Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche "Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
Transversales |
Crises, précarité/fragilité | |||||||||||||||||||||||
La situation des engagés Tonkinois sous contrat en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides : d’une crise Tonkinoise à une crise permanente en Océanie | |||||||||||||||||||||||
Claudy Chêne | Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Notes | Références | ||||||||||||||||||||||
Haut de page RÉSUMÉ La migration des engagés Tonkinois pour le travail vers la Nouvelle-Calédonie et les Nouvelles-Hébrides entre 1891 et 1964 interroge le concept de crise à plusieurs titres. C’est pour répondre à une situation de crise politique, économique et sociale au Tonkin qu’ils ont fait le choix d’un exil temporaire jusqu’en 1940, devenu constant jusqu’en 1964. De l’incertitude de la crise naît l’opportunité et l’espoir d’en sortir. Si je m’en tiens à la définition d’Edgar Morin : « Moment où, en même temps qu’une perturbation, surgissent les incertitudes », une crise se définie comme un processus qui menace de désagrégation une organisation ou un univers de références et constitue la rupture d’un équilibre qui remet en cause l’existence d’un système. Or, en Océanie, l’espoir (décrit par de nombreux Chân dăng ) cède la place à des conditions de travail et de vie qui maintiennent ces engagés dans la précarité morale et sociale. Leurs oppositions, les mouvements de révoltes ou les grèves n’y ont pas mis un terme définitif. En se plaçant du point de vue des engagés, cette situation peut être considérée sous l’angle d’une crise permanente que la banalisation rend presque inaudible. Si une crise constitue une rupture et agit comme un révélateur de nouvelles réalités, elle est aussi le produit d’une société en changements et en réajustements permanents. Pourtant, l’histoire des engagés Tonkinois en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides rend compte de la capacité de résilience nécessaire pour surmonter ces temps de crises, pour saisir l’opportunité de rebondir et interroge le concept de crise comme symptôme et remède à une fragilité chronique des populations engagées. Ainsi, nous rappellerons d’abord la situation économique, sociale et politique du Tonkin à la fin du xixe siècle car il faut penser le fonctionnement d’une crise en termes de système. Puis nous rendrons compte de la précarité vécue par les engagés Tonkinois en Nouvelle-Calédonie au travers des logements, des salaires, de la place des femmes et des enfants. Enfin, les moyens employés par les Tonkinois pour lutter contre cette précarité pourront mettre en évidence les éléments de leur volonté pour sortir d’une situation de crise. |
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La présence des engagés sous contrat Tonkinois en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides peut-elle s’analyser sous le prisme de l’idée de crise ? Une crise se définit comme un processus qui menace de désagrégation une organisation ou un univers de référence et constitue la rupture d’un équilibre qui remet en cause l’existence d’un système. L’historiographie coloniale utilise le terme de crise en général pour parler des effets de la crise de 1929 sur l’économie coloniale ou pour les crises de décolonisation. Auparavant, les analyses historiques des crises mettaient en évidence un élément déclenchant à l’origine de la crise agraire, comme de mauvaises récoltes, qui se propage voire favorise ensuite l’industrie. C’est l’époque des analyses cycliques et économiques des crises. Puis le terme de crise, souvent employé pour fournir un outil d’analyse, voit son efficience conceptuelle se diluer. Ainsi, le terme de « crise » a-t-il servi de fourre-tout pour analyser les processus et les points de pression dramatiques de l’histoire[1]. Il n’en demeure pas moins que cette notion reste un concept historique explicatif majeur par sa flexibilité analytique qui permet de rendre compte d’un processus ou d’une organisation sociale où la notion de crise a son rôle à jouer. Aujourd’hui, nous utilisons davantage la notion plus globale de situation coloniale[2] instaurée par Georges Balandier en 1951, ou de fait colonial, dans lequel la notion de crise est bien présente. Georges Balandier précise : « En nous rappelant certaines mesures “audacieuses” – déplacements de populations et politique des “réserves”, transformation du droit traditionnel et remise en discussion de la propriété des richesses, politique de rendement, etc. – l’historien attire notre attention sur le fait que : « la colonisation fut parfois véritablement de la chirurgie sociale ». Et cette indication, plus ou moins valable selon les régions et les peuples colonisés, est d’un grand intérêt pour le sociologue étudiant les sociétés colonisées ; elle lui montre que ces dernières, à un degré variable, sont dans un état de crise latente, qu’elles impliquent, dans une certaine mesure, une socio pathologie »[3]. Il écrit aussi que « la plupart des travaux traitant des sociétés colonisées actuelles insistent sur l’état de crise qui les affecte, sur “les problèmes ardus et complexes” qu’elles posent […] »[4]. Dans ce cadre, la notion de crise reste inhérente à celle de la situation coloniale. Elle décrit et analyse autant un état de fait « latent » que des processus d’adaptation ou de refus au contexte colonial de la part des sociétés colonisées, plus globalement de la part des sociétés coloniales. Elle met aussi au jour des manifestations de résistances des sociétés colonisées face à la précarité, voir à la misère consécutive à cet état de crise latente. D’ailleurs, de nombreux travaux universitaires abordant la situation de crise des sociétés colonisées et leurs effets portent une attention particulière sur la précarisation de la paysannerie et sur le développement d’un prolétariat colonial. L’observation de ces crises cerne d’abord leur origine, leurs caractéristiques et leurs effets. Les monographies donnent lieu à une interprétation en termes de cycles conjoncturels, pour s’intéresser aujourd’hui à la relation des crises avec les sociétés colonisées, et plus globalement aux sociétés coloniales, par le prisme des conditions de vie et des résistances : désorganisation et réorganisation des groupes traditionnels, apparition des classes sociales, caractéristiques du prolétariat colonial, etc. Seule Christiane Bougerol avait questionné la présence des engagés Tonkinois dans un contexte de crise entre 1945 et 1964[5]. C’est-à-dire entre les premiers mouvements de grève et le départ de ce groupe vers la République Démocratique du Viêtnam. Cependant, les migrations successives de Chân đăng[6] vers les mines de Nouvelle-Calédonie et les plantations des Nouvelles-Hébrides entre 1891 et 1964 interrogent le concept de crise à plusieurs titres. C’est en réponse à la précarité et à la misère, consécutives à la situation de crise politique, économique et sociale, accentuée par la domination coloniale française au Tonkin, qu’environ 22 000 Tonkinois ont fait le choix d’un exil temporaire vers l’Océanie jusqu’en 1940. Exil devenu permanent jusqu’en 1964. De l’incertitude de la crise tonkinoise, qui sévit dès la fin du xixe siècle en Indochine, naît l’opportunité de partir et l’espoir d’en sortir en acceptant de s’exiler pour le travail pendant 5 ans. Si je m’en tiens à la définition d’Edgar Morin : la crise est « un moment où, en même temps qu’une perturbation, surgissent les incertitudes », l’espoir, décrit par de nombreux Chân đăng, cède la place à la désillusion des conditions de travail et de vie, qui maintiennent ces engagés dans la précarité économique, morale et sociale bien que leur résistance, les mouvements de révoltes ou les grèves n’y ont pas mis un terme définitif. En se plaçant du point de vue des engagés, cette situation peut être considérée sous l’angle d’une crise permanente que la banalisation rend presque inaudible et dont la migration vers la Nouvelle-Calédonie est une solution. Si une crise constitue une rupture et agit comme un révélateur de nouvelles réalités, elle est aussi le produit d’une société en changements et en réajustements permanents. La crise peut être perçue comme la transition entre l’ancien monde agonisant vers un nouveau. Pourtant, l’histoire des engagés Tonkinois en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides rend compte de leur capacité de résilience nécessaire pour surmonter ces temps de crises, pour saisir l’opportunité de rebondir, elle interroge le concept de crise comme symptôme et remède à une fragilité chronique des populations engagées. Ainsi, nous rappellerons d’abord la situation économique, sociale et politique du Tonkin à la fin du xixe siècle car il faut penser le fonctionnement