Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche "Sociétés, Sensibilités, Soin" UMR 7366 CNRS-uB |
Transversales |
Crises, précarité/fragilité | |||||||||||||||||||||||||
Le vieillissement de la population : crise ou défi ? | |||||||||||||||||||||||||
Angélique Giacomini (Philipona) | Résumé | Mots-clés | Sommaire | Texte | Auteur | Notes | Références | ||||||||||||||||||||||||
Haut de page RÉSUMÉ La France, par le vieillissement de la population qu’elle connaît actuellement, est dans une situation inédite, principalement parce que ce phénomène modifie l’équilibre des générations : pour la première fois, les personnes âgées de 60 ans ou plus sont plus nombreuses que les moins de 20 ans. Cette modification de la structure par âge de la population apparaît comme étant une « crise » dans le sens où elle fait émerger de nouvelles problématiques et nécessite l’élaboration de nouveaux repères dans plusieurs domaines.La démarche Villes Amies des Aînés, créée par l’Organisation mondiale de la santé, propose une méthodologie visant à permettre aux collectivités territoriales d’adopter de nouveaux principes d’action afin de mener des politiques publiques plus adaptées à ce phénomène démographique, et donc d’éviter la crise. Notre travail de recherche vise à analyser la façon dont 13 communes françaises se sont appropriées cette démarche afin de faire évoluer leur politique en s’adaptant à ce nouvel équilibre. Nous présentons ici de manière synthétique deux exemples de leviers ou obstacles à ce changement de repères, illustrant ainsi le défi auquel doivent faire face les collectivités territoriales en termes d’adaptation de la société au vieillissement. |
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SOMMAIRE
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Chaque seconde dans le monde, deux personnes célèbrent leur
soixantième anniversaire : au total, environ 58 millions de
personnes atteignent cet âge chaque année[1]. Plus encore, au cours de
la dernière décennie, le nombre de personnes âgées de
60 ans ou plus dans le monde a augmenté de 178 millions, ce qui
représente environ 2,6 fois la population française
actuelle. En France, le nombre de personnes âgées de 60 ans ou
plus augmente considérablement depuis 2006 et cet accroissement va se
poursuivre encore quelques décennies. Les projections de l’INSEE
indiquent en effet qu’en 2070, la France comptera plus de 26 millions
de personnes âgées de 60 ans ou plus, soit une augmentation
d’environ 50 % par rapport au nombre de personnes
âgées vivant en France actuellement[2]. Le nombre de personnes
âgées de 60 ans et plus aura alors plus que triplé entre
1960 et 2070.
Comment les politiques publiques prennent-elles en compte ces profondes
modifications de la structure démographique ? Peut-on parler de
« crise » liée au vieillissement de la
population ?
I. Le vieillissement de la population : une modification des équilibres L’augmentation du nombre de personnes âgées qui a actuellement lieu est appelée « gérontocroissance ». Elle se manifeste en France par le fait qu’entre 1999 et 2014, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans a augmenté de 35,2 %. Plus encore, le nombre de personnes âgées de plus de 80 ans a quant à lui augmenté de 78,9 %[3]. fig.1 Évolution du nombre de personnes âgées de 60 ans ou plus et des personnes âgées de 75 ans ou plus en France de 1946 à 2018 Source : INSEE © Graphique de l’auteur En France, les plus de 60 ans représentaient 16,1 % de la population totale en 1946, 17 % en 1980 et ils en représentent désormais 25,9 %[4]. fig.2 Évolution de la proportion des personnes âgées de 60 ans ou plus et des personnes âgées de 75 ans ou plus dans la population totale en France de 1946 à 2018 Source : INSEE © Graphique de l’auteur C’est à cette évolution de la part des plus âgés que fait référence l’expression « vieillissement démographique », introduite par Alfred Sauvy dès 1928 et définie comme suit : « on dit qu’une population vieillit lorsque le rapport de son effectif âgé à son effectif total augmente à travers le temps, quelle que soit la frontière d’âge adoptée pour définir l’effectif âgé, pourvu que cette frontière soit suffisamment élevée, disons au moins égale à 50 ans. »[5]. 