement la cartographie politique ou les paysages politiques africains, force est de constater les mêmes réalités sociopolitiques, nonobstant la diversité des systèmes politiques. Pour ce qui concerne les États africains, nous pouvons citer en l’occurrence la persistance de la pauvreté de la population, oppression et violence systématiquement organisées, les guerres perpétrées et entretenues, violation des droits de l’homme, des révisions constitutionnelles à répétition, manque des valeurs civiques, pouvoir et avoir entre les mains d’une caste sociale ou d’une minorité. Bref, une inadéquation tranchée s’observe entre le dire et le faire chez le politique. Justifier ne signifie pas légitimer. Par justificatifs de la violence sociale, il ne s’agit pas de preuves d’autant plus que, comme nous venons de le souligner, les violences existent partout ; mais l’exercice consistera à nous tourner vers le but, vers l’avenir en approchant les causes dans le passé, essayer de corriger ce qui les maintient dans le présent pour espérer un vivre-ensemble meilleur et apaisé. La situation sécuritaire dans la partie Est de la RDC (dans les provinces du sud et nord Kivu, Ituri) inquiète toujours et reste très complexe ; les enjeux politiques et économiques sont de taille. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte et rendent les investigations difficiles afin de juguler la violence et instaurer la paix dans cette partie de son territoire national. En effet, dans cette partie de la RDC, on enregistre des enlèvements par des kidnappeurs (notamment de deux touristes britanniques en 2018), des attaques et embuscades le long des routes, les pillages et viols perpétrés par toutes les forces armées impliquées dans le conflit, les victimes civiles fuyant les zones de combat, le recrutement forcé d’enfants soldats, les massacres de civils, le nombre des cadavres ou de morts tués, éventrés et abandonnés dans la brousse ou en plein village augmente tous les jours. La population devient la victime expiatoire des attaques criminelles et gratuites des rebelles, milices et groupes armés. La problématique de l’insécurité sur l’ensemble du territoire de la RDC ayant pour cause des violences multiformes, est une réalité très complexe. Son approche holistique plonge et justifie ses racines dans des causes lointaines externes et internes.
1) Les Causes lointaines externes ou étrangères En face des abus de la Colonisation, une violence émancipatrice trouve justification : au-delà des raisons ou objectifs qui justifient la colonisation des petits États par d’autres États, il faut reconnaître l’usage d’une certaine violence dans l’agir de tout colon. Pour ce faire, puisque la violence appelle la violence ; en tant que colonisés, il fallait user de la violence pour se défaire de la violence du colon. Avec la naissance des mouvements nationaux de libération dans les années 60, il faut faire remarquer qu’aucune indépendance des pays colonisés n’a été octroyée pacifiquement. La violence était utilisée comme acte émancipateur pour se libérer du joug du colon. On pourra ici penser à ce qui arriva en Algérie, au Vietnam, Irlande du nord, Pays-Bas au xviie siècle etc. Au Congo, à cause de son caractère nationaliste et de son arrogance accompagnée de violence, Patrice Eméry Lumumba paiera de sa vie juste après avoir arraché la fameuse « indépendance ». Vu sous cet angle, la violence était un mode de libération acceptable. En utilisant la violence comme réplique contre certaines actions ou punitions inhumaines du colon, le colonisé croyait devenir libre : on se libère soi-même en tant que colonisé et les autres de la colonisation. Donc, à l’époque des luttes pour les indépendances, la violence émancipatrice était une ligne forte de justification et de légitimation de la violence. Par ailleurs, l’incapacité des différents cessez-le-feu et accords de paix pour mettre fin aux guerres et pour consolider la paix est révélatrice de problèmes non résolus, profondément ancrés, qui perpétuent les antagonismes entre groupes ethniques, le manque de confiance de la population et des communautés à l’égard de l’État, et les relations conflictuelles entre la RDC et les différents pays voisins. La plupart de ces problèmes ont des antécédents qui découlent de l’époque coloniale. L’administration coloniale a notamment établi un système, soutenu par l’État, d’exploitation des ressources minérales pour l’enrichissement personnel des dirigeants. Cette pratique s’est poursuivie depuis le règne du roi Léopold II et de l’administration coloniale belge jusqu’aux régimes