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Le jeu au prisme des sciences humaines et sociales
La valeur du ludique dans la pensée existentielle
et politique de Pascal
Gheorghe Florin Irimia
Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Notes | Références
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RÉSUMÉ

Blaise Pascal (1623-1662) consacre une partie considérable de ses réflexions (recueillies dans le volume posthume Les Pensées) à l’analyse du divertissement. Conformément à son ascendant latin divertere (« détourner de »), la notion de divertissement désigne chez Pascal une pratique d’esquive, un subterfuge pour combler l’ennui et l’angoisse existentielle. Néanmoins, le divertissement n’est pas thématisé dans une optique morale. En effet, la critique pascalienne du divertissement ne s’inscrit pas dans la logique d’une philosophie morale selon laquelle le ludique serait la tentation à éviter pour mieux conduire sa vie. Ce qui prévaut chez Pascal est la dimension ontologique du divertissement liée à la condition de l’existence humaine. Nonobstant son caractère gratuit, le divertissement est le principe organisateur de la société dans la mesure où le ludique rend possible et codifie le spectacle de la vanité offert par la cour royale, la pratique de la chasse et de la guerre, la quête de charges à l’intérieur du royaume, le jeu de la séduction, les occupations intellectuelles, le sport, les fêtes, la conversation, etc. La société peut être envisagée comme un theatrum mundi étant donné que le ludique est sous-jacent à toutes les manifestations sociales et politiques de l’homme. En conséquence, chaque membre de la société se prête au jeu correspondant à son rôle à l’intérieur de la communauté. Par exemple, la constitution de la cour versaillaise sous Louis XIV permet une mise en scène du pouvoir absolu. Il en est de même pour les corps de métiers ; les juristes, les médecins, les membres du clergé, etc. sont reconnus et respectés en tant que tels dans la mesure où ils se prêtent au jeu imposé par leur activité : une certaine tenue vestimentaire, un certain moyen de locomotion, une certaine façon de parler, etc.
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Mots-clés : Pascal, divertissement, jeu, baroque, politique
Index géographique : Europe occidentale
Index historique : XVIIe siècle
SOMMAIRE

I. Introduction
II. Divertissement comme moyen de contourner l'angoisse « baroque »
1) L'angoisse baroque
2) Le malheur des hommes consiste dans l'impossibilité de demeurer avec plaisir chez soi
III. Le jeu dans l'espace politique
1) La démystification de l'ordre politique
2) La politique comme spectacle théâtral
IV. Conclusion
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I. Introduction

Nous nous proposons dans cet article d’offrir un bref aperçu de la valeur du ludique chez Pascal en tenant compte de l’arrière-plan baroque qui, à nos yeux, conditionne la pensée philosophique de la fin du xvie siècle et de la première moitié du xviie siècle[1]. Dans la première partie de ce texte, nous allons considérer la façon dont Pascal conçoit le divertissement comme moyen par lequel l’individu fuit l’angoisse qui découle de l’absurdité de la condition humaine. Dans la deuxième partie, qui occupera la plupart de cette présentation, l’ordre politique et social sera entièrement conçu comme un espace de jeu semblable au jeu théâtral.

Mentionnons d’abord que Pascal est un chrétien militant. En conséquence, ses réflexions sur la valeur du divertissement au niveau individuel et du jeu au niveau politique reflètent une certaine vision dépréciative de l’homme et de la société. On pourrait dire que Pascal, en tant que janséniste, incarne un certain fondamentalisme chrétien qui, en son temps, l’oppose à la ligne modérée de l’Église représentée par les Jésuites[2]. Cependant, l’intérêt contemporain vis-à-vis des réflexions pascaliennes est dû au fait que l’approche pascalienne est moins morale qu’existentielle. Il ne s’agit pas chez Pascal de condamner la futilité du divertissement et les fondements de la politique, mais de mettre en lumière le divertissement et le jeu comme une dimension essentielle, voire fondatrice, du comportement individuel et du comportement social.

II. Divertissement comme moyen de contourner l’angoisse « baroque »

1) L’angoisse baroque

Avant d’expliciter la valeur du divertissement dans la pensée existentielle de Pascal et du jeu dans sa pensée politique, nous devons préciser le cadre culture – qu’on appelle communément, et peut-être de façon approximative, « baroque » – qui conditionne à la fois l’émergence d’un certain pessimisme à l’égard de la nature humaine (dont la pensée politique de Hobbes sera l’apogée) et d’un scepticisme radical à l’encontre de l’ordre politique et moral.

Habituellement, l’ère baroque suscite la curiosité de la postérité critique grâce aux changements politiques et culturels qui la caractérisent et qui précipitent l’effondrement de la compréhension traditionnelle du monde, en préparant ainsi l’avènement de la « modernité ».