1) Le vieillissement démographique : crise ou défi ? En quoi est-ce que l’on peut parler de crise au sujet du vieillissement démographique ? Le vieillissement de la population est à l’origine d’une inversion progressive des équilibres des générations. En effet, comme le démontre le graphique ci-dessous, si la population des moins de 20 ans était plus importante que les 60 ans ou plus jusqu’en 2014, cette tendance est désormais inversée[6]. C’est cette inversion de l’équilibre entre les générations, dont les conséquences (sociales, économiques, sanitaires, etc.) peuvent nous permettre d’utiliser le terme de « crise », qui désigne une désorganisation et qui peut être à l’origine d’une crainte de l’avenir. fig.3 Évolution de la proportion des différents groupes d’âges dans la population totale en France de 1946 à 2018 Source : INSEE © Graphique de l’auteur Ces évolutions ont une influence directe sur le rapport de dépendance qui désigne, selon la définition de l’Institut National des Études Démographiques, le « rapport entre l’effectif de la population d’âges généralement inactifs (enfants et personnes âgées) et l’effectif de la population en âge de travailler »[7]. En 2017, ce rapport de dépendance s’élevait à 99 jeunes et personnes de 60 ans ou plus pour 100 personnes de 20 à 59 ans. 2) Éviter la crise : un défi pour les collectivités territoriales Quelles sont les conséquences du vieillissement de la population ? Deux grandes conceptions traversent le domaine de la gérontologie. Le premier, dit « réaliste », s’attache aux impacts négatifs du vieillissement. Le second, plutôt « positif », est quant à lui fondé sur des aspects de valorisation et s’attarde en particulier sur la ressource que constituent les personnes âgées[8]. Certains auteurs tels qu’Alfred Sauvy ont diffusé très tôt l’idée selon laquelle le vieillissement serait synonyme de déclin de la nation[9]. À ce sujet, on peut parler d’une « crise de l’avenir » au sens de Krzystof Pomian, c’est-à-dire que c’est la crainte de ce qui arrive qui a remplacé l’espoir d’un monde meilleur[10]. Pourtant, le vieillissement démographique est l’indicateur d’un succès : il résulte en partie de progrès médicaux et de l’amélioration des conditions de vie.Le vieillissement démographique et l’augmentation du rapport de dépendance ont des conséquences économiques et sociales. Parmi celles-ci, on entend souvent les questionnements largement médiatisés autour du financement des systèmes de retraite et de santé. Dans le domaine politique, cette transition démographique représente un enjeu électoral. En effet, non seulement les personnes âgées sont plus nombreuses, mais il s’agit en plus d’un public qui est inscrit sur les listes électorales et qui se rend aux urnes pour la grande majorité[11]. D’autres enjeux sociétaux touchant à la façon de vivre ensemble émergent aussi du fait du vieillissement de la population. Parmi ceux-ci, on peut relever les problématiques liées à l’isolement des plus âgés ou à la situation des aidants informels. Le vieillissement démographique a également des conséquences territoriales : le fait que le nombre et la part de personnes âgées augmentent a un impact sur la façon dont le territoire est vécu et utilisé. Ces éléments sont moins souvent traités par les médias mais ils émergent depuis plusieurs années dans les politiques publiques et rapports des grandes organisations internationales. Ces conséquences territoriales expliquent la nécessité de réinterroger les politiques publiques locales mises en œuvre, afin que celles-ci puissent prendre en compte les spécificités liées à l’avancée en âge. II. Villes Amies des Aînés : une solution pour sortir de la crise ? Dès 2006, l’OMS a conçu un protocole de recherche : le « Protocole de Vancouver ». Ce dernier, testé dans 33 villes issues de 22 pays du monde, avait pour objectif de déterminer, grâce à la consultation de personnes âgées, les facteurs principaux susceptibles de rendre l’environnement physique et social bienveillant à l’égard de tous les âges, et ce à travers l’examen de huit thématiques : espaces extérieurs et bâtiments ; transports ; logement ; participation sociale ; respect et inclusion sociale ; participation citoyenne et emploi ; communication et informations ; soutien communautaire et services de santé. Le Protocole de Vancouver propose de nombreuses précisions sur la marche à suivre pour l’organisation d’un audit urbain, y compris sur l’animation des ateliers et sur l’échantillonnage des groupes. Des « audits techniques » ont aussi été réalisés avec des professionnels et experts de la gérontologie. Grâce aux éléments recueillis dans le cadre de cette étude et afin de définir les caractéristiques d’une VADA, l’OMS a fait émerger un certain nombre de recommandations réunies dans des feuilles de route thématiques. Ce travail a abouti à la publication en 2007 d’un Guide mondial des villes et communautés amies des