de crise présente au Tonkin en terme de système. Puis nous rendrons compte de la précarité vécue par les engagés Tonkinois en Nouvelle-Calédonie au travers des logements, des salaires, de la place des femmes et des enfants. Enfin, les moyens employés par les Tonkinois pour lutter contre cette précarité mettent en évidence quelques signaux de leur volonté de sortir d’une situation de crise. I. La situation de crise au Tonkin de la fin de la dynastie des Nguyen à l’apogée de la colonisation 1) La situation démographique du Tonkin Les données des recensements des inscrits à l’impôt personnel de 1847 et de 1877 montrent un relatif effondrement de la population du Tonkin. Cependant les régions du Delta du fleuve Rouge semblent moins touchées que les autres. Les évaluations précises faisant défaut, les recensements des inscrits à l’impôt permettent de donner une estimation de la population du Delta. Les inscrits sont des hommes entre 20 et 60 ans mais beaucoup de chefs de famille ne le sont pas. L’inscription sur les rôles des impôts n’est pas d’une grande fiabilité. La crainte et la méfiance envers l’État mènent des chefs de famille à ne plus s’inscrire. L’argument de la surpopulation[7] n’est donc pas complètement exact. L’Indochine, particulièrement le Tonkin, est une colonie riche « en bras ». Et, lorsque débutent les premiers recrutements pour la Nouvelle-Calédonie, les provinces les plus densément peuplées observent une stagnation démographique, probablement liée à une misère endémique présente avant la colonisation française et aux transformations instaurées par celle-ci. Ainsi, les provinces du Delta du Tonkin, les plus peuplées, sont les plus convoitées. Dès lors, l’hypothèse admise d’un recul de la surpopulation, justifiée par la seule lecture des inscriptions sur les registres des impôts est aujourd’hui contestée par les hypothèses soutenues par Pierre Gourou[8], Pierre Brocheux et Daniel Hemery[9]. Les autorités religieuses du Tonkin, précieux observateurs de la situation critique des populations du Delta du Fleuve Rouge, estiment la densité dans le Delta du Tonkin à 200 habitants par km2 en 1924[10]. En 1931, celle-ci est évaluée à 430 habitants par km2 de surface générale[11]. Ces chiffres mettent en valeur l’importance, le nombre et la surface des villages Tonkinois[12] et les différences de densité selon les provinces et les huyên du fleuve Rouge. Les rives du fleuve et le bas du Delta accusent entre 700 et 1 500 habitants par km2 et arrivent à saturation avant les années 1930. La province de Thaï-Binh dépasse les 1 500 habitants au km2 avec ses milliers de villages. À partir des 16 cahiers faisant état des 18 convois de Tonkinois vers la Nouvelle-Calédonie entre 1933 et 1940[13], nous avons pu évaluer le nombre de personnes par province arrivées en Nouvelle-Calédonie : les provinces les plus densément peuplées, proches du bas du Delta du Fleuve Rouge, sont des zones qui procurent le plus de main d’œuvre aux mines de Nouvelle-Calédonie et aux plantations des Nouvelles-Hébrides. Les provinces de Ninh Binh, Thaï-Binh et de Nam-Dinh ont fourni le plus d’engagés à la Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides. Par ailleurs, le facteur de la surpopulation est évoqué par André Ballande (directeur de la maison de commerce qui fait venir la majorité des Chân đăng) pour justifier les recrutements et en faire un acte salutaire. 2) La condition paysanne au Tonkin La surpopulation chronique du Delta du Tonkin demeure un argument majeur pour une poursuite des mouvements migratoires traditionnels et les demandes de main d’œuvre du capitalisme colonial grandissant. Cependant avancer cette idée comme seul argument migratoire, relève à nos yeux d’un alibi pour justifier d’intérêts extérieurs qui ne tiennent pas compte des sentiments des engagés. Une population affamée[14], affaiblie et précarisée, est une proie facile pour les recruteurs et un réservoir de bras pour le travail dans les mines et les plantations. Déjà, au milieu du xixe siècle, sous la dynastie des Nguyen, cette situation est une constante : Epidémies, famines, catastrophes naturelles fragilisent le pays et l’autorité des « fils du ciel » garants, selon la tradition, des récoltes[15]. L’alternative d’un départ avec un contrat d’engagement, peut être considérée comme une solution à la précarité liée au rapport population/surface cultivée[16]. Pour les Chân đăng et leurs descendants interrogés, la misère, la faim sont les arguments avancés pour expliquer ces départs[17] : « […] - Pourquoi, ils sont partis à votre avis ? Parce qu’ils sont pauvres, chez eux ils sont pauvres. C’est comme tous les pays, les gens pauvres, chez eux ils n’ont pas de travail. C’est des gens dans la campagne, ils n’ont pas de travail, ils sont pauvres à l’époque. Ils ont décidé de partir pour travailler. Parce que les gens qui sont parti ici, qui sont allés au Vietnam pour les engager, ils ont dit ben, vous allez là-bas en Nouvelle-Calédonie, il y a du travail, y a de l’argent […] ». La dure réalité du Delta du Fleuve Rouge est inscrite dans les chants populaires transmis de génération en génération. Pragmatique et poétique, elle nourrit les discours que nous avons recueilli auprès des Chân đăng et de leurs descendants[18] :
On ne trouve ni riz,
Jean Khac explique le départ de ses parents par de mauvaises récoltes de riz successives : des typhons font sauter les digues dans la province de Ninh Binh, dans les années 1925-1926 et noient le paddy restant presque mature[19]. Entre 1860 et 1870, sous le règne de l’Empereur Tu-Duc, inondations, sécheresse, pertes des récoltes, famines n’ont eu de cesse de rendre la vie difficile. Les provinces basses du Delta sont les plus exposées et les aléas climatiques, tantôt favorisent les révoltes, tantôt obligent des familles à partir[20]. Le déséquilibre du rapport population/production céréalière, lié aux catastrophes naturelles répétées et à la surpopulation, soumet la population à des crises frumentaires chroniques d’ancien régime :
« En 1928, la disponibilité alimentaire moyenne en Indochine est estimée par Y. Henry et M. Devisme en moyenne à 337 kilos de paddy par personne et par an, soit 219 kilos de riz, 600 grammes par jour : mais, au Tonkin, on ne disposerait que de 211 kilos, alors que la ration minimale se situe entre 220 et 270 kilos … Pour les deux agronomes, le Delta du Fleuve Rouge n’est susceptible de nourrir qu’environ 5,2 millions d’habitants et il y en a déjà 7 millions. Les calculs de Paul Bernard sont encore plus pessimistes : pour la même région, 128 kilos de riz par tête et par an, soit 350 grammes par jour, cinq millions d’« individus en trop » au Tonkin et au Nord-Annam. La sous-alimentation est chronique : en dehors de l’époque des récoltes, la partie la plus pauvre et la plus nombreuse de la population rurale est en général sous-alimentée »[21]. Ces troubles climatiques, antérieurs aux flux migratoires indochinois et calédoniens, ne sont pas les seuls arguments d’un départ vers les exploitations coloniales indochinoises ou océaniennes, comme le pense Jean Khac. L’inconstance des récoltes montre bien la dépendance profonde à la terre d’une population subissant parallèlement la deuxième phase de la transition démographique : fécondité majeure, taux de mortalité infantile élevé mais mortalité ralentie, accompagnés des changements structurels apportés par la colonisation[22], favorisant de fait une situation de crise structurelle, bien connue des spécialistes de l’Histoire du Vietnam : disparition de l’économie paysanne traditionnelle, industrialisation pour l’exportation et une consommation intérieure faible[23]. Toujours à la limite de la disette et de la misère, dans son espace géographique en équilibre fragile avec son milieu, une surpopulation précarisée peut trouver une solution dans l’exil temporaire. Du point de vue des engagistes, la famine de 1896 a été favorable aux recrutements des engagés par la maison de commerce calédonienne Ballande, sans que le gouvernement et le lobby des colons Indochinois s’y opposent.Enfin, les transformations coloniales des anciennes structures foncières mandarinales et impériales sont aussi à considérer. La concentration des terres et l’acquisition de grands domaines de plantations provoquent le développement de paysans sans terre ou ne possédant plus que quelques hectares pour nourrir leur famille. Selon l’économiste Grégoire Khérian, il y a sans doute en 1937 deux à trois millions de journaliers agricoles dans le Delta du Fleuve Rouge et plus d’un million d’inoccupés. Au Tonkin, la micro-propriété est de règle. En 1930, 91 % des propriétaires possèdent moins de 1,8 hectares, 586 000 propriétaires (61 % du total) possèdent moins d’un mau (0,36 ha), soit beaucoup moins que la surface minimale d’une exploitation pouvant nourrir une famille. Les espaces cultivables reculent, vers le bas du Delta où les paysans (90 % de la population) cherchent des terres en fermage pour payer leurs lourdes dettes, les impôts et pour leurs besoins personnels[24] :