d’après-indépendance. Ainsi, à l’heure actuelle, les guerres qui font rage au sein de la RDC restent associées à l’exploitation insuffisamment réglementée du secteur des ressources naturelles, devenu le terrain de concurrence entre les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux locaux et étrangers qui cherchent à tirer profit du vide juridique (le manque de l’État) et de l’insécurité. Bien que n’étant pas en soi à l’origine des conflits, l’exploitation des ressources naturelles est devenue à la fois une incitation à la rébellion contre l’État ainsi que le nerf de la guerre, en raison de l’absence d’institutions solides permettant de garantir une surveillance réglementaire efficace ainsi que la protection des droits de l’homme. Hospitalité ou accueil de l’étranger : l’hospitalité africaine est un trésor ; mais celle du Congo est l’une des sources de ses malheurs dans la mesure où son hospitalité envers les étrangers se retourne bien souvent contre ce pays. En effet, les réfugiés venant des pays voisins, en des moments de guerre ou génocide (pour le cas des réfugiés rwandais), accueillis sur le territoire congolais, constituent une autre source de menaces permanentes pour le pays d’origine et le pays qui accueille. Cependant, la légitimité de la non-violence, dans le cadre de la politique intérieure, paraît contredite par son illégitimité dans la politique internationale. A-t-on le droit de ne pas riposter à l’agression militaire d’un peuple étranger ? Une guerre défensive n’est-elle pas toujours légitime ? En effet, si la guerre offensive peut être considérée comme un moyen illégitime utilisé par un État pour accroître de manière frauduleuse sa richesse ou pour échapper au péril d’une guerre intérieure (civile), la guerre défensive, elle, semble tout à fait justifiée. Autrement dit, jusqu’où peut-on rester dans la non-violence si son agresseur ne prend pas conscience de l’illégitimité de son action ? La non-violence peut-elle pousser à l’oubli et au pardon ? Même pour les victimes qui ne sont plus en vie, il sied de rappeler que pour l’africain les morts ne sont morts que s’ils sont oubliés par les vivants. Ainsi, une agression est doublement trahie lorsqu’elle est niée par son agresseur. Envie, vol et exploitation illégale des richesses : René Girard explique la violence du désir en ces termes : « l’ordre du monde est régulé par la quête inassouvie de chacun pour ce que possède l’autre. Or, ce que je convoite est précisément l’objet du désir d’autrui et que son caractère convoitable provient justement de sa dimension désirée […] Toute mimesis portant sur le désir débouche automatiquement sur le conflit »[16]. La quête de la convoitise de l’autre, inévitablement reproduite par ma propre concupiscence, favorisera un cycle sans fin de violences entre les hommes ou les sociétés. L'ingérence des grandes puissances dans la vie politique est le fait que les résultats de nos élections sont souvent décidés par les « Maîtres du monde » qui nous imposent des dirigeants en fonction de leurs intérêts. Nous voudrions ici évoquer le caractère extraverti des élections en Afrique, en fait de notre pouvoir politique. Présence des groupes armés étrangers : il s’agit de ceux qui viennent sous prétexte de poursuivre leurs ennemis réfugiés au Congo et des forces armées étrangères sollicitées en appui d’une opération militaire, ce qui serait une bonne chose pour ces dernières dans le cadre d’une politique de coopération bilatérale entre États. Néanmoins, nous constatons avec amertume que bien souvent, ils se détournent de leurs objectifs : en lieu et place de sécuriser la population locale, celle-ci devient leur cible ; ils maintiennent ou installent davantage un climat d’insécurité pour profiter, dans tous les sens, de la situation. 2) Les causes internes - Conflits intercommunautaires : En ce qui concerne les violences liées aux conflits intercommunautaires ou interethniques, soulignons au préalable que rien n’est plus dangereux en société que la manipulation des esprits fin d’insurger une tribu contre une autre ou diviser la population contre elle-même. Au fond de cette problématique, tout commence pour la plupart des cas par des conflits fonciers entre deux peuples ou villages voisins partageant le même sol. Or, le pouvoir coutumier africain est lié au droit de sol. En fait, le pouvoir que détient et exerce le chef de terre qu’on appelle chef coutumier, émane des ancêtres tutélaires (qui assurent une protection). À ce titre, il est le dépositaire direct de l’ancêtre et l’héritier de sa charge, de ses prérogatives, de son patrimoine