En ce sens, la reconfiguration de la carte politique de l’Italie durant le xvie siècle, l’instabilité politique du royaume de France due aux guerres de religions et à la suite de régences et de petits règnes qui suivirent l’assassinat d’Henri IV, les tensions politiques et religieuses du Saint Empire depuis le procès de Luther jusqu’à la fin de la Guerre de Trente Ans, et les troubles politiques, dynastiques et religieux à l’intérieur du Royaume d’Angleterre et d’Irlande instaurent en Occident un climat d’instabilité politique et sociale favorable à la refondation de la pensée politique. Ainsi, lorsqu’on parle de la méfiance de Shakespeare, de Hobbes, de Calderón ou de Pascal à l’égard de l’anarchie, il nous semble pertinent d’évoquer l’expérience de la guerre civile.

Sur le terrain des révolutions culturelles, plusieurs phénomènes entraînent le développement d’une vision du monde contraire à la notion d’équilibre et d’ordre promue durant des siècles à travers l’exégèse chrétienne de la philosophie d’Aristote. Les grandes découvertes géographiques marquent les prémisses de la mise en question de l’ordre politique et social européen durant les xviie et xviiie siècles. Les libres penseurs, les pyrrhoniens et les libertins, tant critiqués sous la plume d’un penseur chrétien comme Pascal, font leur apparition et remettent en question les fondements de la connaissance, de la morale et de la politique. L’avènement d’une nova scientia expérimentale sonne le glas des spéculations métaphysiques sur la nature et sur l’homme et conduit à l’héliocentrisme de Copernic et de Galilée dont les conséquences philosophiques sont dramatiques : l’univers cesse d’être conçu, à la manière des Grecs, comme un ordre (kosmos) dont les éléments sont disposés téléologiquement parce que le finalisme est incompatible avec l’idée d’un univers infini. Dans cette nouvelle optique, la Terre n’est plus le centre de l’univers, mais un astre parmi d’autres. Le corollaire anthropologique de la nouvelle science consiste alors dans la rétrogradation de l’homme du statut de « couronne de la création » à être insignifiant par rapport au caractère infini du monde[3]. À cela s’ajoute la crise traversée par l’Église catholique, le pilier historique de la vérité, qui, à son tour, doit s’adapter aux exigences du nouveau temps.

Étant donné ces faits, l’historien de la culture constate que le monde baroque souffre d’une véritable crise de l’objectivité, dans la mesure où la mise en question des paramètres géographiques, politiques, religieux et philosophiques de l’ancien monde rend la réalité opaque derrière les couches successives d’interprétations ayant montré leur faillibilité[4].

Nous nous trouvons dans un contexte culturel qui met l’accent sur la fragilité de l’existence, sur l’impossibilité d’établir quelque chose de constant dans la politique et dans la morale et, de manière générale, sur la vanité, c’est-à-dire sur l’absence de sens de toute entreprise humaine. Dans ce monde qui semble correspondre aux paroles de l’Ecclésiaste Vanitas vanitatum omnia vanitas, le seul moyen de fuir la tristesse, c’est de s’occuper, c’est-à-dire de détourner sa pensée de soi-même. Alors, le divertissement peut être compris comme un refus du recul par rapport au plaisir du moment, comme un moyen de balayer l’angoisse existentielle relative à notre condition dans le monde[5] :

« Les hommes n’ayant pu guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour être heureux, de n’y point penser[6]. »

« L’unique bien des hommes consiste donc à être divertis de penser à leur condition ou par une occupation qui les détourne, ou par quelque passion agréable et nouvelle qui les occupe, ou par le jeu, la chasse, quelque spectacle attachant, et enfin par ce qu’on appelle divertissement[7]. »

Si la misère de sa condition porte l’homme naturellement vers la mélancolie, les Grands de ce monde sont davantage concernés parce qu’ils sont les premiers touchés par les changements de la fortune[8]. Pour cette raison, il leur faut davantage de divertissement :

« Quelque condition qu’on se figure, si l’on assemble tous les biens qui peuvent nous appartenir, la royauté est le plus beau poste du monde et cependant, qu’on s’en imagine, accompagné de toutes les satisfactions qui peuvent le toucher, s’il est sans divertissement et qu’on le laisse considérer et faire réflexion sur ce qu’il est  – cette félicité languissante ne le soutiendra point – il tombera par nécessité dans les vues qui le menacent, des révoltes qui peuvent arriver et enfin de la mort et des maladies qui sont inévitables, de sorte que, s’il est sans ce qu’on appelle divertissement, le voilà malheureux, et plus malheureux que le moindre de ses sujets qui joue et qui se divertit[9]. »

2) Le malheur des hommes consiste dans l’impossibilité de demeurer avec plaisir chez soi

La recherche du divertissement est d’abord une fuite de soi-même, un refus naturel de l’isolement chez soi. L’angoisse existentielle naît de la solitude car c’est dans les moments de solitude que l’être humain se retrouve devant lui-même et prend conscience du caractère contingent de son existence. Alors, l’homme oppose au silence angoissant de la solitude le tracas de l’existence sociale parce que « c’est le tracas qui nous détourne pour y penser et nous divertir[10] » : 