« Chaque année, quand l’Administration coloniale par l’intermédiaire des mandarins et notables faisaient rentrer les impôts les villages retentissaient de pleurs, de cris de désespoir ; des centaines de milliers de paysans étaient arrêtés, fouettés, jusqu’à ce que leurs femmes et enfants eussent trouvé les quelques piastres qu’ils devaient verser. L’Administration coloniale avait ainsi renforcé les structures féodales ; avec la paupérisation rapide de la paysannerie, la disparition des coutumes anciennes, la vie du village perdait de son attrait. Aucune innovation, aucune lumière nouvelle ne pénétraient dans les villages croupissants de misère, où la quasi-totalité des gens étaient analphabètes ». Les terres communales, fondement foncier des villages, diminuent ou disparaissent, entraînant la déstructuration des villages et une augmentation du nombre de paysans sans terre et sans travail. Cette situation récurrente prend racine dans l’attribution des terres aux clients de l’oligarchie des notables (Mandarins) et s’amplifie avec la colonisation. La vente des rizières apporte des revenus aux communes ayant besoin de liquidité[25] et la colonisation achève l’aliénation de ces terres collectives. Elles deviendront une des revendications de la révolte de 1930[26]. 3) Partir du Tonkin, un espoir Les arguments évoqués plus haut soulignent la pérennité d’un contexte de crise favorable au maintien dans la précarité d’un grand nombre de Tonkinois, candidats potentiels au départ vers un ailleurs plus clément et l’espoir d’un monde meilleur, et à la présence d’un prolétariat de plus en plus important. Ces partants, illettrés à 85 % (enquête partielle de 1938), ne peuvent ni lire, ni comprendre les contrats proposés. Il est facile de leur faire espérer des conditions de vie et de travail paradisiaque. Faisant miroiter le moyen de nourrir sa famille, de payer ses dettes, les recruteurs de coolies imposent aisément leurs exigences. Le roman de Jean Van Maï qui met en scène les aspirations de Lan, explique les raisons de son départ et ses conditions de vie en Océanie[27] qui sont en concordance avec de nombreuses sources écrites et orales[28]. Tous les Chân đăng et leurs descendants que nous avons interrogés, ont répondu que la précarité et la misère sont à l’origine de l’exil, vers ce que Jean Van Maï Jean appelle Tân Thê Khoi « le nouveau monde » et « l’île de l’espoir »[29]. Les recruteurs usent de techniques que Mgr Marcou qualifie de racoleuse. Il confirme l’existence d’une propagande pour le travail que se livrent les autorités indochinoises et Calédoniennes[30]. Dong Sy Hua précise les formes que prennent ce « racolage »[31] : « Ils étaient recrutés avec la modique somme de cent vingt piastres, soit 1 200 francs à l’époque, pour une durée de cinq ans, […], à des conditions apparemment très acceptables pour des affamés, des miséreux (comme ce fut mon cas) : 80 francs de salaire par mois pour les hommes et soixante pour les femmes (nous ne nous doutions pas que les prix étaient au moins dix fois plus élevés aux Nouvelles-Hébrides que dans notre pays) ; 500 grammes de riz par jour, 250 grammes de pain, 250 grammes de viande, et puis des légumes verts ou secs, de la graisse, du sucre, du thé ; deux vêtements par an ; couverture et moustiquaire au départ et au milieu du séjour ; logement décent ; soins médicaux gratuits pour le travailleur et pour ces enfants. Si les clauses du contrat étaient correctement appliquées, c’était le paradis, y a pas à dire ! ». Ces pratiques de recrutements sont conformes à celles pratiquées sur les plantations du Sud de l’Indochine[32]. La précarité et l’espoir de s’en émanciper sont des moteurs pour tenter de migrer et un levier pour appâter une main d’œuvre potentielle, même si de nombreux arguments avancés sont faux. M. G.[33] affirme avoir lu que la Nouvelle-Calédonie propose des salaires attrayants, des logements, des loisirs avec des terrains de sport, entre autres de football, à proximité des lieux de travail et des congés de maternité pour les femmes[34]. Dong Sy Hua rappelle sur quelles bases les recrutements s’effectuent dès les années 1920 : « Ils étaient recrutés avec la modique somme de cent vingt piastres, soit 1 200 francs à l’époque, pour une durée de cinq ans, d’abord par M. Bazin qui fut abattu rue de Huê à Hanoï en 1930, puis par M. Roger Lapicque, agissant au nom et pour le compte du gouvernement de Nouvelle-Calédonie et Dépendances, à des conditions apparemment très acceptables pour des affamés, des miséreux (comme ce fut mon cas) : 80 francs de salaire par mois pour les hommes et soixante pour les femmes (nous ne nous doutions pas que les prix étaient au moins dix fois plus élevés aux Nouvelles-Nouvelles-Hébrides que dans notre pays) […] Si les clauses du contrat étaient correctement appliquées, c’était le paradis, y a pas à dire ! »[35]. Et c’est sans détour que le cynique M. Lenoir, l’explique à M. Édouard Michelin en 1927 :
« Pour recruter des coolies, c’est pas compliqué. On les embobine avec rien les Niaqhé. De beslles photos de plantations où on voit les villas des assistants, les automobiles, les jardins. Des coolies bien habillés aussi, photo prise bien sûr le jour de la distribution des vêtements. Ah, j’oubliais le plus important une photo de la paye avec une table pleine d’argent. Ça leur fait de l’effet. Ensuite, tu enchaînes avec le salaire : 0,40 piastres par jour, tu parles si c’est le Pérou pour eux qui sont habitués à toucher 15 sous. Bien sûr tu oublies de leur dire que la vie sur la plantation est très chère. […] Et là, si tu sens quelque réticence, tu abats ton atout maître. Le coolie perçoit une avance de dix piastres. Tu leur montres la monnaie et ils signent sans réfléchir, ces bêtes-là. »[36] Les engagés Tonkinois sont recrutés dans leur village, par voie de presse accessible à ceux qui savent lire, et par la venue de « représentants » vietnamiens, ou caï[37], au service d’un recruteur : « […] Des agents recruteurs parcouraient les campagnes, faisaient signer à des paysans analphabètes des « contrats » qu’ils étaient censés avoir lu, aux termes desquels ils s’engageaient à travailler dans les mines ou les plantations pendant trois à cinq ans. Le recruteur touchait une somme donnée par ouvrier engagé. La main d’œuvre ainsi recrutée était envoyée dans les plantations de caoutchouc de Cochinchine, les mines de nickel de Nouvelle-Calédonie pour y vivre et travailler dans les pires conditions. »[38] La reconstitution assez précise du cheminement des engagés jusqu’au départ pour la Nouvelle-Calédonie est possible dès le début des années 1930, période prolixe en sources orales et administratives. Dans la pratique, l’engagé intéressé se rend au chef-lieu de sa province où il passe une visite médicale[39]. M. Pham Joseph dit s’y être rendu. De là, il attend un train avec d’autres Tonkinois pour le port d’Haiphong. Pour lui, l’acheminement s’est effectué par convois ferroviaires de 300 à 400 personnes[40]. Dans les provinces du bas du Delta, des chaloupes conduisent les futurs engagés jusqu’à Haiphong, comme le décrit une lettre du 29 décembre 1923, du curé Baro, curé d’Haiphong[41]. Trần Tử Binh confirme un recrutement actif par de nombreux recruteurs et une suroffre de propagande et d’images : « À chaque carrefour, sur tous les étals de marchés, des avis publicitaires étaient affichés afin de recruter des travailleurs pour les Nouvelles-Hébrides, pour le sud, pour travailler dans les mines et les plantations. […] Chacun des gangs de sous-traitants tentait d’écarter les autres par une surenchère d’images fantastiques sur cette vie d’un autre monde dans les plantations de caoutchouc, car il recevait deux piastres par personne qu’il amenait aux Français. »[42] Des abus de tout ordre sont relatés mais ils trouvent un faible écho dans la presse locale[43]. L’Administration Indochinoise possède ses réseaux officiels de recrutement, gérés d’abord par l’OGMIC et les bureaux de placement puis grâce aux maisons de commerce Denis Frère. Cependant, des filières parallèles échappent aux contrôles des recrutements[44]. Côté Calédonien, des courriers de novembre 1928 entre les sièges sociaux de la Compagnie Coloniale de Vaté, rue Laffite à Paris, et l’OGMIC à Hanoi montrent l’existence d’un circuit officiel entre le gouvernement d’Indochine et les Nouvelles-Hébrides[45]. Les mouvements financiers et avances de paiement se font par l’intermédiaire de la Banque d’Indochine de Nouméa et à Port Vila. Ainsi, tentés par les