et de sa puissance. L’attachement au sol justifie pour les africains, les origines de chacun. C’est pourquoi, entre compatriotes congolais, tous se reconnaissent filles et fils d’une seule patrie, mais chacun est identifié comme originaire d’une région, d’un territoire, d’un coin ou d’un village donné. Bref, d’un côté, on assiste à une espèce de télescopage entre le pouvoir juridique et le pouvoir coutumier dans la mesure où, selon la constitution congolaise, le sol et le sous-sol appartiennent à l’État. De l’autre côté, par ce lien qui rattache l’individu africain au sol de ses aïeux, on peut comprendre et expliquer les nombreux conflits fonciers (de terre) ou d’imperium (conflits frontaliers) qui naissent en RDC et qui paralysent par le fait même le projet de paix et de développement durables. (Ceci rejoint le droit à la propriété chez John Lock).- Le manque des besoins primaires ou la pauvreté En effet, le manque, l’insatisfaction, la misère, le désir, les inégalités sociales poussent facilement à la violence. Faisant ici allusion à la pyramide des besoins d’Abraham Maslow parmi lesquels les besoins physiologiques ou de maintien de la vie se placent au premier degré, c’est-à-dire, avant tous les autres ; manquer des moyens de les satisfaire et surtout dans un monde de consommation comme le monde actuel, peut créer inévitablement des frustrations et pousser à la violence. Car, ventre affamé n’a point d’oreilles, dit-on. Et, par conséquent, son instinct de conservation le pousse à commettre parfois des actes répréhensibles. Par exemple : on peut attendre pendant plusieurs jours la réponse ou l’embauche à une demande d’emploi ; mais on ne fera pas la même chose à son ventre qui réclame quelque chose à mettre sous la dent. Donc, tout homme devrait, en principe, posséder le minimum des conditions de vie matérielle pour vivre en paix avec les autres. Alors, il est facile de comprendre que tout être humain dépourvu de besoins primaires (manger, s’habiller, loger, éducation, etc.), sentant sa vie menacée, peut se faire violence jusqu’à troubler la quiétude des autres. Il s’agit presque de l’anthropologie de la colère. Le cas échéant, il va sans dire que le manque des moyens primaires de subsistance pousse facilement les gens à émigrer (ce qui donne sens à l’expression : aller chercher la vie ailleurs).Dans le même ordre d’idées, Romain Gary parle de la « société de provocation » dans son livre intitulé Le Chien blanc. Après l’assassinat de Martin Luther King à Memphis le 4 avril 1968, il s’ensuit des émeutes durant lesquelles la communauté noire pille de nombreux commerces. Témoin de ses événements, Romain Gary écrit : « J’appelle société de provocation, toute société d’abondance et en expansion économique qui se livre à l’exhibitionnisme constant de ses richesses et pousse à la consommation et à la possession par la publicité, les vitrines de luxe, les étalages alléchants, tout en laissant en marge une fraction importante de la population qu’elle provoque à l’assouvissement de ses besoins réels ou artificiellement créés, en même temps qu’elle lui refuse les moyens de satisfaire cet appétit. Comment peut-on s’étonner, lorsqu’un jeune Noir du ghetto, cerné de Cadillac et de magasins de luxe, bombardé à la radio et à la télévision par une publicité frénétique qui le conditionne à sentir qu’il ne peut pas se passer de ce qu’elle lui propose […], comment s’étonner, dites-le-moi, si ce jeune finit par se ruer à la première occasion sur les étalages béants derrière les vitrines brisées ? »[17] Au fond, il y a lieu de dire que ceux qui étalent leurs richesses de manière insolente, se moquent et provoquent d’une manière ou d’une autre, ceux qui en ont aussi besoin, mais manquent de moyens pour s’en procurer.C’est ce qui se passe en réalité au Congo. Par exemple, ne soyez pas surpris, au marché central de Kinshasa en ville, qu’un groupe de jeunes « voyous » qu’on appelle communément des chegués, c’est-à-dire enfants de la rue (puisque la plupart passent la nuit dans la rue, à la belle étoile), se permettent de vous arracher ou de vous voler en plein jour et parfois sous le regard impuissant des agents de l’ordre, soit votre téléphone entre vos mains ou un autre objet de valeur, soit des bijoux, etc. rien que pour aller les revendre à un prix dérisoire afin de se procurer de quoi manger. À cause du taux de chômage très élevé dans ce pays, la plupart des jeunes ne travaillent pas, mais sont obligés de sortir tous les jours le matin de chez eux dans l’espoir de ramener le soir à la maison le butin de sale besogne (vol, braquage, mendicité). La plupart d’entre eux ont femmes et enfants ; c’est-à-dire sont des parents mais sans moyens pour payer le loyer et faire face à la vie pour nouer les deux bouts du mois. Du coup, ils développent de l’agressivité d’une violence incroyable dans leur façon d’opérer. Et comme on peut l’imaginer, cela ne peut créer que de l’insécurité totale à telle enseigne qu’on a peur de se promener seul dans certaines rues de la ville. Du moment où l’État ne fait rien pour prendre ces jeunes désœuvrés en charge pour les occuper autrement et bien canaliser leur violence, la situation restera permanente. Malheureusement, les mêmes jeunes sont utilisés et manipulés par des politiciens (moyennant quelques billets d’argent) au nom de leurs intérêts, pour poser des actes de barbarie jusqu’au sabotage des biens publics lors de manifestations des partis politiques. Cette réalité s’observe même dans des pays dits de vieille démocratie. Par ailleurs, l’anthropologie politique congolaise se fait sur base ethno-tribale qui finalement donne une mauvaise conception du pouvoir considéré (non pas comme service), mais comme objet de gloire, de considération et domination, comme un moyen d’un enrichissement personnel et enrichissement de ses proches (sa famille, ses amis, ses collègues de promotion, ses fanatiques, etc.). Au regard de ce qui se passe en RDC, nous pouvons affirmer que la cause principale est la soif immodérée du pouvoir, de l’avoir et de la gloire qui caractérise la classe politique congolaise. Au fond, nous pouvons dire que c’est la recherche effrénée de l’argent qui en est la cause fondamentale. L’argent que l’on veut avoir par tous les moyens y compris les moyens malhonnêtes est ce qui justifie les vols, les tueries, les guerres, la corruption, et tous les autres maux. C’est le triomphe de la cupidité dont parle si bien Joseph Eugène Stiglitz (l’économiste américain) dans son livre intitulé Le triomphe de la cupidité. Cette soif immodérée de l’argent est dans le cœur de l’homme congolais. Comment arracher cette racine de tous les maux dans le cœur des hommes ? Puisque l’argent appelle l’argent, comment comprendre et arrêter ce désir de s’enrichir sans limite dans le cœur des riches, des éternels insatiables ? Mais, le plus difficile c’est comment convaincre un pauvre qu’on peut vivre heureux sur cette terre sans argent, où l’argent est utile mais pas nécessaire ? Du moment où l’argent donne l’illusion qu’il peut tout acheter (même l’amour, c’est-à-dire les amis), à l’exception de la vie éternelle si elle existe, d’autant plus que l’argent demeure bon serviteur et en même temps mauvais maître. - En outre, les conflits locaux autour de la terre interagissent avec les dynamiques nationales et internationales. Des armées étrangères sont présentes dans la région, sous prétexte de venir chasser leurs ennemis sur le sol congolais. Le processus de DDR (désarmement, démobilisation, réintégration) est difficile parce qu’il faut déjà identifier les combattants, qui sont parfois des fermiers, des pêcheurs, des chasseurs, des cultivateurs qui prennent les armes ponctuellement. La misère pousse aussi la population à rejoindre les groupes armés. Par ailleurs, le dernier enjeu de taille qui complique davantage la situation est que certains acteurs politiques, sécuritaires et institutionnels jouent aux « sapeurs-pompiers », ils sont impliqués directement ou indirectement dans le maintien de cette instabilité. Comme nous le savons, les ennemis les plus dangereux de la société ne sont pas d’abord ceux du dehors, mais plutôt ceux du dedans. Cette permanence d’instabilité sécuritaire dans l’Est de la RDC reflète à suffisance La société ouverte et ses ennemis de Karl Popper. Dans cet ouvrage de philosophie politique, écrit au début de la Seconde Guerre mondiale, Karl Popper y traite de la philosophie sociale et présente une défense de la société ouverte contre ses ennemis. Un pays dont les frontières sont poreuses est une société en proie aux ennemis, mais les ennemis les plus redoutables sont des fils d’autochtones qui jouent à la traitrise et à la complicité au détriment de leur propre pays. C’est pourquoi nous soutenons que les premiers ennemis du Congo, ce ne sont pas d’abord les étrangers, mais les congolais eux-mêmes. III. Conclusion La paix, c’est l’affaire de tout le monde ; elle se construit ensemble, mais elle reste toujours trop fragile. Pour la maintenir, chaque individu comme partie prenante de la société doit faire attention en contrôlant, en toute responsabilité, chacun sa façon de dire, d’agir, de raconter afin de