Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche "Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
Transversales |
L’engagement : II - L’engagement apolitique est-il possible ? |
Conclusion |
Nadia Chaabane | Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Notes | Références |
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Je voudrais commencer par vous remercier de m’avoir invité à cette journée
d’étude Transversales sur le thème de l’Engagement.
Je veux préciser d’emblée que je ne fais pas de recherche dans ce domaine.
Je suis plutôt là en tant qu’actrice avec cependant une forme de
distanciation et, peut-être que mon propre parcours pourrait ressembler à
une carrière d’engagement, puisqu’il est constitué presque exclusivement de
différents types de strates d’engagement. Je ne vais pas non plus me situer dans
une démarche universitaire ni vous abreuver de références de chercheurs,
sociologues ou qui que ce soit… Ce collectif, mixte, a regroupé à son origine 148 structures ce qui est en soi énorme mais aussi 148 structures parmi lesquelles il y a des partis politiques, des syndicats et des associations. On va y retrouver tout le panel des partis politiques de gauche (PS, PC, les écologistes, les alternatifs rouge vert mais aussi l’extrême gauche au travers de la LCR devenue par la suite NPA). De même on y trouvait les syndicats CGT, CFDT, FSU, solidaires, notamment ; pas tous les syndicats mais une grande partie, Sophie Binet actuelle numéro 1 de la CGT était par exemple représentante de la CGT dans le collectif ces dernières années. Côté associations, des associations féministes non mixtes et des associations féministes mixtes, des structures associatives type maison des femmes ou des collectifs, tel que SOS viols... À ce panel déjà fourni, s’ajoutaient des associations culturelles, des syndicats étudiants, des jeunes dans des dynamiques sur l’éducation à l’égalité et tout le spectre du mouvement féministe, et quand on parle de l’informel je me souviens qu’à la création du collectif il y avait déjà des individualités, des personnes qui adhéraient directement à ce collectif en tant que personne. Certaines étaient adhérentes, contribuaient financièrement, d’autres étaient engagées dans le mouvement mais pas adhérentes quant aux organisations, il y avait une adhésion fixée pour les organisations et les associations. L’informel était déjà présent à la fin des années 90 dans le mouvement féministe. Les questions centrales dans les débats du collectif étaient : l’aspect organisationnel et les questions d’autonomie, le cadre mixte ou pas mixte. En même temps, il y avait une volonté, une envie de construire quelque chose qui allait dans le sens de faire porter les questions féministes par l’ensemble du spectre qui constitue les corps intermédiaires, c’est-à-dire les acteurs qui agissent sur les lois et la stratégie était de réfléchir à comment faire car le but était de faire avancer les droits, le but n’était pas seulement de dénoncer et de revendiquer mais de faire avancer les droits et de proposer des solutions. L’un des sujets sur lesquels le collectif s’est beaucoup investi c’est la loi Cadre contre les violences faites aux femmes. Cette loi Cadre n’a jamais été portée par aucun gouvernement et c’est le mouvement féministe qui l’a porté pendant quelques années et a travaillé au sein de commissions sur le texte et fait une proposition de loi. Ça a été quelque chose de collaboratif et de participatif, tout le monde était autour de la table dans des commissions de travail sur les différents aspects de l’hébergement d’urgence aux failles dans le système pénal et amendements en passant par les recours possibles et la protection et mise à l’abri des femmes victimes de violence, des femmes avec un enfant dont le père était violent, droits de visite etc. Ce travail a été fait avec des militant-es, des juges, des avocats…toutes les parties prenantes autour des questions des droits. Un gros chantier sur le plan intellectuel dans le sens où il y a eu de la production, des commissions qui ont travaillé, des gens auditionnés, des responsables d’hébergements qui ont été interpellés pour connaître la nature des problèmes, des limites des dispositifs, des juges, des associations de femmes victimes, des médecins, etc. Il y a eu aussi des échanges avec les féministes espagnoles qui avaient obtenu une loi quelques années