Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche "Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
Transversales |
Genre et Santé |
Introduction |
Lucile Girard et Myriam Borel | Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Notes | Références |
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SOMMAIRE |
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Pour cette séance du séminaire Transversales, nous avons proposé aux intervenant.e.s de réfléchir à la façon dont on peut aborder la question de la santé et des soins au prisme du genre, et ce que ce type d’approche peut avoir d’heuristique. Le genre, en tant que concept, renvoie à la construction sociale des différences entre les femmes et les hommes, et plus particulièrement aux rapports de pouvoirs entre les sexes. Il est mobilisé par de nombreuses disciplines comme la sociologie, l’histoire, la philosophie, les sciences politiques, la démographie, l’anthropologie ou encore l’étude des arts. En France, l’étude des rapports femmes-hommes se développe surtout à partir des années 1960, autour des questions de la condition des femmes et des inégalités femmes/hommes. Les concepts utilisés alors sont ceux de rapports sociaux de sexe, de division sexuelle du travail, de domination masculine, ou encore de sexe social. On pensera bien sûr à l’ouvrage de Simone de Beauvoir (Le deuxième sexe, 1949) qui entend démontrer philosophiquement que le sexe féminin est infériorisé, subordonné au sexe masculin. C’est à cette période que les recherches dans de nombreuses disciplines vont révéler le caractère socialement construit de la place subordonnée des femmes par rapport aux hommes. Les différents mécanismes d’invisibilisation des femmes sont alors mis en exergue : aussi bien à travers le travail domestique, envisagé comme un travail comme un autre ; l’invisibilité du travail féminin quand il est effectué en complément de celui du conjoint (comme dans le cas des agriculteurs ou encore des médecins) ; ou encore l’invisibilisation des savoirs féminins mobilisés en situation de travail, considérés comme des qualités « naturelles ». La construction sociale du rapport de pouvoir s’appuie sur une « naturalisation » des différences femmes-hommes et sur une essentialisation de ces différences (supposées ou réelles) de comportement, de tempérament, d’idéologies ou de valeurs. Ces différences sont alors socialement construites comme féminines ou masculines. Le concept de genre s’est imposé en France, dans les années 1990. Il a d’abord été développé aux États-Unis. Il vise à distinguer une appartenance sexuelle « biologique », le sexe, et une identité sexuelle « subjective », le genre. Il existe plusieurs courants qui vont mettre l’accent sur les différentes dimensions de cette construction subjective. Certain.e.s auteur.e.s comme Ann Oakley, à la suite de Margaret Mead, vont mettre l’accent sur la dimension culturelle du genre et sur la façon dont les hommes et les femmes sont préparé.e.s, sont façonné.e.s, pour ressembler aux caractéristiques attendues de leur sexe dans leur société d’appartenance. D’autres auteur.e.s vont mettre l’accent sur la dimension hiérarchique du genre et sur les rapports de domination, comme Danièle Kergoat ou Nicole Mathieu. D’autres, enfin, s’intéressent à l’impact des interactions sur la production des rapports sociaux de sexes. On pense à Erving Goffman, tenant de l’interactionnisme, qui met l’accent sur une vision relationnelle et dynamique du genre (Erving Goffman, 2004). Ainsi, le genre est un concept qui peut être mobilisé de différentes façons en fonction des sensibilités théoriques des auteur.e.s. Il n’existe donc pas de prétendue « théorie du genre ». En définitive, on peut s’accorder à définir le genre, avec Marie Buscatto comme « un concept visant à rendre compte des processus sociaux de production, de légitimation, de transgression et de transformation de différences sexuées hiérarchisées entre femmes et hommes, entre féminin et masculin selon des principes visant à les “naturaliser” et à stigmatiser tout comportement contraire » (Marie Buscatto, 2014, p. 13).Dans le champ de la santé et des soins, le concept de genre peut être utilement mobilisé pour analyser différents objets. Les travaux d’historiens ont ainsi montré l’intérêt de relire la constitution des savoirs médicaux au prisme du genre. Cela permet par exemple de voir que les corps des femmes et des hommes ont été longtemps considérés comme biologiquement très différents. La médecine de la Grèce antique, par exemple, comme nous l’explique l’historien Jean-Baptiste Bonnard, considérait que le corps féminin était plus humide que le