La modification de l’expression génétique de la descendance de l’homme

Les maladies génétiques ont toujours existé mais cinquante ans en arrière, les médecins assistaient, impuissants, au décès des patients qui souffraient d’un mal étrange. Les progrès de la médecine ont permis d’identifier les causes et les effets de ces maladies ; l’étape est essentielle dans le processus thérapeutique. Les maladies génétiques sont causées par des erreurs de transcription dans le patrimoine génétique, elles sont laissées au hasard du brassage génétique. Les chercheurs ont dû alors rechercher un moyen thérapeutique qui permette de corriger ces erreurs géniques sans en provoquer d’autres. Comme la gomme qui vient effacer ce qui a été inexactement écrit par le crayon de papier, les chercheurs ont mis au point  un moyen thérapeutique qui puisse effacer ou corriger l’erreur génétique. C’est ainsi que la thérapie génique a vu le jour. Si la présentation de cette thérapie innovante semble simple, sa mise en œuvre est délicate et d’une haute technicité. La thérapie génique est cependant devenue un moyen thérapeutique privilégié par les chercheurs[1] même si elle comporte de nombreux risques[2].

D’un point de vue protocolaire, la thérapie génique s’applique au niveau du noyau des cellules humaines où se trouve le patrimoine génétique. Les chercheurs interviennent ainsi sur les gènes malades en insérant un brin d’ADN sain dans le cœur d’une cellule humaine. Si la thérapie fonctionne, le brin d’ADN sain corrige l’erreur génique existante, ce qui permet au corps de recouvrer un fonctionnement normal. Il existe deux types de thérapie génique car le corps humain comprend deux types cellulaires : les cellules somatiques ou les cellules germinales. Ces deux types cellulaires ont une fonction différente[3]. Les cellules somatiques sont destinées au fonctionnement du corps humain alors que les cellules germinales sont impliquées dans la reproduction. L’intervention des chercheurs sur les cellules reproductrices pose la problématique de la modification des caractères génétiques de la descendance[4]. Au premier abord, la thérapie génique germinale peut être perçue comme le moyen de préserver la santé d’une lignée familiale, cependant le législateur la considère comme dangereuse et a décidé de la proscrire. Après avoir rappelé les motifs de cette interdiction juridique, nous discuterons de son bien-fondé.

L’interdiction juridique de la thérapie génique germinale

La thérapie génique germinale est interdite, les textes sont clairs en la matière et ne prêtent pas à discussion. Cette interdiction est clairement fixée depuis 1994 avec l’entrée en vigueur des premières lois de bioéthique[5]. Transposée dans le Code civil, l’article 16-4 dispose dans son premier alinéa « Nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine » ; et dans son dernier alinéa « Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne ».

Sur le plan européen, cette interdiction a été reprise par l’article 13 de la Convention Européenne pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine du 4 mai 1997 en ces termes : « une intervention ayant pour objet de modifier le génome humain ne peut être entreprise que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elle n’a pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance ».

Dans notre droit interne, cette interdiction n’a pas valeur constitutionnelle. Une loi pourrait alors la remettre en cause mais la France est tenue de respecter les normes européennes dont fait partie la convention européenne précitée. L’interdiction de la thérapie génique germinale est légitimée par l’argument de la protection de l’espèce humaine, pourtant cette prohibition mérite discussion.

Discussion sur le bien-fondé de l’interdiction de la thérapie génique germinale

Comme toutes les questions qui font débat, la remise en cause de l’interdiction de la thérapie génique germinale pourrait avoir ses avantages et ses inconvénients. À l’étude de ces arguments, nous comprendrons les motifs de son interdiction.

- Les arguments en faveur de l’autorisation de la thérapie génique germinale :

L’application de la thérapie génique germinale pourrait éradiquer une maladie héréditaire à long terme au sein d’une même famille.
Cette thérapie a l’avantage d’être à la fois curative et préventive.

- Les arguments en faveur du maintien de l’interdiction de la thérapie génique germinale :

Arguments scientifiques

La transmission des anomalies génétiques est affaire de probabilité. Chaque parent ne transmettant que la moitié de son patrimoine génétique, l’un d’eux a une chance sur deux de transmettre un gène malade[6].

Cette probabilité peut être diminuée en fonction de l’expression des gènes puisque cette dernière dépend de la concordance des deux moitiés de patrimoines génétiques fusionnés de la mère et du père ainsi que du caractère dominant ou récessif du gène malade. Une anomalie ne s’exprime que si elle est dominante. Une personne peut donc être porteuse d’une anomalie qui ne s’exprime pas, puisqu’elle est récessive[7]. La transmission des maladies est le fruit du hasard ; même porteur d’un gène malade, des parents peuvent engendrer des enfants non porteurs. De ce point de vu, la thérapie génique germinale n’apparait pas inévitable et utile.

L’on méconnaît encore les effets à long terme de la thérapie génique sur toute la descendance[8]. Il apparaît hasardeux de confier la charge de la modification des caractères génétiques de la descendance aux médecins qui ne maîtrisent aucunement le mécanisme de l’hérédité fondé sur le hasard.

