Le rôle des festivals de musiques actuelles dans le dynamisme de la scène pop nantaise

 

Introduction

Les récents travaux réalisés sur la notion de clusters créatifs comme éléments prégnant d’une évolution de l’activité économique et de l’image culturelle d’une ville [par exemple Andres & Ambrosino 2008, Sagot-Duvauroux 2010, Santagata 2008] nous permettent d’appréhender l’importance de pratiques événementielles festivalières dans cette dynamique de développement de proximité. Ils agissent en effet bien souvent comme des catalyseurs dans les processus de reconnaissance et de valorisation des territoires par la culture.

A Nantes, comme dans d’autres villes occidentales, les années 1990 furent celles d’un foisonnement éphémère et spontané d’initiatives underground et associatives qui s’appuyaient sur de nombreuses friches industrielles (au cœur d’anciens quartiers ouvriers). Ceci, alors que la politique publique locale était simultanément à l’origine de manifestations artistiques à temporalité annuelle et revoyait sa conception d’équipements à vocation culturelle. Dans l’ancienne Cité des ducs de Bretagne, ces quartiers étaient situés sur l’Ile de Nantes (Olivettes, chantiers navals, Gare Sud). En parallèle, les politiques publiques locales s’appuyaient sur la démarche du CRDC, une association missionnée, qui allait d’abord développer annuellement dans les années 1990 deux festivals pluridisciplinaires (les Allumés, puis Fin de Siècle), avant de porter le projet de Scène Nationale « le Lieu Unique », situé dans une friche industrielle (l’ancienne Usine Lu sur l’Ile de Nantes) et enfin mettre en place la biennale d’art contemporain « Estuaire », à l’extrémité de l’Ile – en place des anciens chantiers navals – où est aujourd’hui construit le « quartier de la création ».

Dans la notion de « régénération urbaine » associée au cluster culturel, mais aussi avec le concept discuté de « ville gagnante » [Richard Florida, 2002], est développée l’idée d’un double processus, à la fois endogène et exogène. Le premier est lié à la densité des relations interpersonnelles, à la construction d’une « épaisseur culturelle » via des communautés d’acteurs impliquées sur le terrain. Le processus exogène renvoie, quant à lui, à l’image colportée par la multiplicité des initiatives et des événements, en particulier par les médias nationaux et étrangers qui permettent à la fois la construction d’une reconnaissance et d’une image de marque.

Dans les recherches en sciences sociales qui cherchent à analyser les phénomènes de collaboration sur un territoire et d’espaces vécus en musique, on parle plutôt de « scène » (Straw, 1991). La notion de scène permet notamment de qualifier la couleur musicale d’une ville, telle qu’elle est reçue et telle qu’on se la représente ailleurs. A côté de la « scène vécue » au niveau local, il existe ainsi une « scène perçue » [Guibert, 2007 ; 2011] qui est fréquemment utilisée d’un point de vue historique afin d’expliquer non pas l’ancienneté, mais la provenance des genres musicaux, comment ils circulent et se transforment.

S’intéressant à la ville de Nantes, cet article montrera ainsi comment, à partir des années 1990, l’image de Nantes a changé musicalement. Associée dans les années 1980 à un désert musical rock, elle deviendra une capitale des musiques actuelles, son identité étant associée à celle d’une indie pop à la française.

On montrera le rôle spécifique qu’ont joué les festivals dans la construction de cette « scène perçue » durant deux périodes. Le début des années 1990 avec la naissance de la scène locale (alors qu’était mis en place le festival « Les Allumées »). Puis la seconde partie de la première décennie du nouveau siècle, où s’affirme une nouvelle scène pop nantaise. On montrera ici à travers l’exemple de quatre festivals (Soy, Scopitone, Nantes au Zenith, Culture Bars-Bars) comment la scène locale peut s’appuyer sur des événements aussi hétérogènes que complémentaires. On constatera alors que deux mouvements partiellement contradictoires sont nécessaires pour que les festivals nourrissent une scène. Un mouvement descendant mettant en œuvre un cadrage et une direction donnés par les politiques publiques, mais aussi une effervescence non contrôlée permettant la régénérescence des projets artistiques émergents.

 

Qu’est ce qu’une scène ?

