Laboratoire
Interdisciplinaire de
Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB
Transversales
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Exclusion : quels processus ?
Introduction
Exclusion : un mot piégeux, générique et performatif
Hervé Marchal
Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Notes | Références
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RÉSUMÉ

Haut de page MOTS-CLÉS

SOMMAIRE

Haut de page TEXTE
 

Le mot exclusion fait sûrement partie de ces termes génériques et flous qui ont perdu en précision ce qu’ils ont gagné en surface et en audience. Dès lors, il semble important de préciser quelque peu les choses. Ainsi, quand on dit d’une personne qu’elle est exclue, la question qui se pose d’emblée est de savoir par rapport à quoi et à qui. Et puis, ne sommes-nous pas toutes et tous l’exclu d’un autre ? Plus encore, ne sommes-nous pas excluants de quelque façon que ce soit, même sans le savoir ? Enfin, d’où parlons-nous quand nous parlons d’exclusion ?

Si l’on jette la focale sur ce qui définit une personne exclue, une autre question centrale s’impose : l’identité d’exclu doit-elle être considérée comme une sorte d’identité sociale totale saturant par définition l’horizon de sens de celle ou celui qui n’est alors plus qu’une ou un exclue ? Autrement dit, l’identité sociale d’exclu sature-t-elle toute l’identité personnelle au point d’annihiler les autres composantes de la définition de soi ? Cela ne revient-il pas à catégoriser radicalement l’autre au point de l’exclure de toute autre mode d’identification ?[1] La réponse est assurément positive et rappelle que dire de l’autre qu’il est exclu contient un aspect performatif qui le fait être un « exclu ». C’est pourquoi il faut être prudent à ne pas trop commenter à sa place autrui pour décider in fine d’en haut qu’il est un exclu ? Qui parle pour qui et à partir de quoi ?

Cela étant posé, ce sont différents pièges qu’il s’agit de penser pour éviter de décider hâtivement de critères d’exclusion : piège des indicateurs qui, à travers leurs impensés, confinent à l’inexistence sociale et politique celles et ceux échappant aux radars quantitatifs ; piège de la réification savante qui construit des catégories d’exclus au point de taire les processus et autres rapports complexes aux épreuves de l’exclusion ; piège de la désinstitutionalisation qui postule hâtivement le recul des institutions dans nos existences alors que c’est bien plus la question du sens que revêt les institutions aux yeux des sujets qui apparaît centrale, et ce, pour mieux saisir les rapports divers et variés à ces dernières ; piège de la focalisation sur les seuls droits formels qui empêche de saisir que formaliser un droit est une chose mais qu’y avoir réellement accès en est une autre.

Le risque de chosifier et de parler à la place de l’autre est d’autant plus réel quand le rapport aux identités vécues et ressenties est ignoré par l’analyste ; quand le savoir pratique est réduit à des attributions identitaires extérieures ; quand l’appréhension indigène de la réalité est subordonnée aux catégories savantes qui, seules, connaissent, ou du moins le croient-elles, la vraie nature de ce qui préside à l’identité d’exclu. À cet égard, comment ne pas insister sur le fait que les catégories de l’analyste relèvent des « espèces interactives »[2] dans le sens où elles sont performatives et construisent donc socialement ou plutôt scientifiquement leur « objet »[3] : l’exclu en l’occurrence. Or qui peut accepter d’être enfermé dans de telles définitions objectivantes et réifiantes aussi savantes soient-elles ? Certainement pas des enquêtés qui attendent d’être compris et non pas construits ou étiquetés de la sorte…

De quel sujet parlons-nous quand nous parlons d’exclusion ? D’un sujet humain exclu de la reconnaissance politique de ses droits humains fondés sur son appartenance à l’espèce humaine et qui rappelle que les droits de l’Homme vont de pair avec une réhabilitation de l’identité humaine ? D’un sujet social exclu de supports institutionnels destinés précisément à garantir l’inclusion du plus grand nombre pour faire société ou assurer la cohésion sociale ? D’un sujet personnel exclu de la reconnaissance de ce qui en fait une personne unique et singulière, et des supports nécessaires à sa subjectivation ? Au regard de ces éléments d’analyse, il n’est pas absurde de penser une protection sociale éthique embrassant les versants universels, institutionnels et personnels des vies humaines. Une telle protection vise à considérer chaque sujet dans toutes les potentialités des formes d’exclusion qui peuvent l’affecter significativement.

Haut de page AUTEUR

Hervé Marchal, Professeur de sociologie
LIR3S Laboratoire interdisciplinaire de Recherche “Société, Sensibilités, Soin”, UMR 7366 uBFC/CNRS

Haut de page NOTES



[1] Hervé Marchal, « Qu’est-ce que l’identité ? », dans Hervé Marchal [dir.], Initiations à la sociologie. Questions pour apprendre à devenir sociologue, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2021, p. 81-97.

[2] Faut-il rappeler que les êtres humains ne sont pas des choses qui, elles, renvoient aux « espèces indifférentes » étant donné que, contrairement aux « espèces interactives », elles n’ont pas conscience d’être catégorisées ou identifiées de telle ou telle façon ?

[3] Ian Hacking, Entre science et réalité. La construction sociale de quoi ?, Paris, La Découverte, 2001.

 

Haut de page RÉFÉRENCES

Pour citer cet article :
Hervé Marchal, « Introduction : Exclusion : un mot piégeux, générique et performatif », Revue TRANSVERSALES du LIR3S - 22 - mis en ligne le 14 décembre 2022, disponible sur :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/Transversales.html.
Auteur : Hervé Marchal
Droits :
http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Transversales/menus/credits_contacts.html
ISSN : 2273-1806