« Quand je m’y suis mis quelquefois à considérer les diverses agitations des hommes, et les périls, et les peines où ils s’exposent dans la Cour, dans la guerre d’où naissent tant de querelles, de passions, d’entreprises hardies et souvent mauvaises, etc. j’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre. Un homme qui a assez de bien pour vivre, s’il savait demeurer chez soi avec plaisir n’en sortirait pas pour aller sur la mer ou au siège d’une place ; on n’achèterait une charge à l’armée si cher que parce qu’on trouverait insupportable de ne bouger de la ville et on ne recherche les conversations et les divertissements des jeux que parce que qu’on ne demeure chez soi avec plaisir[11]. »

Étant recherche du tracas, le divertissement est, pour Pascal, la finalité[12] cachée de toute activité humaine : la danse, le billard, le jeu de la balle, la chasse, la navigation, la guerre, l’exercice d’une fonction dans l’armée ou dans l’administration du royaume, les spectacles de la cour, les activités intellectuelles comme les mathématiques, l’apprentissage des langues, etc.

III. Le jeu dans l’espace politique

1) La démystification de l’ordre politique

Dans ses réflexions politiques, Pascal partage le scepticisme baroque à l’égard de la légitimité de toute forme de gouvernement et de hiérarchisation sociale. Comme Machiavel, Montaigne ou Hobbes, Pascal fait partie de cette lignée de penseurs modernes qui mettent en question l’idée que la hiérarchie des conditions sociales et des rôles politiques, héritée du Moyen Âge, repose sur un « droit naturel », c’est à dire sur la reproduction à l’échelle humaine d’un ordre universel conçu comme une scala naturae (« chaîne des êtres »), en d’autres termes comme une hiérarchie des êtres qui commence par les minéraux et continue avec les plantes, les animaux, les hommes, les esprits purs (les anges), pour aboutir à l’être suprême (Dieu). 

Dans le premier des Trois discours sur la condition des Grands adressés au futur duc Charles-Honoré de Chevreuse, Pascal propose l’allégorie suivante pour montrer le caractère non-nécessaire, c’est à dire contingent de l’ordre politique :

« Pour entrer dans la véritable connaissance de votre condition, considérez-la dans cette image. Un homme est jeté par la tempête dans une île inconnue, dont les habitants étaient en peine de trouver leur roi, qui s’était perdu ; et, ayant beaucoup de ressemblance de corps et de visage avec ce roi, il est pris pour lui, et reconnu en cette qualité par tout ce peuple. D’abord il ne savait quel parti prendre, mais il se résolut enfin de se prêter à sa bonne fortune. Il reçut tous les respects qu’on lui voulut rendre, et il se laissa traiter de roi.

Mais, comme il ne pouvait oublier sa condition naturelle, il songeait, en même temps qu’il recevait ces respects, qu’il n’était pas ce roi que ce peuple cherchait, et que ce royaume ne lui appartenait pas. Ainsi il avait une double pensée : l’une par laquelle il agissait en roi, l’autre par laquelle il reconnaissait son état véritable, et que ce n’était que le hasard qui l’avait mis en place où il était. Il cachait cette dernière pensée, et il découvrait l’autre. C’était par la première qu’il traitait avec le peuple, et par la dernière qu’il traitait avec soi-même.

Ne vous imaginez pas que ce soit par un moindre hasard que vous possédez les richesses dont vous vous trouvez maître, que celui par lequel cet homme se trouvait roi. Vous n’y avez aucun droit de vous-même et par votre nature, non plus que lui ; et non seulement vous ne vous trouvez fils d’un duc, mais vous ne vous trouvez au monde que par une infinité de hasards. Votre naissance dépend d’un mariage, ou plutôt de tous les mariages de ceux dont vous descendez. Mais ces mariages, d’où dépendent-ils ? D’une visite faite par rencontre, d’un discours en l’air, de mille occasions imprévues[13]. »

La première conclusion de cette image est que la politique est avant tout un jeu du hasard, à la suite duquel sont partagées les diverses conditions (prince, noble, roturier, paysan, etc.). En effet, tout ordre établi n’est que le produit d’une série de circonstances hasardeuses. En second lieu, ce qui distingue le noble (ou le roi) du personnage naufragé, c’est le fait qu’il ne doit pas sa condition à l’erreur du peuple, mais à l’ordre politique établi, en vertu duquel les biens et les titres se transmettent de père en fils et sont par cela légitimes. Mais, de nouveau, il s’agit d’une légitimité due à l’« établissement humain » et non pas à une quelconque loi naturelle :

« Cet ordre n’est fondé que sur la seule volonté des législateurs, qui ont pu avoir de bonnes raisons [pour légiférer ainsi], mais dont aucune n’est prise d’un droit naturel que vous ayez sur ces choses. S’il leur avait plu d’ordonner que ces biens, après avoir été possédés par les pères durant leur vie, retourneraient à la république après leur mort, vous n’auriez aucun sujet de vous en plaindre[14]. »

De nouveau comme Machiavel et Hobbes, Pascal est conscient que l’ordre politique et social est le produit de la violence, de la guerre entre des groupes désirant imposer leur hégémonie. En ce sens, l’État n’est rien d’autre que l’expression juridique d’un rapport de force, de la victoire d’une faction sur les autres. Cependant, pour que la guerre de factions ne soit pas renouvelée à l’infini, la nouvelle classe dirigeante a besoin d’un autre moyen que la force pour se faire obéir.