aînés, visant à permettre aux décideurs locaux de construire des environnements favorables aux aînés.1) Le Réseau Francophone des Villes Amies des Aînés Plus de dix ans après l’élaboration du Protocole de Vancouver, les « villes et communautés amies des aînés » (VADA) se sont multipliées à travers le monde, et sont aujourd’hui plusieurs centaines, réparties dans 36 pays. Face à ce développement significatif, une dizaine de réseaux nationaux ou internationaux, eux-mêmes affiliés au réseau mondial des villes et communautés amies des aînés de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), ont vu le jour. Ces derniers s’engagent d’une part à promouvoir le programme VADA et d’autre part à accompagner les territoires impliqués dans sa mise en œuvre. Le Réseau Francophone des Villes Amies des Aînés, créé en 2012, est la seule structure reconnue comme étant affiliée au réseau mondial par l’OMS pour la France. Après six années d’existence, cette association rassemble une centaine d’adhérents[12] engagés dans cette démarche d’amélioration de la bienveillance des villes à l’égard de tous les âges. Au-delà des grands fondements de la démarche VADA telle qu’elle a été initiée par l’OMS (notion de vieillissement actif, principe d’équité, démarche ascendante, mise en œuvre de différentes phases, travail autour des huit thématiques), le RFVAA a identifié et développé des axes forts visant à favoriser une meilleure adaptation de la société au vieillissement. Le premier pilier de la démarche VADA en France est la mise en œuvre d’une dynamique participative et partenariale dans le territoire. En effet, le programme VADA est fondé sur une dynamique ascendante visant à encourager la participation des habitants. La prise en compte de leur parole s’effectue à travers un travail en commun des élus, des professionnels et des habitants. Chacun de ces acteurs a une mission spécifique dans ce cadre, et l’absence de l’un d’eux signerait infailliblement l’échec de la démarche VADA initiée. La dynamique partenariale est fondamentale parce qu’elle garantit la transversalité du projet. Le programme VADA a pour but d’améliorer l’environnement social et bâti des habitants âgés, ce qui implique la conception d’un plan d’action porté par la collectivité et fondé sur les huit thèmes de la démarche. Si cette démarche partenariale doit être impulsée au sein même de la collectivité, elle doit l’être également avec les acteurs agissant sur le quotidien des habitants : associations, bailleurs sociaux, commerces, etc. Ainsi, la collectivité ne se positionne pas en tant que seul fournisseur de service public, mais bien en tant que « chef d’orchestre ». Le deuxième principe de la dynamique VADA en France concerne la nécessité de favoriser le sentiment d’appartenance des habitants à leur territoire, que l’on peut qualifier comme étant la dimension géographique de l’identité. Ainsi, l’enjeu est de permettre à tous les habitants, quel que soit leur âge, de se sentir intégré au territoire, d’avoir le sentiment que ce dernier répond à leurs besoins et à leurs spécificités et d’en être pleinement acteur. Le troisième aspect fondamental de la démarche VADA telle qu’elle est promue en France est la lutte contre l’âgisme. L’âgisme peut être défini comme un mécanisme de discrimination liée à l’âge qui suit le même processus que dans le cas du racisme ou du sexisme[13]. Il désigne ainsi toutes les différences de traitement liées à l’âge et se manifeste à la fois de façon directe (accès aux assurances et prêts bancaires, dans l’emploi, proposition de fixer un âge auquel le permis de conduire deviendrait caduque...) mais également de manière indirecte, par exemple lorsque la société exclut le public âgé du fait d’une inadaptation de certains services ou dispositifs. La démarche VADA est présentée comme une solution possible à la « crise » du vieillissement démographique d’un point de vue local. En effet, pour répondre à l’augmentation importante du nombre et de la part des personnes âgées dans le territoire, elle propose un cadre méthodologique fondé sur de nouveaux repères pour la mise en œuvre de politiques publiques locales plus adaptées. Prenons un exemple très concret de la façon dont le vieillissement démographique, en tant que crise, a modifié les équilibres dans l’usage du territoire. Depuis plusieurs décennies, les collectivités territoriales ont fait le choix de créer des dispositifs de transport à la demande. En zone urbaine, l’objectif était de permettre aux populations qui n’étaient pas en capacité d’utiliser les transports en commun de disposer