salaires, les rations journalières et des avantages, près de 22 000 Tonkinois acceptent un contrat de 5 ans pour les plantations des Nouvelles-Hébrides et les mines de Nouvelle-Calédonie entre 1891 et 1940. II. Précarité vécue par les engagés Tonkinois en Nouvelle-Calédonie Officiellement désignés par un numéro de matricule, en fonction de leur convoi d’arrivée, les Tonkinois se rappellent avoir été traités de « bétail » et de « chiens »[46], ce qui contribue à leur déshumanisation. Les conditions de vie difficiles et de travail sur les sites miniers de Nouvelle-Calédonie et les plantations des Nouvelles-Hébrides accompagnent leur statut de colonisé, encadré par le code de l’indigénat, des textes législatifs et des contrats de travail[47]. Elles mettent en lumière une précarité liée à leurs conditions sociales et juridiques alors qu’ils avaient pensé la fuir. Cette dernière apporte quelques pistes de réflexion sur les manières de résister que nous allons développer maintenant.1) Les rémunérations du travail effectué Les salaires proposés en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides sont fortement attractifs et constituent un espoir pour surmonter les effets de la misère et de la précarité. Un salaire mensuel aux charbonnages du Tonkin est trois fois inférieur à un salaire des charbonnages de Moindou. En 1930, un travailleur Vietnamien en Indochine gagne 49 piastres par an soit 490 francs[48]. Aux charbonnages de Moindou, sa paie peut atteindre 120 F ou 12 piastres par mois soit 1 440 francs par an (soit 3 fois plus qu’au Tonkin). L’article 3 de l’arrêté du 20 juin 1895 prévoit un salaire mensuel de 20 francs avec une retenue de 3 francs pour le rapatriement, soit un salaire net de 17 francs. En réalité, l’engagé ne perçoit que la moitié de ces 17 francs, soit 8,5 francs car l’autre moitié est conservée par le service de l’immigration jusqu’à son départ vers l’Indochine. En effet, l’arrêté du 20 juin 1895 prévoit que l’engagé paie des frais de retour donc son rapatriement par son travail[49] ! Ladite gratuité des rapatriements, prévue dans l’arrêté d’introduction des travailleurs Tonkinois, concerne les engagistes et l’administration coloniale[50]. À partir de juin 1926, la retenue d’un pécule de 2 piastres (soit 20 francs) pour les hommes et de 1 piastre pour les femmes n’est touchée qu’au retour en Indochine. Cette retenue est appliquée aux nouveaux immigrants gagnant à cette date au minimum 90 francs par mois[51]. Cependant, en raison des retenues de rapatriement, des retenues lors des punitions ou sanctions, des prix des denrées de base appliqués dans les magasins des mines ou des plantations, les engagés reviennent au Tonkin avec de faibles économies après cinq ans en Nouvelle-Calédonie ou aux Nouvelles-Hébrides. À son retour en Indochine, à raison de deux piastres par mois en cinq ans, dans le meilleur des cas, un travailleur sous contrat peut espérer acquérir 120 piastres, soit environ 1 200 francs. Si le travailleur tonkinois décède avant son retour en Indochine, le pécule revient à sa famille comme le précisent les arrêtés. Cet argent est maintenu dans un compte de la banque d’Indochine, nommé « service local », compte de recrutement de travailleurs asiatiques et javanais géré par le service de l’immigration à Nouméa et par le trésor de Port-Vila. Les pécules déposés servent à financer les frais engendrés par un séjour au dépôt ou un emprisonnement, par le coût d’une carte d’identité égarée, par une mauvaise conduite, une évasion etc.[52] Tout cela est aussi noté sur un livret de travailleur, conservé par l’employeur. Ce document permet leur contrôle et celui des engagistes par le syndic de l’immigration de la circonscription[53]. Ce contrôle administratif veille au paiement régulier des salaires par les engagistes[54]. Le pécule créé pour « protéger les engagés contre les imprévoyances » sert à financer les frais relatifs aux sanctions. De plus, le prix de la ration de vivre de l’atelier de discipline (c’est à dire la prison) est prélevé sur le salaire[55]. Les engagés paient une part de leur rapatriement et le coût des punitions alors que certains employeurs refusent de rétribuer les pécules[56]. Dans le meilleur des cas, au terme de son contrat de cinq ans au cours des années 1930, un engagé est susceptible de repartir en Indochine avec 510 francs. Cependant, les conditions de rémunération et le coût des denrées maintiennent les engagés Tonkinois dans une dépendance économique envers leurs employeurs, renforcée par l’isolement géographique. Pour comparaison, les salaires des Indochinois de la Société Le Nickel sont notés dans les registres de la « main d’œuvre engagée », en opposition avec le « personnel non-engagé »[57]. Le salaire mensuel d’un Tonkinois en 1900, travaillant 30 jours ouvrables dans le mois, s’élève entre 105 F et 127,5 F. Celui d’un ouvrier européen peut se monter entre 112,5 F et 195 F alors qu’un travailleur Kanak reçoit environ 105 F et un travailleur Néo-hébridais 90 F par mois. Les registres font apparaître ces différences ; ils distinguent aussi les origines de chaque engagés : « Japonais, Javanais, Autres races »[58]. Il existe des différences de salaires entre les engagés tonkinois eux-mêmes et les autres engagés. En 1930, les salaires des Tonkinois atteignent 4 F par jour pour 30 journées, soit 120 F par mois ou 12 piastres mensuelles au charbonnage de Moindou[59]. Dès lors, les salaires varient et évoluent avec les convois, les lieux de travail, le sexe et l’âge de l’engagé : En 1944, le salaire de base aux Nouvelles-Hébrides s’élève à 220 francs pour les hommes et 160 francs pour les femmes[60]. Sur les contrats des travailleurs tonkinois de Tiébaghi entre 1937 et 1939, les salaires augmentent au cours des cinq années de contrat et lors d’un éventuel réengagement[61]. Les différences de traitement dépendent du statut de l’employé, des sites miniers, des convois et des heures de travail effectuées jusqu’à la fin des années 1940. La fin du code de l’indigénat et la mise en place d’une législation du travail met fin à ce mode de traitement. Les heures non effectuées sont déduites, y compris les heures de maladie. À l’inverse, des heures supplémentaires sont théoriquement créditées comme un intéressement ; depuis 1899, la S.L.N pratique la gratification en fin d’année[62]. 2) Se nourrir : dépendance et revendication Comment vivent les travailleurs Tonkinois avec 8,5 francs par mois dans les cantonnements ? L’arrêté de 1895 détermine la première ration alimentaire allouée aux premiers convois de travailleurs tonkinois, la nature de la nourriture et les quantités quotidiennes respectives en gramme pour chaque aliment. Au cours des années 1920, des arrêtés locaux successifs tentent de les améliorer en termes de quantités et de qualités, par l’augmentation des rations ou par l’ajout de certains aliments. L’établissement de ces arrêtés semble avoir été incité par la venue d’inspecteurs des services civils du gouvernement général d’Indochine, à la demande des travailleurs engagés des Nouvelles-Hébrides d’abord puis de Nouvelle-Calédonie[63]. La première forme de résistance collective des engagés des Nouvelles-Hébrides est de faire appel aux administrateurs du travail en Indochine. Elle revêt un caractère officiel et légal. Ce mouvement collectif voit le jour en raison des réclamations écrites multiples et répétées d’engagés auprès des autorités coloniales, dénonçant les carences de ravitaillement et le non-respect des clauses des contrats. Force est de constater que les textes de loi ne modifient guère les habitudes prises par certains employeurs, comme celle de minimiser les quantités et la qualité des aliments au cours du temps[64]. La modification de la ration alimentaire, établie avec l’arrêté de 1927[65] ajoute des portions de légumes et du pain à cette ration. Les engagés sont sous alimentés et nourris avec des produits médiocres. Le riz acheminé avec les coolies, sur les bateaux des Messageries Maritimes est connu pour sa mauvaise qualité[66]. Les épidémies de Béribéri font l’objet de nombreux courriers médicaux de la part des médecins des entreprises minières comme la S.L.N. Des demandes d’envois de riz rouge correspondent au traitement de fond de cette pathologie. Le plus souvent, les refus de soins et les violences psychologiques et physiques de certains employeurs maintiennent les travailleurs dans des états critiques. L’application de l’arrêté de 1927 s’accompagne d’un arrêté de mise en garde l’année suivante envers les employeurs qui ne le mettent pas en pratique[67]. Les documents ultérieurs émis par le service de l’immigration de Nouvelle-Calédonie démontrent l’inapplication de l’arrêté du 21 octobre 1927. La succession de textes de mise en garde révèle la désobéissance