Dans les conditions où rien d’autre que la force physique ne justifie la hiérarchie sociale, le seul moyen d’assurer de façon paisible la continuité des institutions politiques est le jeu. Pour que le roi soit considéré roi, il faut qu’il joue au roi, c’est-à-dire qu’il faut qu’il adapte son comportement public au rang possédé. À cet égard, Pascal partage le point de vue exprimé par Machiavel dans Le Prince : quel que soit la manière dont le pouvoir fût établi, le souverain doit donner l’impression que le pouvoir lui revient naturellement. Du coup, il se montre juste, même s’il ne l’est pas, il est accompagné des représentants de l’Église, il est entouré de courtisans, etc. La même chose est valable pour toutes les catégories sociales et socio-professionnelles. Le noble joue à son tour au noble. De même, les fonctionnaires de l’État, les membres du clergé et les hommes exerçant une profession libérale ne peuvent obtenir la reconnaissance publique qu’au moyen du jeu.

La légitimité du pouvoir ne pourrait jamais venir du « droit naturel » dans la mesure où l’âme et le corps des hommes « sont d’eux-mêmes indifférents à l’état de batelier ou à celui de duc »[15] ; il n’y a donc aucun lien naturel qui attache un homme plutôt à la condition de duc qu’à celui de batelier. Toutefois, le besoin de stabilité politique exige que le noble dissimule le caractère contingent de sa condition. En bon chrétien, le noble doit avoir la double pensée du personnage naufragé : une visible qu’il montre au peuple lorsqu’il joue au noble, une autre cachée, dans laquelle il reconnaît l’illégitimité de son pouvoir :

« Le peuple qui vous admire ne connaît pas peut-être ce secret. Il croit que la noblesse est une grandeur réelle et il considère presque les grands comme étant d’une autre nature que les autres. Ne leur découvrez pas cette erreur, si vous voulez ; mais n’abusez pas de cette élévation avec insolence, et surtout ne vous méconnaissez pas vous-même en croyant que votre être a quelque chose de plus élevé que celui des autres[16]. »

2) La politique comme spectacle théâtral

L’importance du jeu dans le comportement interhumain permet d’envisager la société comme un grand spectacle théâtral, conformément à la thématique stoïcienne du theatrum mundi[17] largement répandue dans l’Europe baroque de la fin du xvie siècle et de la première moitié du xviie siècle[18], dans un contexte de revalorisation chrétienne du stoïcisme antique qui laisse des traces dans les productions culturelles de l’époque, qu’il s’agisse du théâtre auto-sacramental de Calderón ou de la morale par provision d’un penseur plus laïc comme Descartes[19]

Avant l’association baroque du monde au théâtre, la fiction théâtrale avait, dans la tradition poétique aristotélicienne, une dimension épistémologique car il s’agissait d’imiter les actions des hommes pour offrir au spectateur une vision générale de la nature humaine, différente de l’approche purement factuelle de l’historien[20]. En revanche, dans le baroque, l’exigence de mimesis est réinterprétée selon une vision du monde contraire à l’optimisme épistémologique traditionnel (platonique, aristotélicien ou chrétien). La mise en relief de l’instabilité du monde à travers le mouvement incessant et le caractère éphémère des choses enlève à la réalité la profondeur ontologique qu’elle avait dans le système de pensée traditionnel. Étant donné que derechef les choses sont saisies uniquement au niveau de leur superficialité phénoménale, que l’être semble absent derrière le spectacle hallucinant du paraître[21], la fiction perd forcément sa valeur gnoséologique. La fiction ne saurait plus imiter l’ordre des choses car le monde semble plutôt un labyrinthe dans lequel les signes étonnent par leur opacité.

Dans le contexte où tout semble un défilé de masques et de signes qui cachent plus qu’ils ne révèlent, la mimesis ne peut plus avoir comme objet l’être des choses et est obligée de rendre compte de ce qui se laisse à voir, à savoir le paraître. Le rapport entre la fiction et le réel est entièrement reconfiguré en fonction de la dévaluation ontologique de la réalité ; en perdant sa profondeur ontologique, le réel n’est plus synonyme de l’être (immuable, substantiel), mais des phénomènes sensibles, de ce qui apparaît (phainomen). Une fois la réalité réduite aux phénomènes, la frontière entre la réalité et la fiction devient floue.

Comme les personnages d’une représentation théâtrale, les rôles politiques et sociaux manquent de consistance ontologique. Le roi n’est pas roi par nature de la même façon dont l’acteur d’une pièce de théâtre n’est pas le personnage qu’il incarne durant la représentation. Toutefois, autant le roi que l’acteur sont jugés en fonction de leur capacité à entretenir l’illusion, c’est-à-dire selon leur habilité à s’identifier au personnage qu’ils incarnent. En ce sens, la codification du spectacle de la cour de Louis XIV, en particulier après son mariage avec Marie-Thérèse d’Autriche, peut être considérée comme une transposition sur le sol français de la toute puissance de l’étiquette à la cour d’Espagne, qui avait inspiré à l’époque baroque la pièce Le Grand théâtre du monde de Calderón.