plus tôt. Elles avaient plus de recul et c’était intéressant d’échanger avec elles. Pendant deux ans, il y a eu un travail de plaidoyers, d’organisation de manifs, de colloques, des tas de choses qui se sont faites jusqu’à ce que ça atterrisse dans une niche parlementaire portée par le Parti Communiste et les verts et qui l’ont proposé. La proposition a été adoptée par un gouvernement de droite, mais la proposition a été faite après un travail de fond effectué par le CNDF et, parce qu’une partie de la justice était demandeuse, ça a débouché sur cette fameuse loi. Autrement dit le texte est arrivé à un moment ou la société était à l’unisson. Même si la loi votée était en deçà des attentes des féministes. L’objectif étant de travailler sur les avancées en droit, la formule qui a été choisie et la nature des partenaires qui pouvaient intégrer le collectif l’ont été en fonction de l’objectif, par conséquent il a fallu à un moment concilier les stratégies qui pouvaient différer et les objectifs communs. Comment les choses se sont faites dans la réalité et avec quels types d’objectifs, à l’intérieur de ces 148 structures ? Les réunions étaient parfois explosives avec des cultures politiques et associatives différentes, des générations différentes et des choses extrêmement complexes. On était dans l’avant « me-too » et les féministes étaient considérées comme ringardes et mal vues. On ne se revendiquait pas facilement du féminisme, les femmes politiques ne disaient pas qu’elles étaient féministes, c’est l’époque où on parlait des droits des femmes mais beaucoup ne savaient pas ce que cela recouvrait exactement, il y avait ce poids là aussi. Ce que je voudrais c’est aborder ces expériences auxquelles j’ai participé de près puisque j’étais dans le secrétariat du CNFDF et comment j’y suis arrivée alors que j’ai une histoire personnelle et une trajectoire militante différentes. Je suis issue d’un couple mixte : ma mère est française, mon père est tunisien et je suis née en Tunisie mais j’ai fait mes études supérieures en France. À 18 ans j’étais à la Faculté de Dijon et je m’étais investie dans les luttes estudiantines contre la réforme Devaquet. C’était l’année où Malik Oussekine a été tué dans la rue alors qu’il manifestait. Ce jour-là on était dans la manif parisienne, on avait réussi à venir de Dijon par train. Je suis arrivée de Tunisie avec un engagement d’avant, c’était donc un peu la continuité de mon engagement et en tant qu’étudiante je me sentais concernée, je n’étais ni l’étudiante étrangère qui arrive d’ailleurs ni l’étudiante d’ici, j’étais l’étudiante tout court qui se sentait concernée par les difficultés des étudiants. Je me souviens que quelques semaines après mon arrivée à Dijon j’ai participé à une occupation du Crous pour le droit des étudiants étrangers à l’accès à un hébergement la première année, ce qui n’était pas le cas, ce n’était que la 2e année qu’ils pouvaient y accéder. Venant d’ailleurs mais n’étant pas d’ailleurs, j’ai intégré le mouvement associatif anti-racisme quelques années plus tard, car je me suis sentie concernée par un certain nombre de problématiques. J’ai vu l’arrivée de l’extrême droite sur le campus de Dijon, des agressions et des choses vécues qui m’ont amenée à me poser certaines questions alors que mon parcours n’avait rien à voir avec l’immigration. Par la suite le mouvement féministe et immigration se sont croisées au travers des problématiques rencontrées par les femmes migrantes et comment y répondre non seulement par la revendication mais par la prise en charge, et aussi en terme de droit. Je me souviens d’ailleurs que ma contribution à cette fameuse loi Cadre ça a été de participer à une commission sur les femmes étrangères et notamment comment on pouvait par exemple protéger leur droit au séjour, quand elles n’avaient leurs droits au séjour que par regroupement familial et qu’elles divorçaient en raison de violences subies.
Nous n’avons pas réussi à gagner la partie à ce niveau et le texte proposé
a été un tout petit peu cisaillé sur cet aspect. C’est le préfet qui
décide si elles restent ou si elles ne restent pas, mais maintenant elles
ne sont plus expulsables comme avant ; il y a donc eu des avancées même si
la lutte continue pour l’autonomie juridique des femmes migrantes. N’étant
plus étudiante, j’ai continué dans le secteur associatif et en portant les
mêmes convictions.