de certains engagistes, la complaisance des syndics et les difficultés de faire appliquer les articles de la loi, dans des régions éloignées et insulaires. Dans une majorité de cantonnements, les Tonkinois ne reçoivent pas leurs maigres rations régulièrement. S’ils les obtiennent, la qualité des produits se rapproche soit de la putréfaction, soit de l’escroquerie[68]. Les rapports d’inspections des années 1930, et ceux repris partiellement par M. Dong Sy Hua, décrivent une situation similaire au cours de la seconde Guerre Mondiale. Les difficultés d’approvisionnement engendrées par les perturbations du trafic maritime sur le front Pacifique, ont conduit à des restrictions alimentaires qui affectent tout le monde et plus cruellement les travailleurs engagés[69]. Au cours des grèves de 1945, manger à sa faim est une des principales revendications[70] bien qu’elle passe après le désir de rapatriement. Au cours de cette période, l’augmentation des rations alimentaires proposées par les autorités métropolitaines, sont un argument pour calmer les revendications sociales des Annamites[71], mais elles ne sont pas mises en pratique localement. Le contrôle de la nourriture constitue un moyen d’avilir les engagés tonkinois : les décisions arbitraires de diminuer les rations alimentaires sont courantes. Les rendements exigés n’induisent pas de suppléments alimentaires mais les rendements non atteints sont sanctionnés par une diminution des rations[72]. L’interdiction de vendre des produits de première nécessité aux employés « difficiles » est une autre forme de sanction[73]. Comme lors des grèves entre 1945 et 1946, les stores des mines de Voh se refusent à fournir du riz aux travailleurs indochinois grévistes. Les « stores »[74] des campements, appartenant aux entreprises, vendent des produits de premières nécessités (nourriture, lait en poudre, tissus, savons, bougies etc.) à des prix supérieurs aux tarifs en vigueur. Aux Nouvelles-Hébrides, un litre de lait est vendu 15 F dans les années trente[75]. L’endettement des engagés paraît presque inévitable car la dépendance alimentaire est liée à l’isolement géographique et au bon vouloir du patron et des ravitaillements, alors qu’il est interdit de se déplacer de la circonscription, sans autorisation du syndic. L’éventualité de l’endettement est d’ailleurs envisagée dès 1893[76]. Si l’engagé demeure débiteur au terme de son contrat, l’Administration coloniale n’intervient pas auprès de l’engagiste. Il demeure donc chez son employeur. Nous pouvons nous demander si cette pratique ne s’apparente pas à de l’esclavage pour dette. En étudiant les rapports de gendarmerie, on constate que le vol de numéraires et d’objets est le premier délit commis par les engagés Tonkinois avant la violence physique et le meurtre. Le nombre de suicides par pendaison de Tonkinois peut aussi nous interpeller, bien que nous n’en connaissions pas les raisons précises. Par ailleurs, le difficile accès à des produits de première nécessité maintient la précarité et ses effets : sous-alimentation, mortalité infantile, etc. III. S’opposer à la précarité et lutter contre une situation de crise Comme en Afrique et en Indochine, des grèves éclatent en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides et, à la même période, dans les Empires coloniaux français et britannique. Les causes de ces mouvements collectifs et organisés peuvent se résumer par la violence des relations coloniales et le contexte politique de la fin de la Seconde Guerre mondiale. La présence du mouvement communiste auprès des populations asiatiques influence l’apparition d’une conscience ouvrière[77]. Ce mouvement social, considéré localement comme un épiphénomène, est à reconsidérer dans l’histoire coloniale calédonienne et d’autre part à replacer dans un mouvement ouvrier international, dans les processus de décolonisation et d’émancipation des travailleurs des colonies, avec la conférence de Brazzaville, la mise en Résidence Libre et la fin du code de l’indigénat en Nouvelle-Calédonie en 1946. 1) Mouvements sociaux et grèves Des phénomènes de résistance sociale apparaissent au cours des années trente avec plus ou moins d’acuité, prouvant les motivations politiques anciennes des engagés Tonkinois sous contrat, qui ne sont pas uniquement inhérents à la création du Parti communiste calédonien en 1941. Nous laisserons de côté, pour l’instant, les violences, les sanctions et la transformation de l’habitat des villages miniers Tonkinois[78], pour retracer l’existence de ces mouvements jusqu’aux grèves de 1942-1946, les fêtes et des compétitions sportives au cours des années cinquante. Les engagés Tonkinois ont régulièrement revendiqué contre les manquements aux contrats et dénoncent l’attitude de certains colons ou contremaitres à leur égard. Les journaux et les autorités coloniales calédoniennes font peu de cas de ces mouvements plus ou moins violents et organisés, sauf pour informer de meurtres, de vols de la part des engagés. Sur les plantations et les sites miniers isolés, les premières revendications individuelles ou en petits comités n’apportent aucune amélioration et sont vites réprimées. Les premières revendications collectives voient le jour avec la venue des inspecteurs du travail d’Indochine ; les Tonkinois écrivent collectivement aux gouverneurs pour dénoncer les comportements de leurs engagistes et leurs conditions de vie[79]. Aux Nouvelles-Hébrides, une grève a lieu en 1935 mais l’isolement et l’insularité circonscrivent ce mouvement. En Nouvelle-Calédonie, au cours des années trente, de nombreux colons obtiennent des concessions minières. Les petites entreprises peinent à survivre et des grèves diffuses se succèdent où des Tonkinois demandent à être payés. Il s’agit de petits collectifs peu organisés de 7 à 10 personnes, sans réels appuis et organisation[80]. Les grèves générales des ouvriers Tonkinois des années quarante constituent des épisodes de construction dynamique de résistance, dans un contexte de guerre mondiale. Le condominium des Nouvelles-Hébrides est le premier à se rallier à la France Libre. La guerre du Pacifique conduit les Nouvelles-Hébrides et la Nouvelle-Calédonie à devenir des bases arrière de l’U.S. Army. Des efforts de guerre sont demandés (augmentations des rendements de travail, tickets de rationnements, diminution des rations de riz, etc.). Parallèlement, un élan de modernité, de technicité amène les engagés tonkinois, comme les colons et les kanaks, à développer des petits commerces, voir des trafics. L’armée américaine déverse sa logistique : construction de routes, d’aéroports. Les Calédoniens découvrent le chewing-gum, le chocolat, les cigarettes. Les premiers mouvements de grève commencent entre 1942 et 1943 sur les sites miniers de la côte Ouest. En 1945, la mort d’un travailleur sur le plateau de Thio[81], la levée du drapeau de la République Démocratique du Vietnam à Voh, en 1946, constituent des événements paroxystiques d’une crise coloniale et conjoncturelle[82]. Aux Nouvelles-Hébrides, le 30 juin 1946, les drapeaux de la République du Vietnam, le drapeau français et celui de l’Union Jack sont érigés à Port Vila[83]. Les salaires, les rapatriements et les questions alimentaires sont chronologiquement les premières revendications. Bien que l’affiliation au Parti communiste français calédonien dans le cadre de la section vietnamienne du Parti communiste et l’affiliation à la C.G.T par le biais des associations de travailleurs vietnamiens, calédoniens et néo-hébridais influencent ces mouvements sociaux, ces grèves n’ouvrent pas la voie à une large unité entre les différents travailleurs des mines[84]. Les autorités coloniales ne cèdent que très partiellement aux demandes tonkinoises. Avec la disparition du travail contraint et du code de l’indigénat (1946), les expulsions des « agitateurs » politiques dès 1947, la mise en place de l’Union Française, les grèves se raréfient au cours des années cinquante et ce malgré une forte opposition de la population calédonienne lors de la Guerre d’Indochine[85]. Les quartiers réservés aux engagés tonkinois sur les sites miniers et les plantations deviennent des villages avec leur organisation propre. Le terme de village remplace peu à peu celui de baraquement ou de cantonnement. Ces villages deviennent des lieux de sociabilité et d’activation de réseaux internes et externes. Ils deviennent le lieu de compétitions sportives entre des équipes vietnamiennes de volley, de football, etc. Des fêtes, des commémorations accueillent des individus extérieurs. De plus, ils ne sont pas isolés du Tonkin puis de la République Démocratique du Vietnam. Les travailleurs engagés possèdent des radios. Grâce à un bricolage avec des fils de cuivre et des antennes, les travailleurs de Tiébaghi captent la radio vietnamienne. Tous les soirs, les informations vietnamiennes sont diffusées. 