Laboratoire
Interdisciplinaire de
Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Transversales
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Genre et Santé
Conclusion
Georges Ubbiali
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RÉSUMÉ

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SOMMAIRE

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Avant de conclure cette riche journée, je voudrais, si tant est que cela soit possible, essayer de faire comprendre pourquoi j’ai été invité à prendre la parole. Les activités du laboratoire (le Centre Georges Chevrier) comportent un volet sur la thématique du genre. Dans ce cadre et depuis 5 ans maintenant, avec Maud Navarre, j’assure une journée d’études annuelle consacrée à la thématique « Quoi de neuf sur le genre ? ». Cette prise de parole prolonge un travail de recherche sur les questions de genre, engagé depuis plusieurs années[1].

Venons-en maintenant plus précisément à la thématique de cette édition des Transversales : Genre et santé. Je ne vous ferai pas l’affront de préciser ce que recouvre la notion de santé, dont tout indique qu’elle vous est familière, au vu des discussions et échanges que nous avons eus. Quant au genre, je voudrais écarter immédiatement l’effet de mode associé à cette notion. Effet de mode qui amène notre collègue Marie Duru-Bellat à publier récemment un livre La tyrannie du genre (Presses de Sciences po, 2017) dans lequel elle pointe un certain nombre de dérives. Même si l’on n’est pas obligé d’être d’accord avec toutes les affirmations qu’elle développe, son livre a l’avantage de nous rappeler les effets de mode que les travaux académiques peuvent provoquer dans l’espace public. Je voudrais également rappeler la récente polémique qui a mobilisé jusqu’aux plus hautes autorités symboliques, à savoir l’Académie française, sur l’écriture inclusive. Je ne m’étendrai pas plus qu’il n’est nécessaire sur cet épisode, qui nous rappelle que les entrepreneurs de morale veillent au grain et au respect strict de l’orthographe, ce qui nous rassure, évidemment ! Cela n’empêche pas Le Monde de ce jour de titrer « Davos. L’Inde de Modi en leadeuse de la mondialisation »[2].

Mais ce n’est pas à partir de ces préoccupations dans l’air du temps que nous avons envisagé ensemble cette notion de genre à travers les communications. Notons d’ailleurs que dans aucun des trois textes présentés il n’est fait, même sous une forme allusive, référence à la notion de masculinité. On le sait, la notion de genre n’a pas de sexe !!! Si comme le proclamait Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient », cette affirmation s’applique tout autant aux hommes. Le genre a deux sexes, si l’on voulait utiliser une formule choc. Si le genre, spontanément, évoque la question des inégalités entre les hommes et les femmes, s’il fait référence à la domination masculine, c’est aussi parce que cette notion, sous des appellations différentes (rapports sociaux de sexe, sexage, domination patriarcale, etc.) s’est adossée à un puissant mouvement social, le féminisme, qui a permis de dénoncer la multiplicité des formes de domination, d’asymétries s’exerçant à l’égard des femmes. C’est donc du côté des femmes, de leur situation que les regards se sont portés, avec justesse d’ailleurs. Retenons également qu’il n’y a pas d’équivalent, pour les hommes, au livre séminal de Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe. C’est donc beaucoup plus récemment que des travaux sur la construction des masculinités, très largement en provenance du monde anglo-saxon, ont commencé à éclairer notre compréhension. La publication en français du livre de référence de Raewyn Connel, Masculinités. Enjeux sociaux de l’hégémonie (Amsterdam, 2014), représente une étape importante du point de vue de l’élargissement des préoccupations de genre en direction du sexe dominant (entendu comme socialement construit comme dominant).

Dernière précision avant d’en venir au genre tel qu’éclairé par les différents textes présentés ce jour. Il faut rappeler que le genre n’est qu’une partie des rapports de dominations qui existent et structurent notre vécu social. Autrement dit, le genre s’articule avec d’autres types de dominations. On en a eu un avant-goût dans les textes présentés ce jour, avec l’évocation récurrente des groupes sociaux d’appartenance des individus étudiés par les communicants. En effet, la classe sociale apparaît comme le premier paramètre d’une perspective que l’on qualifie d’intersectionnelle. L’intersectionnalité possède la vertu d’articuler les différentes dimensions des inégalités entre elles et donc de les considérer de manière relationnelle. Il faut cependant bien convenir que la notion d’intersectionnalité correspond, en pratique, plus à un programme d’intentions de recherche que de mise en œuvre de ses préconisations. En effet, parce qu’elle implique un surcroît de travail et de réflexions, d’investigations empiriques et de démarches d’enquêtes, la démarche intersectionnelle correspond plus à un souhait d’orientation qu’à des résultats mesurables, au-delà du sempiternel rapport de classe. Les rapports d’âges ou d’inégalités entre générations, constitutifs d’une démarche intersectionnelle sont encore trop rarement mobilisés dans la dynamique effective de la recherche. La thématique de l’ethnie demeure aujourd’hui une préoccupation constante, mais encore trop peu développée. D’importants débats agitent d’ailleurs la communauté savante pour savoir comment dénommer ces rapports sociaux inégaux. Si l’on ne peut que rejeter définitivement, la notion de race – que certains prétendent réhabiliter – pour ce que cette notion contient, malgré tous les guillemets possibles, de naturalité dévoyée, la notion de racisation (ou de procès en racialisation), dont des travaux récents montrent les perspectives heuristiques, devrait être privilégiée. L’évocation, dans une des communications, du terme « grossophobie » indique, au moins à titre de potentialité, l’enjeu d’un rapport asymétrique qui pourrait être inclus dans une ambition intersectionnelle.