Longtemps étudiée pour elle-même, pour son contenu, ou bien en fonction des caractéristiques sociales de ses compositeurs ou de son public, la musique avait peu donné, en France, à voir ses caractéristiques territoriales contrairement aux Etats-Unis ou à la Grande-Bretagne qui associent depuis longtemps aires géographiques et genres musicaux [cf Bennett & Peterson, 2004)]. L’intérêt de l’approche par la scène est qu’elle permet de mettre en avant la manière dont apparaissent, circulent ou se transforment les courants musicaux en liaison avec leur ancrage territorial.

Une scène musicale n’est pas le reflet de la diversité ni même obligatoirement de l’intensité de la musique produite dans une ville. Un espace territorial génère un foisonnement d’initiatives et de couleurs musicales diverses – à Nantes comme ailleurs – mais une scène se focalise en général sur un style qui agit comme un catalyseur. Il devient la marque d’une ville, sa figure de proue et, pour qu’elle devienne une référence, il faut qu’une scène développe un genre musical spécifique. Ainsi, le paradoxe d’une scène, c’est qu’elle existe à partir du moment où elle est reconnue à l’extérieur (au niveau régional, national ou même international). D’abord révélée par un artiste ou un groupe leader, elle devient pérenne si elle est relayée par d’autres artistes de la ville. Pour qu’elle ne se réduise pas à un feu de paille, il faut in fine que ses réseaux internes soient solides. Outre la diaspora d’artistes cooptés par les industries culturelles en vue d’une carrière nationale ou internationale, cela nécessite localement un effectif de musiciens et d’infrastructures denses ainsi que des collaborations multiples : un « effet réseau » [Suire, 2006]. Si elle devient particulièrement dynamique une scène portée par une esthétique peut, à terme, générer la révélation d’autres genres musicaux sur le même territoire ou élargir la scène en termes d’esthétiques couvertes. Un cercle vertueux peut être en quelque sorte être déclenché.

 

Nantes et le début des années 1990

Depuis la fin des années 1990, Nantes est reconnue comme une ville de référence en termes de musiques actuelles à travers plusieurs scènes. On peut le voir dans le fait que la ville est souvent citée dans les chroniques de disque des artistes nantais par exemple [Guibert, 2009]. Cela est d’autant plus remarquable que la situation était inverse au début des années 1980, où la Cité des Ducs de Bretagne était qualifiée de « belle endormie » en termes économique, mais aussi culturel et artistique[1].

C’est d’abord dans les manifestations publiques et les événements pluridisciplinaires organisés par le CRDC (Centre de recherche pour le développement culturel), dirigé par Jean Blaise, que les Nantais vivent le changement en matière culturelle à compter de 1989, où arrive une nouvelle équipe à la suite de l’alternance politique. Un récit souvent raconté, celui du Festival les Allumées qui, chaque année pendant cinq ans, à partir d’un prétexte, celui de l’accueil des artistes d’une ville étrangère dans les interstices de la ville de Nantes, dans des lieux les plus improbables, crée une effervescence. On assiste à des spectacles dans les friches industrielles du quartier des Olivettes ou de la Fabrique à Glace de l’Ile de Nantes, jusqu’aux espaces les plus institutionnels, du Château aux musées, ou les plus inédits, du dernier étage de la Tour de Bretagne jusqu’aux chambres de l’imposant hôtel La Pérouse. La montée progressive d’un festival off est par elle-même un paramètre qui souligne la naissance d’un biotope culturel.

A cette ambiance nouvelle, portée par des projets ambitieux et pluridisciplinaires, il faut ajouter une programmation de musiques amplifiées, développée par le CRDC via Éric Boistard qui deviendra ensuite, à compter de 1994, directeur de l’Olympic (nouvelle scène de musiques actuelles).

Les associations indépendantes accompagneront ce nouvel essor, qu’il s’agisse de Ouf, de Stone Age (à l’origine de deux festivals à l’Escall) ou encore de Pyromane, une association très présente dans la première partie des années 1990 à Nantes, mais aussi à Saffré (près de Nantes) où elle organise le festival « Le Champ du rock ». Jean-Michel Dupas, son programmateur, rejoindra d’ailleurs l’équipe de l’Olympic, à compter de 1995. A côté de l’activité de diffusion, la ville soutient une politique d’accompagnement des pratiques par l’intermédiaire de l’association Trempolino (répétition, accompagnement, centre info rock). Au début des années 1990, Trempolino édite également un journal d’information sur l’actualité musicale locale Trempolino magazine, dont le rédacteur en chef, Jean-Fabien Leclanche, effectue aussi des missions pour le CRDC.