2) Fêtes et activités sportives et culturelles dans les villages tonkinois La jeunesse de ces villages profite d’un encadrement sportif et culturel organisé. Des équipes de volley, de football participent aux compétitions sportives avec d’autres équipes tonkinoises de Nouméa ou de la Grande Terre. La mine de Tiébaghi possède un terrain de football à proximité du village. Quant au volley, il se joue entre les deux maisons communes du quartier. Certaines compétitions apparaissent encadrées et soutenues par le chef des délégués communiste du Nord Vietnam, M. Hoang. Ainsi, l’encadrement d’une majorité de la jeunesse vietnamienne passe par le soutien des membres de la délégation du parti communiste vietnamien[86]. Le contrôle social traditionnel des villages vietnamiens et l’influence du Parti communiste s’opèrent dans les villages tonkinois les plus reculés de la Nouvelle-Calédonie. Il semblerait que chaque village avait une personne ou une famille qui relayait la délégation de Nouméa. Ainsi, la présence dans un village, du responsable de la délégation est un honneur. M. Hoang semble avoir mené aussi une action sportive, culturelle et musicale auprès de la jeunesse. C’était l’occasion d’une rencontre amicale, de grands repas, de danses, de pièces de théâtre, de tournois sportifs, organisés pour soutenir le délégué communiste de Nord Vietnam. Les activités culturelles et sportives des villages miniers sont à relier, dans un premier temps, à la présence de la délégation du Nord Vietnam mais aussi à celles des associations de paroisses puis avec la création de l’Amicale Vietnamienne[87]. Les villages tonkinois s’animent régulièrement de revendications nationalistes et politiques. Des procès-verbaux de gendarmerie le rappellent. Surtout lors des années 1944 et 1945 ; la période des grèves suscite une surveillance plus intense concernant l’influence du mouvement communiste dans les mines. Le village ou le quartier tonkinois est devenu un lieu de revendications politiques et syndicales, lors des fêtes et des commémorations pour le général Giap ou Ho chi Minh. Cet aspect politique ne s’est pas éteint avec la mise en Résidence Libre. La victoire de Dien Bien Phu en 1954 provoque des représailles racistes à Nouméa et des interdictions sur les sites miniers. C’est autour des maisons communes des villages tonkinois de brousse que les actions du quotidien s’organisent. Elles sont utilisées comme salle de classe pour l’école vietnamienne, pour les fêtes, les commémorations, les mariages etc. Les archives de M. Bui renferment de nombreuses scènes de pièces du théâtre traditionnel vietnamien[88], de réunions à l’intérieur comme à l’extérieur de la maison commune. Celle de Tiébaghi, construite au bout de l’axe principal du village, dispose d’une place où il est possible de faire des processions religieuses ou des manifestations politiques en l’honneur d’Ho Chi Minh. Aucune politique officielle d’enseignement pour les enfants d’engagés Tonkinois des sites miniers ou des plantations n’existe en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides jusqu’en 1953[89]. Le manque d’initiatives de la part des autorités coloniales laisse les écoles vietnamiennes autonomes combler ce vide sur certains sites miniers calédoniens et de nombreuses plantations isolées néo-hébridaises. Les missions maristes néo-calédoniennes s’en étaient préoccupées en 1925, par l’intermédiaire du père Raynaud aux charbonnages de Moindou. La présence de plus en plus marquante d’enfants dans les convois et les villages tonkinois inquiètent les missionnaires qui voient en eux une génération de futurs délinquants[90]. Auparavant, aucune correspondance ecclésiastique ne traite de ce sujet et le père Raynaud se heurte au refus de ses supérieurs et à des oppositions locales[91]. Aussi avant 1943, des écoles vietnamiennes s’organisent dans les cantonnements de manière informelle. Leurs origines restent à élucider mais leur existence est confirmée par des archives ultérieures et par le fait qu’à partir de 1943, certaines écoles de cantonnement deviennent « clandestines ». D’autres sont détruites ou interdites entre 1940 et 1950, comme à La Foa. Elles prennent par exemple le nom d’école de la jeunesse écolière internationale du Vietnam à Tiébaghi. Le cantonnement de Doniambo de la Société Le Nickel à Nouméa possède aussi une école vietnamienne où l’instituteur est payé par les familles pour enseigner aux enfants. Elles prouvent l’existence de liens de solidarité et d’une forme de résistance idéologique des travailleurs Vietnamiens, en s’accommodant de la réalité vécue : maintenir un lien avec le Vietnam pour un hypothétique retour ou par nationalisme et apprendre le français pour travailler et intégrer ces enfants, relèvent tout autant de la résistance que de l’adaptation. Avant les grèves de 1945 puis la Résidence Libre, la majorité des enfants Tonkinois des centres miniers ne fréquentent pas régulièrement la même école que les enfants européens. L’intégration dans les écoles laïques demeure lente, semée de processus discriminatoires et d’une résistance de la part de certains directeurs d’écoles. Après les grandes grèves de 1945, des écoles vietnamiennes sortent plus ou moins de l’anonymat, s’officialisent, à la fois aidées et organisées par les employeurs, comme la S.L.N, sous la demande des autorités coloniales[92] ou par les Associations syndicales de travailleurs Vietnamiens. En 1947, quatre écoles vietnamiennes « officielles » existent sur la mine de Tiebaghi, de Paagoumène, à l’usine Doniambo et à la mine Toumourou à Thio. D’autres cantonnements organisent leurs propres enseignements sur fonds propres. Or, les structures scolaires mises en place ne suffisent pas à satisfaire la demande. L’enseignement des petits Tonkinois devient une revendication lors des grèves[93]. Les effectifs scolaires souffrent du peu de moyens financiers[94]. Les demandes de création d’écoles sur Nouméa reviennent à l’initiative et à la ténacité des intéressés[95]. Ces dernières, autorisées par le gouvernement local, sont non officielles comme à la Vallée du Tir et à la Vallée des Colons à Nouméa, mais elles permettent l’installation de ces populations dans ces quartiers et côtoient les écoles publiques et privées. L’étude des écoles vietnamiennes révèle l’influence des idées portées par Ho Chi Minh et une nécessité pragmatique de s’accommoder à la réalité coloniale néo-calédonienne où nous pouvons constater la faiblesse de l’instruction des enfants de Chân đăng. Les écoles vietnamiennes, tolérées et maintenues en marge, font écho à une forme de ségrégation que l’absence de rapatriement après 1940 a prolongé. Représentant aussi un lieu de propagande, les autorités coloniales locales souhaitent les voir disparaître ou les contrôler en interdisant les écoles n’ayant pas obtenu d’agrément ou en plaçant des instituteurs européens à la place des instituteurs vietnamiens pour en obtenir le contrôle pédagogique et administratif[96]. L’existence d’un mouvement migratoire vers l’Océanie et la présence d’engagés Tonkinois en Nouvelle-Calédonie et aux Nouvelles-Hébrides entre 1891 et 1964 retracent la volonté de nombreux Tonkinois de tenter de s’affranchir des effets de l’instabilité et de la précarité liées à une crise structurelle, durablement installée au Tonkin et en Indochine puis renforcée par la déstabilisation apportée par la présence coloniale. Aussi, au lieu de subir, certains d’entre eux décident de s’engager et migrer peut-être parce que « l’herbe est plus verte ailleurs » mais surtout parce que les propositions d’embauches y étaient plus favorables. Ici, la précarité subie est à la fois source et conséquence de crises car l’espoir d’une vie meilleure motive la décision du départ mais aussi la violence coloniale ordinaire, endurée à nouveau en Nouvelle-Calédonie, déçoit d’abord puis cède la place à des actes de résistances et à la résilience. Aussi peut-on s’interroger sur le concept de crise et sa relation avec la précarité car quand cette dernière perdure, ne devient-elle pas un système où chaque forme d’opposition et de résilience en dessinent les contours ?
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Claudy Chêne , Centre Georges Chevrier, UMR 7366 uBFC/CNRS (Sous la direction de Jean Vigreux) |
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Haut de page NOTES
[1]
Natacha Ordioni, « Le concept de crise : un paradigme
explicatif obsolète ? Une approche
sexospécifique », Mondes en développement, vol. 154, n° 2,
2011, p. 137-150.
[2]
Georges Balandier, « La situation coloniale :
approche théorique », Cahiers internationaux de sociologie, 2001/1,
n° 110, p. 9-29.
[3]
Ibid., p. 9-10.