Tout ordre politique perdure grâce à la virtuosité avec laquelle ses membres interprètent leurs rôles sociaux. La particularité de la France de Louis XIV consiste dans la perfection du jeu interprété par le roi et sa cour qui a permis ainsi au souverain de donner pleinement l’impression qu’il n’y a aucune différence de nature entre l’acteur Louis et le personnage Louis XIV.

Pour Pascal, le jeu social a pour but de compenser l’absence de légitimé de l’organisation politique. De ce fait, la pensée politique de Pascal est à la fois subversive et conservatrice. Elle est subversive dans la mesure où elle anticipe le xviiie siècle et la Révolution française où le pouvoir est mis à nu, dans son absence de légitimité. Malgré le fait qu’il ne serait jamais légitime, l’ordre politique est préférable à la guerre civile, raison pour laquelle Pascal insiste sur la nécessité de l’illusion de légitimité et se montre en ce sens conservateur, surtout à l’égard de ceux qu’il appelle les « demi-habiles[22] », à savoir les demi-savants qui démystifient l’organisation politique et sociale sans pouvoir mettre quelque chose à sa place.

Pour Pascal, la légitimité de l’ordre politique et social est imaginaire. Comme on ne saurait pas démontrer la rationalité de la hiérarchie politique et sociale en invoquant le droit naturel, le spectacle, auquel les grands de ce monde se prêtent, ne s’adresse pas à la raison, mais à l’imagination, dont Pascal dit qu’elle est la « partie dominante de l’homme[23] ».

Au xviie siècle, le terme « imagination » désigne la faculté qu’a l’esprit à se représenter ou à former des images des choses qui sont absentes[24]. Par exemple, je peux imaginer un triangle, les pyramides ou les personnes croisées hier. Cette faculté peut être particulièrement productive lorsqu’elle propose des modèles explicatifs, comme c’est le cas du modèle de la machine dans l’explication mécanique de la nature chez Descartes, ou de l’image du monde comme scène de théâtre dans la tradition stoïcienne. Toutefois, l’imagination est aussi, comme Pascal le suggère, « maîtresse d’erreur et de fausseté, et d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours[25] ».

La puissance de l’imagination de représenter des choses absentes devient particulièrement productive dans la politique. Comme nous l’avons dit, la force est l’origine première de l’ordre politique. En revanche, l’imagination est le facteur constitutif de la politique, car c’est elle qui rassemble le souverain et les sujets autour d’une représentation commune de l’État et de la société, que nous désignons aujourd’hui par le terme « idéologie[26] ». Cette représentation commune n’est rien d’autre qu’une construction fictive. Rien dans la nature ne justifie l’ordre politique, à part la force du plus puissant. Dans cette situation, l’imagination a pour vocation de rationnaliser le domaine politique, d’imaginer, au sens moderne de feindre, de truquer, des principes et des symboles qui peuvent donner à la politique le nécessaire semblant de légitimité. Et, comme dans une pièce de théâtre, les acteurs du politique doivent jouer leurs rôles en invoquant les symboles fictifs du pouvoir qui sont reconnaissables par la société entière et qui permettent aux spectateurs de se représenter l’ordre politique comme légitime et comme réel.

La condition d’existence des signes du pouvoir consiste dans leur transparence, leur dématérialisation afin d’indiquer autre chose à travers eux. Ceci est d’autant plus valable lorsqu’il s’agit de désigner à travers des articles vestimentaires et des objets, le sexe, l’appartenance sociale ou le rôle politique d’une personne. Au xviie siècle, le roi rend visible son pouvoir royal à travers des signes matériaux comme la couronne et le sceptre. Or, ce n’est pas le matériau précieux en lui-même ou la matière du sceptre qui rend visible la notion abstraite de royauté, mais la signification que ces objets ont dans un monde qui se dévoile à travers un réseau complexe de signes institués :

« La coutume de voir les rois accompagnés de gardes, de tambours, d’officiers et de toutes les choses qui ploient la machine vers le respect et la terreur fait que leur visage, quand il est quelquefois seul et sans ses accompagnements imprime dans leurs sujets le respect et la terreur parce qu’on ne sépare point dans la pensée leur personne d’avec leurs suites qu’on y voit d’ordinaire jointes. Et le monde qui ne sait pas que cet effet vient de cette coutume, croit qu’il vient d’une force naturelle. Et de là viennent ces mots : le caractère de la divinité est empreint sur son visage[27]. »

Dans une société organisée et hiérarchisée, le vêtement et les manifestations corporelles répondent à une exigence de transparence, propre aux signes, afin de pouvoir rendre visible l’identité personnelle. Le fonctionnement du signe est donc indissociable du pouvoir de l’imagination dont le but est de charger de sens les signes en vertu d’une grille d’interprétation préalablement définie et unanimement acceptée :

« Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire. Et si les médecins n’avaient des soutanes et des mules et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auraient dupé le monde, qui ne peut résister à cette montre si authentique. S’ils avaient la véritable justice et si les médecins avaient le vrai art de guérir, ils n’auraient que faire de bonnets carrés. La majesté de ces sciences serait assez vénérable d’elle-même. Mais n’ayant que des sciences imaginaires il faut qu’ils prennent ces vains instruments, qui frappent l’imagination, à laquelle ils ont affaire. Et par là en effet ils s’attirent le respect[28]. »

On pourrait corroborer cette considération pascalienne de l’importance de la transparence de l’identité sociale (qu’il s’agisse du rang social, du métier ou du rôle politique d’une personne) à travers l’emploi des signes extérieurs avec un même constat fait par Souiller dans ses Commentaires à La vie est un songe, dans lesquels le spécialiste de la littérature baroque martèle à plusieurs reprise que :

« Le langage, les costumes, les astres ou les relations entre les sexes, sont autant de signes qui fonctionnent selon une relation arbitraire et codifiée, fondée sur la transparence du rapport signifiant-signifié et l’herméneutique néo-aristotélicienne ou thomiste selon laquelle la forme informe l’être[29]. »

Il faut remarquer que l’imagination est d’autant plus constructive que la chose qu’elle représente est moins palpable. Dans l’apparat judiciaire, les hommes doivent respecter un certain code vestimentaire, comportemental et verbal, doivent siéger dans un palais imposant et être entourés par toute une série de symboles afin de susciter l’imagination de ceux qui les regardent en leur donnant l’illusion d’un pouvoir constitué non pas à la suite de l’évolution hasardeuse de la société et des coutumes, mais d’une manière nécessaire. En un mot, le rôle des symboles accompagnant la justice est d’imaginer que la justice a une dimension transcendante, sacrée.

En ce qui concerne les médecins et les savants, leur problème se trouve dans le fait que leur savoir est caché. Il ne suffit pas de regarder un homme pour savoir qu’il est médecin ou docteur (savant) car on ne peut avoir accès à l’intériorité d’autrui qu’au moyen de symboles visibles dont le rôle n’est pas forcément celui de me faire découvrir l’identité d’autrui, mais de me donner une image de lui dont je pourrais me contenter.

Ainsi, pour qu’un homme puisse être pris pour un médecin, il faut qu’il se prête au même type de jeu que les magistrats. À l’époque de Pascal, on reconnaissait les médecins par leurs soutanes et leurs mules, aujourd’hui, on les reconnaît par leur chemise blanche, la disposition de leur cabinet, leur grand sac en cuir, le diplôme accroché derrière leur bureau. C’est de même pour les docteurs, c’est-à-dire les savants de l’époque de Pascal qui portaient des bonnets carrés et des robes. Aujourd’hui, on marque autrement son appartenance à un milieu scientifique. De même, les plus admirés des philosophes, historiens ou écrivains sont ceux qui se prêtent au jeu et arrivent à susciter l’imagination collective.

IV. Conclusion

Nous remarquons que le jeu est constitutif au comportement individuel et social dans la mesure où il est relayé par l’imagination. Dans le cas du comportement individuel, l’imagination permet de construire un système de valeurs pour justifier toute forme de divertissement qui peut détourner l’individu de l’angoisse existentielle. Si je crois que je ne peux pas être heureux si je n’ai pas pris soin des affaires de ma famille et de mes amis, alors je peux m’adonner à la recherche de la gloire militaire, de l’argent, du pouvoir en dissimulant devant moi-même le fait que ce n’est pas tant la gloire, l’argent et le pouvoir que je cherche, mais le divertissement. Dans le cas du comportement politique, l’imagination construit la fiction qui entoure la vie politique et sociale. Comme cette construction fictive s’apparente à la fiction théâtrale, elle est entretenue par le jeu théâtral que les membres de la société assument selon leur rang.

Haut de page AUTEUR

Gheorghe Florin Irimia,
Centre Georges Chevrier, UMR 7366 uBFC/CNRS
(Sous la direction de Pierre Guenancia)