juguler la métastase du cancer de la violence qui ronge nos sociétés.En effet, nul n’est à l’abri des violences. Les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis se posent pour beaucoup comme le début d’une ère nouvelle, parce qu’aucune personne n’est épargnée contre la violence gratuite et aveugle. Quand bien même on s’en prend souvent à des monuments symboliques de l’État, mais les victimes de ces attaques sont des pauvres innocents. Les attentats, le terrorisme sont devenus une menace contre tous et une des formes de violence redoutable. La violence a atteint son paroxysme dans notre monde et personne ou aucune société puissante ou démocratique soit-elle n’est à l’abri du danger de la violence gratuite. Point n’est besoin de le prouver. Plusieurs souvenirs des actes de violence enregistrés ces derniers temps dans le monde se bousculent encore dans nos mémoires. La violence ne construit pas le pouvoir, encore moins la paix. Ainsi, celui qui ne pratique pas la vérité et la justice envers son prochain ne peut être en paix avec lui-même et sa famille, ni avec la société et encore moins avec la nature et le divin. Pour ce faire, il faut des hommes qui s’auto-tiennent et qui aménagent une clairière autour d'eux, des hommes qui s’éprouvent intérieurement en luttant contre les forces contraires comme l’égoïsme, les honneurs, l’orgueil, l’amour du pouvoir, les petites glorioles, etc. En fait, il s’agit d’aménager une clairière en soi à partir de laquelle on se rend compte et on prend conscience que la responsabilité de l’autre est un devoir qui m’incombe. Ce principe, nous le trouvons déjà en Egypte antique ou pharaonique avec la question de la « mâât » qui évoque l’unité, la justice, la solidarité, l’équilibre cosmique, de la bienveillance et de la cohésion des êtres constituant l’univers. Bref, une responsabilité écologique. Au fond, puisqu’on ne finira jamais d’exploiter une thématique tant elle donne matière à réflexion, avons-nous dit dans l’introduction de cette communication ; mais au lieu que les mêmes causes produisent les mêmes effets, nous voulions par cette réflexion voir comment faire de l’eupraxie (du grec ancien) pour dire le “bien agir” la vertu architectonique (qui est conforme à l’architecture, une bonne construction) de la cité. Puisque tout homme comme sujet politique est en même temps sujet à des droits et devoirs ; nous osons croire que l’instauration des intuitions politiques justes que prône Paul Ricœur – des institutions constructives adaptées à la résolution, ou du moins à la régulation non-violente des conflits qui forment le tissu des affaires humaines – pourra aider à ouvrir de nouvelles possibilités d’un agir politique sain et rationnel qui implique du civisme dans le comportement de chaque citoyen. L’homme comme sujet capable, est capable aussi de faire ce qui est bon, juste et meilleur en évitant de retomber dans les excès ou dans les travers de nos sociétés. Par exemple, dans l’accaparement des ressources d’une partie de l’humanité pour le bénéfice de quelques personnes ou quelques groupes (rétablir la justice économique qui est réclamée sous tous les cieux par une grande partie de la population), la réduction de l’humain au statut de la chose. Pour que les choses se passent autrement, chacun d’entre nous, qui que nous soyons, doit prendre sa part et agir en sujet qui décide de son avenir et surtout de ce qu’il ne veut plus voir ni entendre parler. C’est une démarche à la fois individuelle et collective. Ainsi, la prévention de la violence et l’apaisement de nos sociétés passeront par une catharsis (ou purgation des passions selon Aristote) et par une révolution copernicienne de l’ethos individuel et collectif qui implique à la base le changement des mentalités et de la conception de la violence légitime du pouvoir de l’État. Ainsi, ce n’est qu’en rejetant l’égoïsme, l’orgueil, la convoitise et la violence que nous pourrons vivre de l’amour du prochain et de sa patrie et accéder à l’amour du bien-vivre-ensemble. En dernier ressort, nous nous posons la question de savoir s’il y a une société, même parmi les sociétés occidentales, où le mécanisme de la violence est définitivement résolu ? La réponse est simple : non, nous n’en connaissons aucune jusque-là ; cela n’existe pas. Donc, il ne faut pas non plus chercher dans la société africaine les mécanismes où la violence serait totalement résolue ou ne reviendrait plus. Nous pouvons soutenir que tant qu’il y aura des hommes, les violences et les conflits seront toujours là ; il y aura toujours des difficultés. Mais, l’essentiel pour