Laboratoire
Interdisciplinaire de
Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Transversales
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De quoi l’héritage est-il le nom ?
Conclusion : l’héritage en polysémie
Charly Dumont
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RÉSUMÉ

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SOMMAIRE

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        Cette journée d’étude sur l’héritage a permis d’aborder une diversité de questionnements relatifs à la transmission, à la succession et au patrimoine. S’il est un terme du sens commun, l’héritage est aussi un concept polysémique permettant d’aborder plusieurs facettes de nos sociétés. Il est généralement invoqué dans des travaux sur les inégalités qu’il tend à reconduire, sur la reproduction sociale qu’il peut supposer ou les solidarités qu’il peut créer entre les générations. Les problématiques que soulèvent les recherches sur l’héritage se concentrent habituellement sur le patrimoine matériel, sa transmission et les structures sociales induites par ce même mouvement. Par exemple, les récents ouvrages de Thomas Piketty abordent ces aspects et ont pu mettre en débat la légitimité de l’héritage en ce qu’il participe à une reproduction des inégalités sociales. D’autres travaux, comme ceux de Pierre Bourdieu, ont également participé à caractériser le rôle de l’héritage, notamment de capitaux culturels, dans l’inégal accès à l’institution scolaire.

Lors de cette journée d’étude, c’est une vision plus microscopique de l’héritage qui fut explorée. L’ensemble des communications a bien montré que l’héritage n’était pas un mécanisme simple. Il n’est pas qu’une transmission d’un individu à un autre, ni même d’un groupe à un autre. Les mécanismes décrits sont plus complexes. Ils montrent qu’il ne s’agit jamais d’une reconduction à l’identique du passé dans le présent.

Cette idée est bien mise en avant par Benoit Sibille. Dans son exposé on comprend qu’il n’est pas question, même chez Marx, de faire du passé table rase. En effet, il faut d’abord voir que les humains fabriquent leur histoire dans des conditions historiques préexistantes. Ces conditions qui précèdent chaque être ne signifient pas pour autant que nous sommes enfermés dans un passé immuable. Au contraire, la philosophie de Marx éclaire la possibilité de trouver dans le passé, dans le rapport que nous entretenons avec lui, des dimensions radicales et révolutionnaires qui tranchent avec l’idée de reproduction. Ces observations permettent de se débarrasser d’une vision trop mécaniste de la notion d’héritage. Elles nous font prendre conscience de la possibilité d’un combat politique de réenchantement de l’héritage. À l’aide de Marx, l’héritage ne porte plus une valeur réactionnaire de conservation de l’existant, mais pourrait devenir le levier d’un changement radical.

Si l’héritage n’est pas qu’une simple reproduction de l’existant, c’est en partie, car il n’est pas reçu sans réaction aucune de la part des héritiers. Être héritier ce n’est pas seulement recevoir, ce n’est pas uniquement être un réceptacle. Dans l’héritage se trouve une part active : il existe des marges de manœuvre, des appropriations, des braconnages. Ces réceptions, ces héritages, peuvent être de différents types, mais à chaque fois, il faut « faire avec » ce qui est reçu ou ce qui n’est pas reçu. Cette appropriation, cette réception d’un héritage a été travaillée sur plusieurs plans.

Les travaux présentés ont pour intérêt de montrer que les modalités de réception d’un héritage peuvent s’établir collectivement. Dans un contexte diasporique vietnamien, Julien Le Hoangan rend compte du travail de reconstruction identitaire opéré par les descendants. Ils reconstituent un héritage notamment par la pratique de la généalogie ou la redécouverte de tombes et de maisons. Au sein des familles s’opère une division du travail de mémoire et de transmission. On retrouve également cette appropriation collective de l’héritage dans la description que nous fait Jérémy Sauvineau de la cuisine et des repas syriens. Le patrimoine culinaire permet aux protagonistes de se découvrir en tant qu’héritier, héritier d’un patrimoine unique concernant l’humanité entière. Ce patrimoine passe bien sûr par des recettes, mais aussi toute une mise en scène. Il est comme négocié et mis au service d’une rencontre avec les autochtones. L’article de Raphaël Salvi prend également pour objet l’héritage d’un patrimoine culinaire, mais l’inscrit dans les logiques professionnelles relatives à la transmission d’une Appellation d’Origine. Il montre bien dans le cas du Morbier, ce fromage franc-comtois récemment certifié « Appellation d’Origine Protégée » (AOP), comment la dimension collective d’un héritage engage des négociations et un sentiment de responsabilité au sein des professions de la filière.

Si dans l’héritage il existe une marge de manœuvre, c’est bien parce qu’il est possible de trouver en lui un rapport personnel, individuel, voire intime. Ce processus d’appropriation personnelle se reconnaît dans la relation qu’un lecteur entretient avec les ouvrages qui portent sa réflexion. C’est dans le cadre d’un travail sociologique que nous avons essayé d’expliciter notre méthodologie et de proposer une manière d’hériter d’un corpus de concepts, en l’occurrence celui de Jacques Ellul. C’est dans la description de deux biographies que Gaëtan Mangin retrouve ce travail sur l’héritage. Il explique que l’achat et la possession d’une voiture ancienne s’inscrivent dans une histoire personnelle en transaction. Que ce soit en continuité ou en rupture avec l’histoire familiale, l’automobile participe ainsi à la fabrication d’une identité et d’un récit cohérent.

Avec plus ou moins d’intensité, chacun des sujets présente l’idée que l’héritage participe aux narrations individuelles ou collectives. C’est au cours de cette activité qu’est l’appropriation d’un héritage que se construit un récit sur lequel les individus peuvent exercer plus ou moins d’influence. En s’appuyant sur ce qui est hérité, les narrations permettent de préserver la face, c’est-à-dire d’afficher une ligne de conduite cohérente, conforme à l’identité que chaque groupe, individu ou profession, essaie de se négocier.

Au travers des multiples objets évoqués, on a bien vu l’importance de la culture matérielle dans les processus d’héritage. Le rôle de ces matérialités reste relativement complexe. Si ces héritages sont très structurants et parfois même contraignants, on comprend qu’ils peuvent aussi être sujets à de multiples réappropriations, voire des perspectives radicalement nouvelles.

Le sens commun met souvent le doigt sur les conflits que peut faire émerger la réception d’un héritage, par exemple entre les descendants d’un défunt. Les communications nous amènent à mettre en lumière un autre aspect en notant qu’hériter c’est aussi recueillir. En insistant sur l’acte de recevoir et sur les personnes engagées dans cette réception, nous faisons remarquer l’attention que les individus apportent aux objets et aux relations engagées. Qu’il s’agisse de sépultures, de plats soigneusement préparés, d’une 4L blanche, d’un fromage, d’une lutte passée, ou même d’un texte, nous avons retrouvé dans chaque description de l’héritage, une part de recueil ou de soin.

 

 

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Charly Dumont,
LIR3S Laboratoire interdisciplinaire de Recherche “Société, Sensibilités, Soin”, UMR 7366 uBFC/CNRS (Sous la direction d’Hervé Marchal)

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Pour citer cet article :
Charly Dumont, « Conclusion : l’héritage en polysémie », Revue TRANSVERSALES du LIR3S - 21 - mis en ligne le 16 mai 2022, disponible sur :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/Transversales.html.
Auteur : Charly Dumont
Droits :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Transversales/menus/credits_contacts.html
ISSN : 2273-1806