On évolue et en même temps quand on est dans des revendications de droit et l’égalité d’accès aux droits, de luttes contre les discriminations, égalité de traitement on voit bien à un moment donné que les questions se posent politiquement, on veut une loi pour ça, on veut faire avancer les droits, l’égalité est un droit, les protections des droits aussi. Quelque part, mon engagement politique vient de là, comme une suite logique d’un parcours d’engagements successifs mais intimement liés les uns aux autres. La décision de me présenter à des élections, après la révolution tunisienne de 2011 et d’aller jusqu’au bout du parcours est arrivée à un moment où j’ai réalisé les limites de l’engagement associatif malgré son réel impact souvent concret sur la vie de celles et ceux qui en bénéficient. Mon expérience politique est cependant à part car il ne s’agissait pas d’élections législatives mais d’une constituante qui devait écrire une nouvelle constitution pour le pays. Les enjeux étaient fondamentaux et la bataille longue et éprouvante car je faisais partie de la minorité dans l’assemblée porteuse d’un projet moderniste et démocratique face à une majorité conservatrice dominée par les islamistes. Au bout de trois années d’âpres combats nous avons réussi à faire adopter une constitution à la hauteur des attentes de la majorité des tunisiennes et des tunisiens porteuse de droits fondamentaux de libertés individuelles et collectives ainsi que des mécanismes de leur garantie… J’arrête là mon expérience personnelle pour revenir à notre rencontre depuis ce matin. Pour finir sur mon propre parcours, je dirai que c’est mon engagement politique qui m’a amenée à rompre avec l’engagement universitaire. J’avais envie d’être en cohérence, et je suis allée dans la formation professionnelle pour travailler sur des thématiques sur lesquelles je travaillais à l’université sous la casquette d’enseignante. J’enseignais la communication et je suis allée vers la communication interculturelle car à un moment ou à un autre il y a une frustration qui est vécue sur ce que certains désignent par malentendus ou conflits de valeur et sur lesquelles j’avais envie d’interroger, d’interpeller notamment les travailleurs sociaux. Désormais, je forme des travailleurs sociaux sur les outils de la démarche interculturelle et sur comment on arrive à communiquer avec la différence. Pour reprendre la dernière intervention sur comment on construit du contenu je dirai que ce qui nous différencie c’est notre capacité à dépasser les difficultés et aller au-delà de la différence et au-delà du système de valeurs auxquelles on adhère. Pour revenir au sens de l’engagement et comment on l’a décliné depuis ce matin, il y a à mon sens une question qui se pose en amont et qui n’a pas été soulevée, c’est la question de la citoyenneté ou de l’engagement citoyen. Est-ce en tant qu’acteur dans le système éducatif on essaie d’amener l’enfant à acquérir non seulement des connaissances mais des valeurs et à être porteur de projets, à s’investir en tant que futur citoyen ? L’enfant apprenant est un futur citoyen, votant, électeur et peut-être aussi législateur c’est un peu ça la logique de la démocratie participative. Partant de là, la nature de l’engagement va être en lien avec l’exercice de la citoyenneté. Cependant, on peut se demander si tout acte citoyen est un engagement ou s’il faut davantage. Prenons comme exemple l’engagement écologique qui requiert de la discipline et est-ce qu’on considère que les gens qui ne participent pas au tri et autres recyclages sont toujours considérés comme citoyens ou est-ce que l’engagement est une part intégrante de ce que l’on désigne par citoyenneté, c’est une question centrale. Il est vrai qu’on parle d’engagement pour définir aujourd’hui le terme citoyen mais est-ce que ça suppose que les citoyens sont tous engagés ? Est-ce qu’on est 65 millions d’engagés ? Est-ce que les actes de fraternité quotidien sont des formes d’engagement ? la bienveillance quotidienne, le fait d’aider à traverser la rue, d’apporter de l’aide à son voisin ou autres sont-ils des formes d’engagement ? Il est vrai que l’engagement peut couvrir des réalités extrêmement larges et toucher tous les aspects de la vie et peut être décliné, comme nous l’avons vu ce matin, sous forme d’engagements collectifs ou individuels. Les différentes expériences, pour faire le lien avec ce qui a été dit sur l’alimentaire par exemple et sur l’engagement écologique qui requiert une forme de discipline ou encore l’entraide et la solidarité avec parfois une prise de risque (cas de l’aide aux réfugiés par exemple…) démontrent que l’engagement peut prendre des formes et dimensions différentes.
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Nadia Chaabane Docteure en sciences du langage, militante féministe et femme politique tunisienne |
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Haut de page RÉFÉRENCES Pour citer cet article : Nadia Chaabane, « Conclusion à la journée d'étude “L’engagement apolitique est-il possible ?” », Revue TRANSVERSALES du LIR3S - 24 - mis en ligne le 22 mai 2024, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/Transversales.html. Auteur : Nadia Chaabane Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Transversales/menus/credits_contacts.html ISSN : 2273-1806 |