[4]
Ibid., p. 32
[5]
Christiane Bougerol, « Chronique d’une crise
coloniale et son contexte : les Vietnamiens de
Nouvelle-Calédonie (1945-1964) »,
Journal de la Société des Océanistes, 2000, n° 110, p. 83-95. En ligne : http://www.persee.fr/doc/jso_0300-953x_2000_num_110_1_2117.
[6]
Claudy Chêne, « notice Chân
đăng », dans Alain Ruscio [dir.], Encyclopédie de la colonisation française, Paris, Les Indes savantes, 2017.
[7]
La surpopulation est un état démographique
caractérisé par le fait que le nombre d’individus
excède la capacité
de charge
de son habitat et de son environnement.
[8]
Pierre Gourou, Les paysans du delta tonkinois, Paris, EFEO,
1936 ; id., Terre de bonne espérance, le monde tropical, Paris, Plon, 1982.
[9]
Pierre Brocheux et Daniel Hemery, Indochine, la colonisation ambiguë, 1858-1954, Paris, La Découverte. Réédition 2001, p. 256.
[10]
SANC, AAN 1 Mi 3 (R 165), lettre d'André Ballande à Mgr
Chanrion du 18 novembre 1924.
[11]
Pierre Gourou, Terre de bonne espérance, le monde tropical,
Plon, 1982.
[12]
Pierre Gourou avait lancé une enquête géographique
sur 8 000 villages.
[13]
SANC, 37W355. Tableau de la provenance des engagés
Tonkinois entre 1933 et 1940, élaboré à partir des
cahiers de l’office du travail.
[14]
Lë Thân Khôi, Histoire du Vietnam, des origines à 1858, Paris,
Éditions Sudestasie, 1981, p. 384 : « […]
Rien n’est lamentable comme de voir toute une population
exténuée de faim, à peine couverte de haillons,
pâle et défiguré ressemblant (plus) à dess
cadavres qu’à des êtres vivants : pauvres
gens qui se disputent quelques herbes sauvages le long des
chemins, qui vendent ce qu’ils ont pour se procurer une
poignée de riz, qui tombent d’inanition et meurent
sans secours sur le bord des routes
[…]. »
[15]
Lê Thân Khôi, op. cit., p. 382 et
384.
[16]
Pierre Brocheux et Daniel Hemery, op. cit., p. 256 :
« Les disparités de l’économie
paysanne ».
[17]
Claudy Chêne, Les Tonkinois engagés sous contrat en
Nouvelle-Calédonie. 1891-1964, mémoire de Maîtrise en histoire contemporaine,
université de Franche-Comté, 2004 :
entretien avec Mme Anna Pham.
[18]
Lê Thân Khôi, op. cit., 1981, p. 384 ; traduit par Bui Quang Tung, « La succession de
Thiêu-tri », BSEI, 1er et 2e
trimestre 1967, p. 55-56.
[19]
Claudy Chêne, 2004 :
entretien avec M. Jean Khac.
[20]
Nguyen The Anh,
Monarchie et fait colonial, au Viêtnam (1875-1925), Le
crépuscule d’un ordre traditionnel, Paris, L’Harmattan, 1992.
[21]
Pierre Brocheux et Daniel Hemery, op. cit.
[22]
Ibid., p. 257.
[23]
Ibid.,
p. 259.
[24]
Nguyen Khac Vien, Vietnam, une longue Histoire, Paris,
L’Harmattan, 1999, p. 199.
[25]
Pierre Brocheux et Daniel Hemery, op. cit., p. 197.
[26]
Ibid., p. 258.
[27]
Jean Van Mai, Chân Dang, les Tonkinois de
Calédonie au temps colonial, Nouméa,
Éditions de la SEH, n° 24, 1980.
[28]
SANC, 1J10, Fonds du Pr. Jean Guiard. Inspection du travail sur la
plantation Theuil, Baie des Sarmette et Crabs Bay, aux
Nouvelles-Nouvelles-Hébrides, 17 mai 1939 :
« Mac Thi Dan, n°mle 4431.Vit maritalement avec
Vu Van Ta, n°mle 4435. Débrousse avec les autres,
partie du Tonkin très pauvre, elle veut travailler ayant
encore sa mère et voulant aider ses frères mais est
très brutalisée. »
[29]
Jean Van Mai, op. cit., 1980. L’île de
l’espoir est le nom donné à la
Nouvelle-Calédonie dans son roman.
[30]
SANC, AAN, 1 Mi 3. Lettre de Mgr Marcou de Phat Diem du 5 mai
1921 au vicariat de Nouméa : «
Comme vous le verrez par l’article du journal du Tonkin
que je mets sur ce pli,
[Ce journal n’est pas physiquement présent dans ces
archives microfilmées.]
on se livre à un racolage qui aura pour effet
inévitable de vous amener à la Nouvelle, un grand
nombre de Tonkinois.
»
[31]
Dong Sy Hua,
De la Mélanésie au Vietnam, itinéraire
d’un colonisé devenu francophile, Paris, L’Harmattan, 1993.
[32]
Éric Panthou et Tran Tu Binh, Phu-Riêng, Les plantations Michelins au Viêt Nam, Vertaizon, Éditions La Galipote, 2013.
[33]
Claudy Chêne,
op. cit., 2004,
entretien avec M. G.
[34]
Les congés maternité sont prévus depuis 1909 pour
les employées françaises. En 1929, ces dispositions sont
étendues à l’ensemble des fonctionnaires, puis
à l’ensemble des salariées en 1970.
[35]
Dong Sy Hua, op. cit., 1993.
[36]
François Graveline,
Des hévéas et des hommes, l’aventure des
plantations Michelin, Éditions Nicolas Chaudun, 2006.
[37]
« Caï » peut se traduire par caporal ou contremaître.
[38]
Nguyen Khac Vien, Vietnam, une longue Histoire, Paris,
L’Harmattan, 1999.
[39]
SANC : 1J6. Contrats de travail de Tiébaghi.
[40]
Claudy Chêne, op. cit., 2004,
entretien avec M. Pham Joseph.
[41]
SANC, AAN, 1 Mi 3, archevêché. Lettre du père
Baro du 29 décembre 1923 : « […]
Je me suis occupé du départ du François Xavier
qui devait amener des annamites à Nouméa. Le
François Xavier est parti avec bon nombre de
chrétiens. Le matin du jour du départ, je suis
allé au bateau mais les partants n’étaient pas
encore arrivés à Haiphong. Ils venaient par chaloupe
de Nam Dinh
[…]. »
[42]
Éric Panthou et Tran Tu Binh, Phu-Riêng, op. cit.
[43]
SANC, 1Mi6 R15, 17 juillet 1929. Bulletin du commerce,
article de France-Indochine du 18 avril 1929 :
« La main-d’œuvre Tonkinoise. Plus de
recruteurs ».
[44]
Lucille Chiovenda, « Portrait d’un engagiste : les premières opérations de recrutements de Francis Vetch et Paul Claudel à Madagascar et à La Réunion (1901) », dans Éric Guerassimoff et Issiaka Mandé [dir.], Le travail
colonial. Engagés et autres mains-d’œuvre migrantes
dans les empires, 1850-1950, Paris, Éditions Riveneuve, 2016.
[45]
CAOM, apc 71 cgnh. « Sur la demande de l’OFFICE GENERAL DE LA MAIN
D’ŒUVRE INDOCHINOISE (par sa lettre du I octobre)
nous vous informons que sur le contingent “LAPEROUSE”
figure une délégation de solde pour un
interprète destiné à votre Compagnie de 30
piastres mensuellement. Vous aurez, en conséquence, à
couvrir ultérieurement l’OGMIC de cette avance
et à aviser votre directeur d’avoir à la
retenir à l’interprète en question
[…]. »
[46]
Claudy Chêne, 2004, op. cit.
[47]
Les engagés Tonkinois dépendaient comme les kanaks du
code de l’indigénat. Celui-ci était appliqué,
sous une forme moins drastique, en Indochine.
[48]
Soit 280, 04 euros annuels.
[49]
SANC, Recueil Étienne. Arrêté du 20 juin 1895. Article 3. 1°. « […]
Un salaire de vingt francs par mois, avec retenue de trois
francs destinée à payer le rapatriement à la fin
de l’engagement
[…] ».
[50]
SANC, Recueil Étienne. Arrêté du 20 juin 1895, article
7.
[51] SANC, Arrêté n° 900 créant un
pécule pour les immigrants Indochinois engagés en
Nouvelle-Calédonie, article 3.