les hommes (sociétés) c’est de savoir bien gérer les conflits avec sagesse, réduire dans la mesure du possible les écarts de niveau de vie et des injustices sociales dans la société, relancer la vie pour un cycle après des violences, aider les gens à se réconcilier et réparer le tort commis pour que le vivre-ensemble devienne possible et vivable. Au-delà des épreuves, des contradictions et des conflits qui caractérisent la vie en société et les relations entre les humains, le Congo fait face à un autre sérieux problème celui du manque d’hommes qui se tiennent en eux-mêmes ou qui s’auto-tiennent intérieurement, c’est-à-dire des hommes éprouvés qui ont une moralité et des principes de vie, des valeurs éthiques qui témoignent de la responsabilité politique dont ils ont la charge de la destinée de la nation. Donc, si vous avez des gens qui se tiennent en eux-mêmes, leur souci sera d’abord la Nation. Ils se diront en eux-mêmes : mettons d’abord sur pied des structures (des institutions fortes) qui feront que même si nous ne sommes plus là, la nation peut vivre tranquillement. Or, à partir du moment où le pays ne mettra pas en place des institutions fortes et différentes structures qui sont des garde-fous de la société, et qui contrôlent même ceux qui sont au pouvoir, rien de bon ne pourra se faire ; et nous assisterons toujours à des cycles de violences à répétition. Comme le dit justement René Girard que nous avons cité plus haut, la violence est mimétique, mais aussi aveugle. Puisqu’elle est mimétique, il faut sanctionner, réprouver tout acte de violence. Dans le cas contraire, donc par imitation, les actes des violences peuvent élire domicile dans l’imaginaire collectif de la société ou des gens pour se reproduire un jour. Et par conséquent, on aboutit à une violence générale ou à un cycle des violences qu’on ne saura plus maîtriser. Ainsi, si on n’y prend pas garde, toute une communauté peut devenir victime, de manière parfois inconsciente, de cette violence en se servant d’elle comme moyen de se faire justice et de résoudre les différends. De fait, de même que la folie du pouvoir peut conduire la violence légitime de l’État à détruire son propre pouvoir, de la même manière aussi nous devons prendre conscience que tout le monde peut être victime de la violence collective et imaginaire sans le savoir. Bien souvent, on oublie que la violence peut facilement rattraper son maître. En effet, la violence est aveugle dans la mesure où on peut savoir d’où elle vient, où elle commence ; mais on ne sait pas exactement où elle peut conduire (mesurer à l’avance ses conséquences fâcheuses), où elle finit et quel sera son terme. Parce qu’elle est aveugle, une violence peut conduire jusqu’à la mort, à la perte ou mieux à faire mal même à son propre auteur, c’est-à-dire, le sujet violent. En outre, puisque nul n’est vacciné contre la violence et nul n’est à l’abri de la violence « gratuite », la violence n’épargne personne et arrive parfois à désillusionner, à surprendre même ceux (des hommes) et celles (des institutions) qui se considèrent comme des « intouchables ». Certes, les conflits, on en aura toujours là où vivent les humains. Cependant, il y a plusieurs manières de les régler, de les gérer pacifiquement plutôt que par la voie de la violence qui, au fond, ne favorise pas le bien-vivre-ensemble. Pour ce faire, chaque citoyen ou membre de la société à quelque niveau que ce soit, doit apporter sa pierre de contribution à la construction de l’édifice d’un monde de paix tant recherché partout. En effet, en République démocratique du Congo, précisément dans sa partie Est, se perpétue une violence de grande ampleur face à laquelle le monde entier assiste de manière impuissante et indifférente pour de multiples raisons. Au-delà des justificatifs possibles que la raison humaine pourra avancer, il convient de noter qu’il y a de l’horreur face à cette violence grandissante qui inquiète énormément. Pour élargir l’horizon de recherche, cette réflexion se veut une invitation aux sociologues et anthropologues à mener des études approfondies et sensibiliser tous les esprits épris de justice, de paix, de réconciliation afin de lutter contre la violence, dans toutes ses formes. Ainsi partant de la notion de la violence légitime de l’État mal assimilée jusqu’à des violences individuelles, chaque membre de notre société doit se considérer comme partie prenante de cette lutte afin de construire un monde plus fraternel, une société d’amour, de pardon, de justice, de solidarité, de générosité et de paix où il fera beau et bon vivre-ensemble.