d’une autre solution de mobilité. De plus en plus souvent, les professionnels chargés de la gestion de ces dispositifs ont observé des demandes de personnes âgées. Celles-ci n’entraient pas toujours dans les critères permettant l’accès au transport à la demande. Nombre de collectivités ont fait le choix d’ajouter un critère d’âge pour leur permettre d’en bénéficier. Pour autant, le nombre grandissant de personnes âgées interroge la viabilité de tels dispositifs. En effet, s’ils ne devaient concerner qu’une marge de la population au moment de leur création, les repères ont été modifiés du fait de l’évolution démographique et ils concernent aujourd’hui une part croissante de la population. L’existence de tels dispositifs interroge donc aujourd’hui à la fois au sujet du coût qu’ils représentent pour la collectivité mais également quant à la forme d’exclusion qu’ils génèrent en laissant entendre à ceux qui ne sont pas en mesure d’utiliser les dispositifs classiques qu’ils seraient « anormaux ». 2) Construire une politique publique intégrée : un changement de repères Notre travail de recherche vise à comprendre la façon dont les collectivités territoriales françaises ont mis en œuvre la démarche VADA dans leur territoire afin de déterminer les leviers de réussite et les principaux obstacles rencontrés. Ainsi, nous devrons être en mesure de proposer des ajustements quant à l’accompagnement des collectivités et aux outils méthodologiques qui leur sont proposés, voire de réajuster des aspects de la démarche pour s’assurer qu’elle soit effectivement une solution pour sortir de la crise créée par le vieillissement démographique. Pour y parvenir, nous avons constitué un corpus de treize communes françaises. Neuf d’entre elles se sont portées volontaires pour participer à ce travail de recherche et nous avons sollicité les quatre autres afin que la composition du corpus reflète celle du RFVAA. La démarche VADA a été initiée par l’OMS dans l’objectif de pouvoir être mise en œuvre dans tout type de territoire. Aujourd’hui, en France, des collectivités de toutes tailles sont engagées dans la démarche et dans le RFVAA[14]. Il était donc important de veiller à ce que le corpus retenu comprenne des villes de toutes tailles[15]. Avec cette diversité, il devient possible d’observer l’impact du nombre d’habitants sur la mise en œuvre d’une démarche VADA : le nombre d’habitants dans la collectivité a-t-il un effet sur la démarche entreprise ? Existe-t-il des tailles de villes qui faciliteraient ou compliqueraient la mise en œuvre de la démarche ? En quoi est-ce que des villes qui regrouperaient un nombre d’habitants similaire auraient-elles une démarche comparable ? D’autre part, les VADA françaises étant disséminées sur l’ensemble du territoire et notre travail de recherche s’inscrivant à l’échelle nationale, il était important de veiller à l’équilibre géographique des villes retenues pour participer à la recherche. Le RFVAA étant un organisme non partisan, il était aussi nécessaire de garantir un équilibre concernant l’orientation politique des collectivités choisies, d’autant que notre recherche ne porte en aucun cas sur la mise en œuvre de la démarche en fonction de l’orientation politique des décideurs. Enfin, afin de candidater pour participer à cette étude, les collectivités étaient tenues d’avoir d’ores et déjà adopté un plan d’action. Cela excluait de fait les derniers arrivants qui n’en étaient alors qu’au stade de l’élaboration du portrait du territoire ou de l’audit urbain. Néanmoins, nous tenions à garder une veille particulière quant à la date d’adhésion au RFVAA des collectivités participant afin de ne pas retenir uniquement les collectivités qui sont entrées les premières dans la démarche VADA (en 2012) et qui sont pour la plupart très engagées dans l’association. Nous ne souhaitions pas non plus que seules des villes arrivées plus tardivement au sein de l’association et donc ayant bénéficié dès le début d’un soutien, d’un accompagnement et d’outils de la part du RFVAA aient la possibilité de participer à ce travail de recherche. C’est donc pour tenter de garantir une certaine diversité autant qu’une certaine forme d’équilibre dans le corpus que nous avons pris en compte la date d’engagement des collectivités dans la démarche VADA. Les villes qui ont été retenues pour participer à ce travail de recherche sont donc Angers, Bordeaux, Bourg-de-Péage, Dijon, Essey-les-Nancy, Laval, Le Havre, Limonest, Lons-le-Saunier, Meaulne, Metz, Rennes et Schoelcher. À chacune des villes retenues pour participer au travail de