[52]
SANC, État des sommes à retenir sur le pécule des
Tonkinois pour punition, 6 juillet 1949 et états des sommes
à retenir sur le pécule de divers Tonkinois pour frais
dus au service de l’immigration selon les critères
suivants retenus : cartes d’identité,
dépôt, atelier, capture, conduite, amende, hôpital,
1947 et 1949.
[53]
Le syndic de l’immigration était un gendarme
affecté au contrôle des migrants.
[54]
SANC, Carnet des travailleurs Tonkinois de Tiébaghi, 1944.
[55]
SANC, Arrêté n° 1086 fixant la ration des
immigrants placés à l’atelier de discipline de
l’asile de Nouville du 5 décembre 1944. Gouverneur
Sautot : « […]
Les immigrants et indigènes doivent rembourser le prix de
leur nourriture selon le tarif fixé par décision du
Gouverneur. Le remboursement de la ration est effectué par
voie de retenue sur les salaires par les soins du service de
l’immigration. »
[56]
SANC, Fonds du Pr. Jean Guiart. Courrier du 28 mai 1933 de
l’administrateur des colonies délégué
français du condominium des Nouvelles-Hébrides de la
circonscription de Santo à monsieur le directeur de la
Société française des Nouvelles-Hébrides.
[57]
SANC, Fonds de la SLN Charbonnage de
Moindou – Rapport mensuel, Mars 1928.
[58]
SANC, Fonds de la SLN registre du nombre de travailleurs
employés 1927. Mine Audace.
[59]
SANC, Fonds de la SLN, Courrier du 12 février 1930
adressé à M. Severin François. Bruxelles.
[60]
SANC, 1J 10. Fonds du Pr. Jean Guiart. Rectificatif du
barème des salaires des travailleurs annamites au 1er juillet
1944.
[61]
SANC, Carnets de travail des Tonkinois de Tiébaghi .
1937-1939. Article n° 9. La mine de Tiébaghi
offrait de meilleurs avantages que les autres sites miniers.
[62]
Yann Bencivenco, « Naissance de l’industrie du
nickel en Nouvelle-Calédonie et au-delà, à
l’interface des trajectoires industrielles,
impériales et coloniales (1875-1914) », Journal de la société des Océanistes, 138-139, 2014. En ligne : https://journals.openedition.org/jso/7144.
[63]
SANC, arrêté n° 62 fixant les quantités
de nourriture à allouer aux travailleurs Indochinois du 21
octobre 1927.
[64]
Les rations de viande étaient le plus souvent de
troisième catégorie et avariées.
[65]
SANC, arrêté n° 62 fixant les quantités
de nourriture à allouer aux travailleurs Indochinois du 21
octobre 1927.
[66]
SANC, Fonds du Pr. Jean Guiart. Annotations à la lettre du 17
juin 1933 du directeur général de la SFNH.
[67]
SANC, arrêté du 10/7/1928 modifiant l’article 4
de l’arrêté n° 62, du 21 octobre 1927,
fixant les quantités de nourriture à allouer aux
travailleurs indochinois et considérant qu’il y a lieu
de prévoir des sanctions intermédiaires pour les
manquements à l’arrêté précité du 21
octobre 1927.
[68]
SANC, Fonds du Pr. Jean Guiart. Procès-verbal du 3 mars 1943.
[69]
SANC, télégramme n° 865 du 13 mai 1946 du
Gouverneur Tallec de Nouméa au Ministère des Colonies
à Paris.
[70]
SANC, Fonds du Pr. Jean Guiart. Lettre de revendication de 99
Tonkinois des Nouvelles-Hébrides au résident de France
à Santo. Le 8 mai 1945.
[71]
SANC, télégramme n° 244/AP du ministère
des Colonies au Gouverneur Tallec, le 17 avril 1946.
[72]
SAAN, 1J10, fonds du Pr. Jean Guiart. Annexe n° 1,
inspection de la plantation de Mr R à Santo, 15 mai 1945.
[73]
SANC, Compte rendu de la réception des
délégués de Voh, Tonkinois n° 2464 et
2768, par Monsieur Lapelerie, chef du service de
L’immigration, le 2 janvier 1945, en présence de MM.
Peloux et Cheval.
[74]
Les stores sont les noms des magasins présent dans les
villages miniers. Ils appartiennent à la société qui
emploie les engagés.
[75]
SANC, Fonds privé du Pr. Jean Guiart.
[76]
SANC, Recueil Étienne, décret du 11 juillet 1895. Section
II, article 49 et 51.
[77]
Ann Laura Stoler et Frédéric Cooper, Repenser le colonialisme, Éditions Payot et Rivages, 2013.
[78]
Claudy Chêne,
L’habitat des travailleurs tonkinois, engagés
sous contrat sur les sites miniers de Nouvelle-Calédonie. 1861-1964. Habiter, distribuer, fonder, mémoire de Master 2 espaces, sociétés et
littératures des mondes océaniens en histoire
contemporaine. 2009.
[79]
SANC, Fonds du Pr. Jean Guiart.
[80]
SHAT, 98 E. Fonds de la gendarmerie.
[81]
SHAT, 12 H 4. Série histoire.
[82]
Christiane Bougerol, art. cit.
[83]
Dong Sy Hua,
De la Mélanésie au Vietnam, itinéraire
d’un colonisé devenu francophile, Paris, L’Harmattan, 1993.
[84]
Cette partie de l’histoire Calédonienne reste encore peu
connue de l’ensemble de la population calédonienne.
Cette mémoire partielle occultée pose la question des
archives diffuses.
[85]
Il ne faut pas pour autant en déduire que les mouvements
politiques et particulièrement le Parti communiste
français disparaissent définitivement. En
Nouvelle-Calédonie, il reste actif jusqu’en 1950. Aux
Nouvelles-Hébrides, il est présent jusqu’en 1964.
[86]
La délégation vietnamienne se trouvait dans la rue
Bénébig, Vallée des colons. La maison avait
été offerte par une famille vietnamienne. On peut la
qualifier d’une sorte de consulat. Les actions politiques
mais surtout culturelles et sportives permettaient de former
des équipes pour apprendre à lire et écrire le
vietnamien, de mener des actions volontaires dans les
quartiers.
[87]
Claudy Chêne,
2004, op. cit., entretien avec M.
Pierre Nguyen.
[88]
Claudy Chêne,
2009, op. cit., entretien avec M Bui. Les pièces de théâtre
jouées à Tiébaghi étaient issues des
œuvres de la littérature classique ou bien du
théâtre rénové « My
Diên » et du genre littéraire Cai Luong.
[89]
Claudy Chêne, 2004, op. cit. :
« […] Non je arrivé 1938 jusqu’avant même pas d’école pour employés quand je arrive là-bas jusqu’à 1945 les enfants 7 ans 6 ans pas école encore mais après peut-être l’école quand les autres libres, les autres partis par là, par là. - Après ils ont pu y aller ? - Mais pas grand-chose […] - Pour parler le français, vous parliez le vietnamien entre vous - Oui, nous là-bas nous parlé, normalement, si quelqu’un connaître ti peu français c’est parlé ou parler bichlamar avec y’en a patron, y’en a contremaître noirs indigènes obligés tout le monde parler bichlamar. […] »
[90]
S.A.N.C., A.A.N. Lettre du Père Raynaud au vicariat de
Nouméa du 16 octobre 1925.
[91]
S.A.N.C, A.A.N. lettre du père Raynaud à Mgr Chanrion, du
26 novembre 1925.
[92]
S.A.N.C. Note au sujet de la création d’écoles pour
les enfants Indochinois. Exécution des prescriptions de la
note n° 2040 du 4 septembre 1947.
[93]
S.A.N.C. Jeunesse écolière internationale du Vietnam
domicilié à Tiébaghi.
[94]
Entretien Chân đăng 2, Port Vila, 2010, «
À l’Union Syndicale Viet à Tagabe en 1955,
j’ai été payée 2.000 francs
hébridais. En 1956, augmente à 2.500 francs. Les
salaires à l’époque sont très bas. Mais
dans les autres entreprises on touche au moins de 8 à
10.000 francs par mois. Peut-être c’est le
devoir ou l’obligation ? »
[95]
S.A.N.C. Note au sujet de la création d’écoles pour
les enfants Indochinois. Exécution des prescriptions de la
note n° 2040 du 4 septembre 1947.
[96]
S.A.N.C. Courrier du chef de service de l’instruction
publique à M. le directeur de la SLN du 16 avril 1953.
Courrier donnant des informations sur un entretien de M. Laffont
avec le secrétaire général de la colonie.
Objet : les écoles vietnamiennes.
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