Godefroid Nzila, |
LIR3S Laboratoire interdisciplinaire de Recherche “Société, Sensibilités, Soin”, UMR 7366 uBFC/CNRS (Sous la direction de Jean-Claude Gens) |
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[1]
Encyclopédie de la philosophie, La Pochothèque, Garzanti, Librairie Générale
Française 2002, pour la traduction et l’adaptation, p. 1658.
[2]
Paul Ricœur, Politique, Economie et Sociétés. Ecrits et conférences, Paris, la couleur des
idées, Seuil, 2019, p. 266.
[3]
Paul Ricœur, Lectures 1. Autour du politique, «
Eric Weil, violence et langage », p. 134.
[4]
Encyclopédie de la philosophie, La Pochothèque, Librairie Générale Française,
2002, p. 523
[5]
Ibid.,
p. 269.
[6]
« Hannah Arendt, De la philosophie au politique », dans Lectures 1. Autour du politique, p. 18.
[7]
Pierre-Olivier Monteil, Ricœur politique, p. 45.
[8]
Hannah Arendt, « Sur la violence », p. 154 ; Repris dans
Du mensonge à la violence. Essais de politique contemporaine,
Paris, Calmann-Lévy (coll. Agora), 1972, p. 135.
[9]
« Hannah Arendt, Pouvoir et violence », Lectures 1. Autour du politique, p. 22.
[10]
Ibid.,
p. 320.
[11]
Paul Ricœur,
Du texte à l’action. Essai
d’herméneutique,
II, Paris, Seuil, 1998, p. 400.
[12]
Pierre Bourdieu cité par Ugo Palheta, dans « Violence symbolique et résistances populaires : Retour sur
les fondements théoriques d’une recherche », Education et socialisation, vol. 37, 2015, mis en ligne le
01 mars 2015, consulté le 2 juin 2021.
[13]
Voir « L’antinomie de la réalité humaine et le
problème de l’anthropologie philosophique », infra, p. 21.
[14]
Sagesse pratique de Paul Ricoeur qui commente
l’impératif kantien dans Soi-même comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 312
[15] Paul Ricœur,
Philosophie, éthique et politique. Entretiens et dialogues, Paris, Seuil, 2017, p. 122.
[16]
Penser la violence avec René Girard, cité par Guillaume Devin et Michel Hastings, 10 concepts d’anthropologie en science politique,
Paris, CNRS Editions, 2018, p. 221.
[17]
Romain Gary, La « société de provocation »,
dans Le Magasin d’idées.fr., consulté en
ligne ce 12/avril/2021.
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Pour citer cet article : Godefroid Nzila, « L’héritage de la violence fondatrice selon Paul Ricœur et les justificatifs de la violence sociale : cas de la République démocratique du Congo », Revue TRANSVERSALES du LIR3S - 20 - mis en ligne le 12 janvier 2022, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/Transversales.html. Auteur : Godefroid Nzila Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Transversales/menus/credits_contacts.html ISSN : 2273-1806 |