recherche, il a été demandé d’organiser dans leurs locaux une journée d’entretiens nous permettant de rencontrer au minimum : l’élu référent VADA ; le professionnel référent VADA ; un habitant impliqué dans la démarche VADA locale. Les communes avaient également la possibilité, si elles y trouvaient un intérêt, d’organiser des entretiens avec des élus ou professionnels issus de délégations diverses, et également impliqués dans la mise en dynamique locale. En complément, il leur a été demandé de nous transmettre les éléments de travail réalisés par leur commune depuis leur entrée dans la démarche (diagnostic, compte-rendu de réunion, audit urbain, plan d’action, supports de communication, etc.). Le fait de réaliser ce travail de recherche en contrat CIFRE, au sein du RFVAA, était un gage de légitimité favorisant la candidature des communes, notre accueil sur place et l’envoi d’un certain nombre de documents internes. Il s’agit là d’un point fondamental expliquant la facilité d’accès au terrain, à la fois du fait de la connaissance de l’association mais également de la relation de confiance établie avec les élus et professionnels dans le cadre de notre activité de chargée de développement. Dans le cadre de cette recherche, nous avons choisi d’utiliser l’entretien semi-directif afin de révéler la logique de l’action politique menée et son principe de fonctionnement. Dans un contexte de neutralité bienveillante, il a été proposé aux personnes rencontrées d’aborder d’une part leurs représentations du vieillissement (les conceptions, les raisonnements et la logique subjective) et d’autre part leurs pratiques (expertise d’usage, vécu). Ces entretiens semi-directifs ont été menés à l’aide d’une grille d’entretien similaire pour tous les publics rencontrés, et dans chacune des villes. En effet, considérant que chacune des personnes rencontrées était un acteur de la mise en œuvre de la dynamique locale, il nous a paru pertinent d’aborder ces mêmes sujets avec chacune d’elles, entre autres de manière à confronter leurs points de vue. La grille d’entretien utilisée a été élaborée autour de quatre axes principaux : la démarche VADA ; la consultation des habitants ; la transversalité de la dynamique ; les représentations sociales associées au vieillissement. Malgré l’utilisation d’une même grille d’entretien avec tous les publics, nous avions des attentes particulières quant à chacun d’eux dans le cadre de ces rencontres. Tout d’abord, la rencontre des porteurs élus et professionnels devait nous permettre d’obtenir l’historique et la description de la démarche VADA initiée dans le territoire. Ce récit devait également être l’opportunité pour eux d’évoquer leur compréhension de la démarche et de ses enjeux principaux, leur vision de la participation et de la transversalité ainsi que leurs représentations liées au vieillissement. La rencontre d’élus et de professionnels issus d’autres délégations devait, quant à elle, permettre de mieux saisir la dynamique transversale initiée dans le territoire et l’implication des autres services dans la dynamique. Enfin, nous avons choisi de rencontrer des habitants en tant qu’acteurs à part entière de la démarche locale, et participant à la co-construction d’un territoire adapté au vieillissement et donc aux politiques publiques mises en œuvre, comme le promeut l’OMS via la démarche VADA. Une fois sur le terrain, en fonction des publics rencontrés, certaines thématiques se sont avérées plus ou moins faciles à aborder. C’est ainsi que le thème de la consultation des habitants a été moins présent dans le discours des élus et professionnels non référents VADA. Dans le discours des habitants, c’est la démarche VADA qui a été plus difficile à aborder en profondeur, ce qui révèle déjà quelque chose en soi dans la façon dont ceux-ci ont été impliqués. Les 70 entretiens menés et les documents de travail transmis par les collectivités sont actuellement en cours d’analyse. Ils doivent nous permettre de comprendre la politique publique menée par la commune avant son entrée dans la démarche, puis les évolutions de celle-ci suite à la mise en œuvre du programme. L’objectif est, de cette manière, de déterminer les leviers qui favorisent l’acquisition de nouveaux repères dans les collectivités, leur permettant de mieux répondre, à travers les politiques publiques locales, à ce changement démographique. Par exemple, on a pu observer à travers le discours des élus et professionnels, la difficulté à initier un tel changement lorsque c’est le CCAS de la Ville qui pilote la démarche. En effet, dans ce cas, la