corps masculin, ce dernier étant pensé comme le corps de référence. Ce sont des découvertes médicales – au xixe siècle notamment – qui ont contribué au rapprochement des deux corps biologiques. Cela entrouvre la perspective d’une remise en cause de la différence « naturelle » entre les femmes et les hommes, sur laquelle sont construits les rapports de pouvoirs. Ainsi l’ovulation, découverte en 1820, permet de rapprocher les fonctions reproductrices des femmes et des hommes. De même, la fonction gynécologique du foie, découverte en 1857, est commune aux physiologies des femmes et des hommes. Ces découvertes ne suffisent toutefois pas pour remettre en question les différences entre les identités féminines et masculines. De plus, la période voit se développer les diagnostics de maladies dites « de femmes », liées aux organes génitaux féminins ou les maladies « nerveuses » majoritairement féminines. L’histoire de la psychiatrie est instructive de ce point de vue, tant elle met en exergue le statut dominé des femmes qui pouvaient être internées lorsqu’elles refusaient de répondre aux désirs masculins. Les conceptions médicales restent donc fortement marquées par la dichotomie féminin/masculin, au moins jusqu’au milieu du xxe siècle. La découverte des hormones et de leur mode de fonctionnement dans les années 1950-1960, permet de penser, au niveau biologique, la distinction entre sexe et genre. On découvre alors qu’il n’y a pas une séparation entre masculin et féminin qui soit tranchée dès la naissance (voir avant), les hormones se développant à la puberté. On découvre qu’il existe différents sexes, différentes façons de concevoir le sexe, y compris au niveau biologique. Au sexe anatomique et au sexe génétique (chromosomique), vient s’ajouter le sexe hormonal. Cela contribue à la complexification des connaissances sur la production des sexes biologiques, dans la mesure où tous ne correspondent pas nécessairement. Cela remet alors également en question l’idée selon laquelle les femmes et les hommes sont des êtres naturellement complémentaires. Les représentations du corps, normal ou pathologique, sont donc elles aussi traversées par la question du genre. Dans un autre registre, les soins aux personnes, initialement prodigués dans un cadre familial, ne peuvent faire l’économie d’une analyse en termes de genre. À ce sujet, il est intéressant de constater comment les représentations genrées perdurent encore aujourd’hui. Une étude réalisée conjointement par la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) et l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques) en 2014, montre que même s’ils sont moins présents dans les nouvelles générations, les stéréotypes de genre persistent. Ils sont particulièrement forts dans la sphère familiale. En effet, la moitié des enquêtés pensent que les femmes sont plus aptes que les hommes pour apporter de l’aide et des soins aux membres de la famille. Cela pourrait expliquer que les métiers qui réalisent ce type d’activité dans la sphère professionnelle soient, encore aujourd’hui, très largement féminisés. On pensera ici aux métiers d’aide-soignante, d’assistante maternelle, d’infirmière ou d’assistante sociale. La professionnalisation de ces métiers passe d’ailleurs par la reconnaissance en qualifications et savoirs professionnels de capacités auparavant considérées comme « naturelles ». À travers les trois communications proposées aujourd’hui, qui reposent sur des enquêtes empiriques, nous tenterons donc de discuter de ce que le genre peut apporter aux études dans le champ de la santé, mais également de ses limites. Tout d’abord, Cécile Lumière traitera du vieillissement des personnes âgées en situation de handicap. Puis Bérénice Lambert abordera la question des normes de santé corporelle à travers le cas de la chirurgie bariatrique. Et enfin, Myriam Borel évoquera la question des sages-femmes et de la reconduction des normes reproductrices. Bibliographie Simone de Beauvoir, Le deuxième sexe, Paris, Gallimard,1949. Ann Oakley, Housewife, Lane, Allen, 1974. Margaret Mead, Sex and temperament in three primitive societies, New York, Morrow, 1963. Erving Goffman, « Le déploiement du genre » , Terrain, n° 42, 2004, p. 109-12. Nicole-Claude Mathieu, « Homme-culture et femme-nature ? », L’homme, tome 13, n° 3, 1973, p. 101-113. Marie Buscatto, Sociologies du genre, Paris, Armand Colin, 2014. Jean-Baptiste Bonnard, « Corps masculin et corps féminin chez les médecins grecs », Clio. Femmes, Genre, Histoire, n° 37, 2013, p. 21-39. |
Lucile Girard et Myriam Borel Centre Georges Chevrier, UMR 7366 uBFC/CNRS |
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