Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche "Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
Transversales |
De quoi l’héritage est-il le nom ? |
Introduction |
Gaëtan Mangin | Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Notes | Références |
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Il nous semble que la notion d’héritage est particulièrement d’actualité, qu’elle catalyse à ce jour un grand nombre d’enjeux de notre monde et qu’elle demeure pourtant relativement oubliée des analyses scientifiques et du débat public. Elle mériterait selon nous d’être davantage discutée, travaillée, et mise sur le tapis. Nous vivons en effet des temps paradoxaux qui tout à la fois proposent des ruptures franches et renforcent la recherche d’inscriptions filiales. Les enjeux écologiques, en premier lieu, nous somment de repenser radicalement nos manières de produire, de consommer, de nous déplacer et d’envisager nos modes de vie quotidienne. Aussi bien en est-il de la pandémie de Covid qui depuis deux années nous contraint à remodeler l’organisation de notre temps, de nos espaces et de notre travail, à aménager nos sphères familiales et domestiques, ou encore à rompre de multiples engagements au profit de nouveaux investissements. De manière plus globale, et bien que l’ère industrielle soit en passe de devenir un souvenir (du moins dans les sociétés occidentales), l’époque reste plus que jamais engagée dans une certaine idéologie du progrès salvateur et de l’innovation incessante qui implique une accélération des temps sociaux et des changements perpétuels pouvant créer un sentiment d’instabilité. Sans doute est-ce en réaction à celui-ci que notre époque connait aussi, par un apparent paradoxe, un désir toujours plus intense de fixité. Qu’ils s’agissent d’engagements passionnés ou de mode d’actions du quotidien, les individus recherchent aussi à s’inscrire dans des traditions, des filiations, des engagements. À l’opposé de ces continuités paisibles, la poussée fulgurante des inégalités nourrit la tentation grandissante d’épouser les nouvelles idéologies totalisantes qui, sous prétexte de pragmatisme, de raison ou de passion, réhabilitent les penchants les plus sombres des êtres humains et des peuples qu’ils composent. Le succès de discours réductionnistes tels que ceux d’un Zemmour, qui tente par ailleurs d’usurper la légitimité de filiations intellectuelles maladroitement bricolées, témoigne avec force de cette recherche d’inscription narrative. Car si ces rattachements et ces récits peuvent sembler malencontreux, il n’en reste pas moins qu’y préside un sentiment de dépossession qui, lui, doit s’entendre comme tel pour tout sociologue disponible à l’expérience d’autrui, fut-elle éloignée de la sienne et exprimée en des termes qui lui semblent insupportables. Qu’il s’agisse de l’emploi, des loisirs, de la propriété, de la santé, etc. les possibilités d’accès aux aménités de la société d’abondance et les potentialités de réalisation personnelle qu’elles sous-tendent se restreignent et sont de plus en plus conditionnées à l’héritage sous ses différentes acceptions. Quel paradoxe que cette société qui d’un côté promeut l’aboutissement personnel, la réalisation de soi, le travail et la réussite et, de l’autre, perpétue et intensifie les conditions de l’accaparement des ressources par les plus favorisées. Cette réflexion nous amène plus globalement à considérer le caractère aussi bien habilitant que contraignant de l’héritage. Quel que soit le patrimoine dont il est question (économique, culturel, social, généalogique, génétique, idéologique, etc.), l’héritage agit comme un don, et en ce sens, l’individu ou le groupe récipiendaire se doit de composer avec lui. Mais c’est aussi l’absence d’héritage qui peut représenter une épreuve à laquelle faire face. Le travail de Julien Le Hoangan s’inscrit dans cette approche : sa contribution porte sur les familles Vietnamiennes refugiées en France et pour lesquelles l’immigration induit un ensemble de pertes (capital foncier, financier, effets personnels, etc.) et de situations de déracinements génératrices de déclassement. Le phénomène de l’héritage peut également constituer un révélateur des disparités culturelles autant qu’un fait anthropologique commun à l’ensemble des êtres humains. La contribution de Jérémy Sauvineau, qui s’est intéressé aux situations de convivialité culinaire initiées par la diaspora syrienne en France interroge ainsi la nécessaire construction de points de rencontre entre la population autochtone (française) et cette population exilée. L’héritage, individuel ou collectif, est donc bien souvent indissociable d’un territoire sur lequel il se construit, se déploie, demeure et se transmet, et parfois duquel il s’exporte. Dans cette idée, la production de Raphaël Salvi analyse les enjeux et différentes stratégies de transmission des savoir-faire liés à la production fromagère en Franche-Comté, en s’intéressant plus particulièrement à la transmission des AOC, un bien à la fois collectif et immatériel. Les héritages matériels, eux, ne se limitent pas à leur valeur économique ou symbolique sur un marché dicté par l’offre et la demande. Ils sont aussi porteurs de significations en phase avec la singularité des individus qui les transmettent et ceux qui les reçoivent. La contribution de Gaëtan Mangin propose d’expliquer la manière dont les voitures anciennes permettent à leurs détenteurs de s’inscrire en rupture ou en continuité avec leur origine sociale et familiale. Devenir légataire, c’est aussi s’inscrire dans une filiation qui suppose de (re)négocier sa relation au donataire. L’héritage intellectuel est ici bien plus que la réception d’une œuvre, c’est aussi une relation à celui qui a donné de lui-même pour bâtir un édifice de pensée. Hériter d’un penseur suppose ainsi une certaine redevabilité quant à ce don de soi, un contre-don qui ne peut se faire qu’au prix d’une réactualisation à la fois fidèle et novatrice de l’intention première de l’auteur. Charly Dumont propose alors d’appliquer cette réflexion à l’œuvre de Jacques Ellul, penseur chrétien et marxiste qui a marqué la discipline philosophique par ses écrits critiques envers la technique. À sa suite, Benoît Sibille nous propose un retour sur l’œuvre de Karl Marx et la pensée révolutionnaire pour évoquer le fantôme du communisme qui, encore aujourd’hui, la hante. Charly Dumont, enfin, conclura le propos collectif par un retour sur la notion d’héritage et quelques considérations prospectives.
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Gaëtan Mangin, LIR3S Laboratoire interdisciplinaire de Recherche “Société, Sensibilités, Soin”, UMR 7366 uBFC/CNRS (Sous la direction d’Hervé Marchal) |
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Haut de page RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Gaëtan Mangin, « Introduction », Revue TRANSVERSALES du LIR3S - 21 - mis en ligne le 16 mai 2022, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/Transversales.html. Auteur : Gaëtan Mangin Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Transversales/menus/credits_contacts.html ISSN : 2273-1806 |