On l’aura compris, la prise en compte du genre dans son rapport à la santé ne relève en rien d’un effet de mode ou de tendance, mais bien d’un renouvellement des éclairages permis par la recherche sur ces questions. D’ailleurs la diversité des rapports au genre, présentés dans les communications de cette journée, en montre la pertinence. Dans son rapport à la santé, le genre se manifeste sous quatre acceptions, au moins, dans les communications, même si c’est sous des formes plus ou moins prononcées.

Le genre se décline tout d’abord, comme une manifestation des représentations, de la culture. L’évocation par Bérénice Lambert des normes esthétiques dans la préoccupation de santé par rapport aux problèmes d’obésité renvoie bien sûr à des représentations différentes de ce à quoi doit ressembler un corps féminin par rapport à un corps masculin. Ces asymétries entre les préoccupations des hommes et des femmes obèses font écho à des représentations culturelles d’une forme de « beauté », en tous les cas d’une esthétique corporelle qui varie fortement en fonction des appartenances sexuées des malades. Même si les corpus mobilisés dans la communication varient fortement par leur ampleur et rendent aléatoire une comparaison au sens propre du terme, il n’en reste pas moins que les propos sont suffisamment tranchés pour indiquer la manière dont le genre répartit les motivations à se faire opérer.

Par ailleurs, le genre oriente les pratiques professionnelles, telles qu’elles ont été présentées cet après midi, en particulier dans la communication de Myriam Borel. La prise en charge des questions d’IVG – mais on peut sans doute l’étendre à d’autres problématiques médicales – par des corps de métiers socialisés différemment sous l’angle de leur rapport au genre aboutit à des pratiques très variées à l’égard des patientes. Avec, ainsi que les extraits d’entretiens tendent à le démontrer, des réponses hétérogènes face aux préoccupations de ces femmes venues consulter. Alors, certes, la détermination des effets de genre réclame une attention particulière face à des professions, à la fois proches, mais en même temps spécifiques dans les savoirs (et les pratiques) qui les constituent.

De plus, le genre se manifeste également dans les pratiques institutionnelles. Là, je fais allusion au papier de Cécile Lumière qui nous a expliqué pourquoi la dimension du genre ne relève pas d’une préoccupation portée par l’Agence régionale de santé et que finalement, ajouté à des problèmes méthodologiques liés à la construction des échantillons, son texte ne s’est pas confronté à la perspective du genre.

Enfin, la notion de genre se décline dans une perspective anthropologique à travers l’appréhension du corps. En matière de santé, on comprend aisément la place que tient le corps, malade, souffrant, en rupture. Retenons par ailleurs que les communications n’ont pas abordé la question de la place du corps du soignant, de la soignante. En effet, la place du corps du soignant par rapport à la personne soignée pourrait tout à fait constituer une piste de réflexion intéressante. Bien entendu, ce corps n’est pas indépendant des dimensions du genre que j’ai abordées précédemment (que l’on songe à l’allusion faite à la grossophobie et aux représentations par Bérénice Lambert). Grossophobie qui pourrait tout à fait constituer une dimension des inégalités s’intégrant dans une perspective intersectionnelle, telle que je l’ai évoquée tout à l’heure. En tous les cas, ces communications placent le corps genré comme support à des relations, à des interactions entre différents acteurs intervenant dans le champ de la santé.

On le voit, cette journée a permis d’offrir à la fois un panel des travaux en cours à partir d’une perspective d’intégration de la dimension de genre dans la recherche et d’offrir un moment, fructueux, d’échanges pour les participants et participantes à cette journée d’études.

Haut de page AUTEUR

Georges Ubbiali, Maître de Conférences en sociologie
Centre Georges Chevrier, UMR 7366 uBFC/CNRS

Haut de page NOTES

[1] La dernière séance a eu lieu le 6 avril 2018 et fut consacrée à « Ces femmes qui refusent d’enfanter. Un choix de vie ? ». Les détails pratiques figurent sur le site du laboratoire. Bien évidemment, les participants et participantes de ces Transversales sont les bienvenus à ce type d’évènement.
[2] Première page du journal Le Monde, 25 janvier 2018.
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Pour citer cet article :
Georges Ubbiali, « Genre et Santés : conclusion  », Revue TRANSVERSALES du Centre Georges Chevrier - 13 - mis en ligne le 11 septembre 2018, disponible sur :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/Transversales.html
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Auteur : Georges Ubbiali
Droits :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Transversales/menus/credits_contacts.html
ISSN : 2273-1806