politique publique menée continue le plus souvent à être fondée sur un axe médico-social – qui est historiquement assez naturel en France – mais permet difficilement – hors exceptions – de mener une politique publique intégrée et inclusive. Le CCAS est avant tout chargé de mettre en œuvre une politique d’assistance à un public en situation de vulnérabilité. Ceci a tendance à brouiller le message de VADA et à confondre le public qui devrait en être destinataire – les personnes âgées de la commune – avec uniquement le public des retraités en situation de vulnérabilité. Cela attise donc la vision misérabiliste d’une démarche VADA qui devrait plutôt être une démarche inclusive visant à répondre aux spécificités – et pas simplement aux vulnérabilités – de l’ensemble des habitants, quel que soit leur âge. « Et en plus avec [...] moi je pense qu’on a un handicap – mais bon, ça c’est mon point de vue qui plombe le truc – , c’est que c’est porté par le CCAS. Et le fait que ce soit porté par le CCAS fait que : CCAS c’est là-bas, c’est les pauvres et voilà, ça concerne moins le reste de la Ville. Et plus j’y pense [...] pourtant on a beau essayé de dire que le CCAS n’est qu’un outil au service d’une politique, comme la politique de la Ville n’est qu’un moyen de financer une politique globale, ça reste quand même un peu compliqué. Plus compliqué »[16]. Autre exemple, on observe que peu d’élus, quel que soit leur âge, se sentent appartenir à la catégorie des « retraités et personnes âgés ». « D’autant plus que c’est vrai que dans l’esprit de chacun, c’est plutôt quelque chose qu’on rejette, qu’on repousse et il n’y a pas d’appréhension préalable qui [...] parce qu’effectivement c’est qu’une fatalité que chacun essaye de repousser le plus loin possible. »[17] Souvent, il s’agit là d’un réel point de blocage pour la mise en œuvre d’une politique publique d’adaptation de la société au vieillissement. La raison est double : d’une part, inquiets de ce phénomène, un certain nombre de ces élus s’en cachent et ne souhaitent pas s’en préoccuper outre mesure, laissant ainsi le plus souvent le CCAS « gérer le problème » ; d’autre part, cette question du vieillissement est souvent directement – voire exclusivement –, dans leurs représentations, liée à celle de la perte d’autonomie – ce qui explique d’ailleurs la difficulté à se reconnaître comme appartenant au groupe – et implique donc la mise à l’écart de toute une part de la population âgée – celle qui est autonome mais qui a des particularités – dans la mise en œuvre de la politique publique. Cette non-reconnaissance de sa propre situation représente donc une difficulté dans la mise en œuvre de la démarche VADA, d’autant plus lorsqu’elle touche un élu référent VADA ou le Maire de la commune, qui va piloter sa mise en œuvre.Au contraire, on observe dans le discours d’autres élus rencontrés cette reconnaissance de l’appartenance au groupe des « retraités et personnes âgées ». Celle-ci, couplée à une vision positive du vieillissement, contribue à une dédramatisation du sujet et illustre une meilleure connaissance de l’hétérogénéité des aînés. Elle est un début à la non-stigmatisation du public âgé et une base fondamentale pour la lutte contre l’âgisme. Conclusion Le vieillissement démographique apparaît en tant que crise dans le sens où il relève d’un moment de rupture, d’une période grave[18]. Il modifie les équilibres et nécessite de trouver de nouveaux repères et modes d’action dans différents domaines, et pour ce qui nous intéresse dans les politiques publiques locales. L’arrivée en proportion et nombre croissants de personnes âgées dans la société interroge la façon dont sont construits les territoires, le « vivre ensemble » entre générations et l’inclusion de ce public dans les dispositifs classiques. La démarche Villes Amies des Aînés, créée par l’Organisation mondiale de la santé, propose une méthodologie visant à modifier les repères dans la mise en œuvre de politiques publiques, et donc à éviter cette crise. Notre travail de recherche a pour objectif d’analyser la façon dont les villes engagées dans cette démarche l’ont mise en œuvre dans leur territoire et les évolutions qu’elle leur a permis de réaliser pour mener une politique intégrée d’adaptation de la société au vieillissement. Si l’ensemble de nos résultats de recherche ne peuvent être présentés ici, nous avons souhaité montrer à travers deux exemples la façon dont la mise en œuvre de ce programme permet d’interroger les pratiques et d’adopter un nouveau point de vue pour répondre au défi de l’avancée en âge.