Haut de page NOTES

[1] Pour plus de données concernant la proximité entre des penseurs modernes comme Montaigne, Descartes, Pascal ou Hobbes et la sensibilité artistique baroque, voir Didier Souiller, Commentaires à Pedro Calderón de la Barca, La vie est un songe, trad. d’Antoine de Latour, Paris, Librairie Générale Française, 1996, p. 79-153, où le spécialiste de la littérature baroque établit de multiples parallèles entre l’œuvre caldéronienne et les philosophes modernes mentionnés. 
[2] Pour le conflit entre la pensée chrétienne janséniste de Pascal et la mouvance jésuite, voir Pascal, Les Provinciales [1656-1657], Paris, Éditions Gallimard et Librairie Générales Française, 1966.
[3] L’insignifiance de l’homme par rapport à l’infinité de l’univers est un lieu commun dans la pensée pascalienne : « Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu’il éloigne sa vue des objets bas qui l’environnent. Qu’il regarde cette éclatante lumière, mise comme une lampe éternelle pour éclairer l’univers, que la terre lui paraisse comme un point au prix du vaste tour que cet astre décrit et qu’il s’étonne de ce que ce vaste tour lui-même n’est qu’une pointe très délicate à l’égard de celui que les astres qui roulent dans le firmament embrassent. Mais si notre vue s’arrête là, que l’imagination passe outre ; elle se lassera plutôt de concevoir, que la nature de fournir. Tout ce monde visible n’est qu’un trait imperceptible dans l’ample sein de la nature. Nulle idée n’en approche. Nous avons beau enfler nos conceptions au-delà des espaces imaginables, nous n’enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses. C’est une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part. […] Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? […] Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrêmes, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d’où il est tiré, et l’infini où il est englouti. » (Id., Pensées, Liasse XV, « Transition », § 199/72 (Lafuma/Brunschvicg) – H. Disproportion de l’homme, dans Pascal, Œuvres complètes, Paris, Éditions du Seuil, 1963, p. 525-526).
[4] Le début des Méditations métaphysiques de Descartes est symptomatique pour la relation que les philosophes de l’époque baroque entretiennent avec la tradition : « Il y a déjà quelque temps que je me suis aperçu que, dès mes premières années, j’avais reçu quantité de fausses opinions pour véritables, et que ce que j’ai depuis fondé sur des principes si mal assurés, ne pouvait être que fort douteux et incertain ; de façon qu’il me fallait entreprendre sérieusement une fois en ma vie de me défaire de toutes les opinions que j’avais reçues jusques alors en ma créance, et commencer tout de nouveau dès les fondements, si je voulais établir quelque chose de ferme et de constant dans les sciences » (René Descartes, Méditations Métaphysiques, dans Descartes, Œuvres complètes, vol. IX, éd. Charles Adam et Paul Tannery, Vrin, 1904, p. 13).
[5] « Le malheur naturel de notre condition faible et mortelle est si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près » (Pascal, Pensées, Liasse VIII, « Divertissement », § 136/139 (Lafuma/Brunschvicg), p. 516).
[6] Ibid., § 133/168 (Lafuma/Brunschvicg), p. 516.
[7] Ibid., § 136/139 (Lafuma/Brunschvicg), p. 516.
[8] Le fait que les Grands de ce monde sont plus touchés par la mélancolie que les infortunés est un lieu commun parmi les penseurs chrétiens de l’époque baroque. Voir Pedro Calderón de la Barca, Le Grand théâtre du monde. El gran teatro del mundo, trad. de François Bonfils, Paris, GF Flammarion, 2003.
[9] Pascal, Pensées, Liasse VIII, « Divertissement », § 136/139 (Lafuma/Brunschvicg), p. 516.
[10] Ibid., p. 517.
[11] Ibid., p. 516.
[12] « De là vient que le jeu et la conversation des femmes, la guerre, les grands emplois sont si recherchés. Ce n’est pas qu’il y a en effet du bonheur, ni qu’on s’imagine que la vraie béatitude soit d’avoir l’argent qu’on peut gagner au jeu ou dans le lièvre qu’on court, on n’en voudrait pas s’il était offert. Ce n’est pas cet usage mol et paisible et qui nous laisse penser à notre malheureuse condition qu’on recherche ni les dangers de la guerre ni la peine des emplois, mais c’est le tracas qui nous détourne d’y penser et nous divertit. Raison pourquoi on aime mieux la chasse que la prise. » (Ibid., p. 516-517).
[13] Pascal, « Trois Discours sur la condition des Grands » dans Pascal, Œuvres complètes, Paris, Éditions du Seuil, 1963, p. 366.
[14] Ibid.
[15] Ibid.
[16] Ibid., p. 366-367.
[17] « Souviens-toi que tu es acteur dans une comédie, celle qui plaît au maître : s’il la veut longue, joue-la longue ; si courte, joue-la courte : s’il veut que tu joues le rôle d’un pauvre, joue-le avec grâce ; de même si c’est celui d’un boiteux, d’un magistrat, d’un plébéien. Car c’est ton fait de bien jouer le rôle qui t’est donné ; mais le choisir, c’est le fait d’un autre. » (Manuel d’Épictète, chap. XVII, trad. de Jean-Marie Guyau, Paris, Librairie Ch. Delagrave, 1875, p. 21).
[18] Voir en ce sens Christian Weber, « Theatrum Mundi. Zur Konjunktur der Theatrum-Metapher im 16. und 17. Jahrhundert als Ort der Wissenskompilation und zu ihrer literarischen Umsetzung im Großen Welttheater », Metaphorik.de [en ligne], nº 14, 2008, p. 333-360, disponible sur http://www.metaphorik.de/sites/www.metaphorik.de/files/journal-pdf/14_2008_weber.pdf, page consultée le 12/02/2017.