Arguments sociétaux

Il doit être pris en compte que les mœurs ont évolué. La longévité des unions s’amenuisent. Il n’est pas rare aujourd’hui qu’un homme ou une femme ait des enfants avec plusieurs partenaires, ce qui vient bousculer les règles de probabilité énoncées auparavant. Un partenaire peut avoir plus ou moins de chance de transmettre une maladie en fonction du patrimoine génétique de l’autre. Toujours est-il que les probabilités de transmission d’une maladie ne seront pas les mêmes d’un partenaire à un autre. Si bien qu’une thérapie génique germinale utile avec un partenaire peut perdre en nécessité avec un autre partenaire.

Arguments éthiques

La thérapie génique, une fois appliquée, est irréversible. Malgré plusieurs essais de thérapie génique somatique réussis, ce traitement est encore expérimental. Ses effets sont encore aléatoires, l’intervention médicale sur les gènes de la descendance présenterait un risque non négligeable qui pourrait mettre en péril cette descendance et qui légitime son interdiction en raison du principe de précaution. 

Mais surtout, la remise en cause de l’interdiction de la thérapie génique poserait la délicate question de la modification génétique de convenance et, in fine, de l’eugénisme[9]. Si la vocation première de la thérapie génique est purement curative et thérapeutique, la demande de la modification des caractères génétiques de la descendance reposerait sur la seule volonté des parents. Le médecin devrait alors rechercher les raisons de cette demande et s’assurer de sa portée thérapeutique[10]. C’est en cela que l’interdiction de la thérapie génique germinale prend tout son sens. L’homme est dominé par la pulsion de maîtriser la reproduction[11]. La thérapie génique germinale représente un risque eugénique en ce qu’elle pourrait répondre à l’exigence d’amélioration de l’espèce humaine. De ce point de vue, l’interdiction de la modification des caractères génétiques de la descendance apparaît fondée. Cela est d’autant plus vrai en ce que les applications de cette voie thérapeutique essaient de déjouer les règles de l’hérédité que le médecin ne peut pas réellement maîtriser.

Conclusion

La thérapie génique germinale pourrait être, du point de vue curatif, une avancée importante et intéressante. Pour autant, ses vertus s’amenuisent lorsque sont développés les arguments sociétaux, scientifiques et même éthiques qui la contredisent.

Au regard du rôle que joue le hasard dans la transmission des caractères génétiques à la descendance, les applications de la thérapie génique germinale apparaissent hasardeuses et son interdiction bien-fondée.

Patricia Mariller
Centre Georges Chevrier,
UMR 7366 CNRS-uB
(sous la direction de Noël-Jean Mazen)


[1] En témoignent les activités du généthon.
[2] De nombreux essais de thérapie génique se sont soldés par un échec, parfois mortel (cas de Jesse Gelsinger aux États-Unis ou des enfants-bulles soignés par le professeur Fischer en France).
[3] Chaque cellule est programmée pour être ordinaires (dites somatiques) ou sexuelles (dites germinales). Les amas de cellules somatiques composent les organes, des cellules différenciées programmées pour se comporter selon le type cellulaire auquel elles appartiennent. Les cellules sexuelles sont destinées, non pas à faire fonctionner un organe, mais à engendrer une descendance en lui transmettant le patrimoine génétique nécessaire au développement de la vie humaine.
[4] La modification du patrimoine génétique de ces cellules ne soignent pas la personne concernée mais modifie les caractères génétiques qu’elle peut transmettre à sa descendance.
[5] Le législateur a suivi l’avis du comité consultatif national d’éthique clairement opposé à la thérapie génique germinale. En ce sens, avis n° 22 sur la thérapie génique, 13 décembre 1990 ; avis n° 27 sur la non-commercialisation du génome humain, 2 décembre 1991 ; avis n° 36 sur l’application des procédés de thérapie génique somatique, 22 juin 1993.
[6] J.-L. Serre, La génétique, idées reçues, Paris, éd. Le cavalier bleu, février 2006, p. 25 ; F. Jacob, E. Fox Keller, Le siècle du gène, Paris, Gallimard, 2003, préface, p. III.
[7] Plusieurs combinaisons sont possibles : si l’un des parents est porteur d’un gène malade dominant, il a une chance sur deux de le transmettre à sa descendance. Si les deux parents son porteurs dominants, ils transmettront à coup sûr le gène malade. Si les deux parents sont porteurs d’un gène malade récessif, il ne deviendra dominant et s’exprimera chez la descendance que si les deux parents le transmettent ; ce qui fait une chance sur quatre que la descendance soit touchée ou une chance sur quatre qu’elle ne le soit pas. 
[8] G. Hottois, « La thérapie génique germinale en discussion », Laval théologique et philosophique, volume 54, 2 juin 1998, p. 228 et suiv.
[9] M. Morange, « l’eugénisme aujourd’hui », in M. Iacub et P. Jouannet [dir.], juger la vie, Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2001, p. 16-34.
[10] Article 16-3, alinéa 1er du Code civil.
[11] J. Testart, Des hommes probables, Paris, Le seuil, 1999, p. 78 et suiv.


Pour citer cet article :
Patricia Mariller, « La modification de l’expression génétique de la descendance de l’homme », Revue TRANSVERSALES du Centre Georges Chevrier - 2 - mis en ligne le 12 mars 2014.
URL : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/transversales/Que_peut_le_corps/P_Mariller.html
Auteur : Patricia Mariller
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