Angélique Giacomini (Philipona), |
Centre Georges Chevrier, UMR 7366 uBFC/CNRS (Sous la direction de Maryse Gaimard et Matthieu Gateau) |
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[1]
Fonds des Nations Unies pour la population et HelpAge
International, « Vieillir au vingt-et-unième
siècle : Une victoire et un défi -
Résumé », 2012.
[2]
INSEE, 2018.
[3]
Mickaël Blanchet, Atlas des seniors et du grand âge en France, Rennes, Presses de
l’EHESP, 2017.
[4]
INSEE, 2018.
[5]
Gérard Calot et Jean-Paul Sardon, « La mesure du
vieillissement démographique », Espace, populations, sociétés, 2000, 18, 3,
p. 475-481, voir p. 475.
[6]
INSEE, 2018.
[8]
Serge Clément et Monique Membrado,
« Expériences du vieillir :
généalogie de la notion de déprise », dans Sylvie Carbonnelle [dir.],
Penser les vieillesses : regards sociologiques et
anthropologiques sur l’avancée en âge, Paris, S. Arslan, 2010, p. 109-128.
[9]
Serge Guérin, La société des seniors, Paris,
France, éd. Michalon, 2009.
[10]
Eric Deschavanne et Pierre-Henri Tavoillot, « Le
développement durable de la personne », collection
Notes du Conseil d’analyse de la société, novembre
2006.
[11]
Vincent Drouin, « La force électorale des
retraités : l’exemple français », Cahiers de la Fédération
internationale des associations de personnes âgées,
FIAPA, 2002, p. 50-60.
[12]
Le nombre de 111 adhérents correspond au nombre de membres du
RFVAA en mars 2018.
[13]
Richard Vercauteren,
Dictionnaire de la gérontologie sociale : vieillissement et
vieillesse, Toulouse, France, Erès, 2010.
[14]
Au 13/03/2018, la plus petite commune adhérente au RFVAA est
Meaulne (790 habitants) et la plus grande est Paris (2 220 445
habitants). La plus grande collectivité est le
Département d’Ille-et-Vilaine avec 1 032 240
habitants répartis sur 345 communes.
[15]
C’est le seuil de 2 000 habitants qui définit une ville,
en deçà, on parle de village (Mainet, 2008). Les petites
villes regroupent quant à elles entre 2 000 et 9 999 habitants
(OCDE, 2001) suivies des villes de taille moyenne
(Fédération des Villes Moyennes, 2013) qui regroupent
entre 10 000 et 99 999 habitants, des grandes villes qui regroupent
entre 100 000 et 199 999 habitants (Maresca, 1998) puis des
très grandes villes de 200 000 habitants et plus (Maresca,
1998).
[16]
Extrait d’un entretien avec un élu référent VADA dont nous préserverons ici l’anonymat.
[17]
Extrait d’un entretien avec un élu référent
VADA dont nous préserverons ici l’anonymat.
[18]
Natacha Ordioni, « Le concept de crise : un
paradigme explicatif obsolète ? Une approche
sexospécifique », Mondes en développement, 2011/2, n° 154,
p. 137-150.
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Pour citer cet article : Angélique Giacomini (Philipona), « Le vieillissement de la population : crise ou défi ? », Revue TRANSVERSALES du Centre Georges Chevrier - 14 - mis en ligne le 11 janvier 2019, disponible sur : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/prodscientifique/Transversales.html. Auteur : Angélique Giacomini (Philipona) Droits : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Transversales/menus/credits_contacts.html ISSN : 2273-1806 |