[19] Le succès de la pensée stoïcienne au xviiie siècle est dû, comme Souiller le remarque à juste titre, à la récupération du stoïcisme par la Compagnie de Jésus : « La hantise du contrôle des passions par la droite raison aidée de la volonté allait devenir une constante parmi les élèves des jésuites, de Descartes à Calderón. » (Didier Souiller, Calderón de la Barca et le grand théâtre du monde, Coll. « Écrivains », Paris, PUF, 1992, Paris, p. 51).
[20] Pour Aristote, la référence traditionnelle absolue quant à la valeur épistémologique de la fiction théâtrale, la fiction a une valeur hautement philosophique dans la mesure où elle élève l’esprit du particulier au général, le général étant ici une approximation à l’échelle humaine de l’universel : « [...] l’affaire du poète, ce n’est pas de parler de ce qui est arrivé, mais bien de ce qui aurait pu arriver et des choses possibles, selon la vraisemblance ou la nécessité. En effet, la différence entre l’historien et le poète ne consiste pas en ce que l’un écrit en vers, et l’autre en prose. Quand l’ouvrage d’Hérodote serait écrit en vers, ce n’en serait pas moins une histoire, indépendamment de la question de vers ou de prose. Cette différence consiste en ce que l’un parle de ce qui est arrivé, et l’autre de ce qui aurait pu arriver. Aussi la poésie est quelque chose de plus philosophique et de plus élevé que l’histoire ; car la poésie parle plutôt de généralités, et l’histoire de détails particuliers. Les généralités, ce sont les choses qu’il arrive à tel personnage de dire ou de faire dans une condition donnée, selon la vraisemblance ou la nécessité , et c’est à quoi réussit la poésie, en imposant des noms propres. Le détail particulier c’est, par exemple, ce qu’a fait Alcibiade ou ce qui lui a été fait. » (Aristote, Poétique, chap. IX, 1551 a36 – 1451 b11, dans Aristote, Poétique et Rhétorique, trad. de Charles-Émile Ruelle, Paris, Librairie Garnier Frères, 1882, p. 20-21, c’est nous qui surlignons).
[21] Didier Souiller, La Littérature baroque en Europe, Paris, Presses Universitaires de France, 1988, p. 12 sq.
[22] « Le peuple honore les personnes de grande naissance, les demi-habiles les méprisent disant que la naissance n’est pas un avantage de la personne mais du hasard. Les habiles les honorent, non par la pensée du peuple mais par la pensée de derrière. » (Pascal, Pensées, Liasse V, « Raison des effets », § 90/337 (Lafuma/Brunschvicg), p. 510). La sagesse consiste alors à « avoir une pensée de derrière, et juger de tout par là, en parlant cependant comme le peuple » (Ibid., § 91/336 (Lafuma/Brunschvicg), p. 510).
[23] Pascal, Pensées, Liasse II, « Vanité », § 44/82 (Lafuma/Brunschvicg), p. 504.
[24] Chez Descartes, l’imagination est l’une des « quatre facultés dont nous puissions faire usage [...] : l’entendement, l’imagination, les sens et la mémoire. L’entendement seul, il est vrai, a le pouvoir de percevoir la vérité ; il doit pourtant se faire aider par l’imagination, les sens et la mémoire, afin de ne rien négliger de ce qui fait partie de nos ressources » (René Descartes, Regulae, XII, dans Descartes, Œuvres complètes, vol. X, éd. Charles Adam et Paul Tannery, Vrin, 1908, p. 411).
[25] Pascal, Pensées, Liasse II, « Vanité », § 44/82 (Lafuma/Brunschvicg), p. 504.
[26] Normalement, l’imagination doit être conçue comme une faculté complémentaire de l’entendement, ayant son propre domaine d’activité ; toutefois « Nous sommes ici [chez Pascal] très près (on l’a souvent remarqué) des descriptions anthropologiques de Hobbes ou de Spinoza : l’imagination sociale consiste dans un certain objectivisme des valeurs et des qualités. De là aussi son utilité et même sa nécessité, car elle fait croire à tous les hommes (le peuple) les mêmes choses, non par l’effet de quelque propagande, mais beaucoup plus subtilement par l’incorporation des croyances aux comportements sociaux, ce que Pascal nomme le discours de la Machine. […] Risquons, pour finir cette rapide évocation, une hypothèse : l’imagination dont Pascal décrit les effets […] n’est pas cette faculté de l’esprit qui concourt avec les autres à la représentation de l’objet, mais une puissance rivale de l’esprit, qui inscrit ses effets dans le corps même de l’homme, court-circuitant la représentation et faisant ainsi de l’homme, des hommes, des sortes d’automates sociaux dont les croyances mimétiquement partagées s’expriment par des comportements, bien plus efficaces socialement que les représentations des actions par la raison. » (Pierre Guenancia, Descartes, chemin faisant, Paris, Éditions Les Belles Lettres, 2010, p. 90-91).
[27] Pascal, Pensées, Liasse II, « Vanité », § 25/308 (Lafuma/Brunschvicg), p. 503.
[28] Ibid., § 44/82 (Lafuma/Brunschvicg), p. 504.
[29] Souiller, Commentaires, p. 98.
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Pour citer cet article :
Gheorghe Florin Irimia, « La valeur du ludique dans la pensée existentielle et politique de Pascal », Revue TRANSVERSALES du Centre Georges Chevrier - 12 - mis en ligne le 30 janvier 2018, disponible sur :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/Transversales.html.
Auteur : Gheorghe Florin Irimia
Droits :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Transversales/menus/credits_contacts.html
ISSN : 2273-1806