 

La scène pop nantaise

La première scène qui émergera de Nantes, et permettra de placer la ville sur une carte des musiques actuelles, est sans nul doute la nébuleuse indie pop qui se cristallise en 1991. En moins d’un an, trois artistes seront mentionnés et critiqués simultanément dans une presse de référence au niveau culturel et musical (Libération, Télérama, Les Inrockuptibles) ainsi que la radio publique nationale France Inter. Il faut dire que l’esthétique indie pop, qu’on appelle aussi pop indépendante n’a pas à cette époque de réels modèles ou porte-parole chez les artistes français. Elle a été principalement médiatisée à partir de références anglo-saxonnes, par Les Inrockuptibles. Le premier album autoproduit de Dominique A. sera le premier relayé sur deux pages par un article d’Arnaud Viviant dans Libération avant que plusieurs de ses chansons ne soient diffusées régulièrement par France Inter, chez Bernard Lenoir, puis dans d’autres émissions. En 1991, des titres des Little Rabbits et de Katerine figureront au niveau national sur la compilation Contresens, sorte de manifeste pop défendu par Les Inrockuptibles, et seront également largement diffusés sur France Inter. Les trois artistes éditeront leurs premiers albums sur trois labels qui constitueront lors de cette période la référence en termes de rock indépendant[2]. Katerine chez le Rennais Rosebud, les Little Rabbits chez le Parisien Single KO et Dominique A. chez le Nantais Lithium, trois labels distribués nationalement par des structures professionnelles nationales.

Sans s’attarder outre mesure sur l’histoire de la scène pop nantaise, on peut souligner que dès leur émergence, ces artistes multipliaient déjà les connexions interpersonnelles, et avaient tissé d’importants réseaux. Ils enregistrèrent par exemple dans des studios communs (le garage hermétique à Vertou ou Arpèges aux Sorinières). Dès 1990, Dominique A. et Katerine avaient travaillé conjointement, élaborant même un projet commun, Les Lindas. Katerine et Fédérico, le chanteur des Little Rabbits, tous deux originaires du bocage vendéen avaient également enregistré ensemble. Des titres de ces divers projets, comme des compositions des trois groupes précités étaient parus sur des cassettes compilations éditées par le label Kathio, une structure associative montée à Nantes par Anne Moyon. Cette dernière réalisait par ailleurs des fanzines traitant de pop indépendante depuis quelques années (1986), et avait produit le premier 45 tours de Katerine sous la forme d’un flexi disc 17 cm Les leçons particulières en 1991. Elle avait pris modèle sur les initiatives Do It Yourself de Grande-Bretagne qui constituaient le ferment du mouvement indie pop et de la démarche des Inrockuptibles. Si les initiatives pionnières d’Anne Moyon seront par la suite oubliées (on la retiendra plutôt comme interprète de Katerine sur son deuxième album, l’Education Anglaise), elles feront école en France, notamment dans le cadre des scènes pop de Bordeaux, Rennes ou Strasbourg, où fanzines et micro-labels prendront modèle sur Kathio.

A Nantes, Laurent Allinger est inspiré par Kathio dès la fin des années 80. « Prescripteur de tendance » chez Fuzz disques mais aussi animateur au sein de plusieurs radios libres de l’agglomération dès le milieu des années 1980, il est DJ au sein de la boîte de nuit à tendance rock, Le Floride, où il diffuse de la pop anglaise. Il programme donc les Little Rabbits, à peine sortis de l’adolescence, dès 1989, avant de s’essayer au management du groupe. Il décide de créer un label associatif, Karen, qui sortira deux cassettes des Little Rabbits, avec pour projet la sortie d’un 45 tours.

En 1991, deux nouveaux disquaires indépendants, ayant des surfaces de vente importantes, ouvrent à Nantes, Madison et Tacoma. Le second propose même des show cases d’artistes et verra défiler de nombreux groupes nantais. La présence de plusieurs disquaires indépendants dans le centre-ville reste possible car ni la Fnac ni Virgin n’ont encore ouvert de magasins à Nantes ; la Fnac ne s’implantera qu’en 1996. Par ailleurs, dans les grandes surfaces de périphérie, le disque est alors peu valorisé. Laurent Allinger quitte bientôt Fuzz disques pour Tacoma où il côtoie notamment un autre vendeur, Vincent Chauvier. Celui-ci devient en 1991 représentant Ouest de la France pour le distributeur indépendant national Danceteria, et fonde dans la foulée un label discographique, Lithium. Début 1992, l’album La Fossette, de Dominique A., sera sa première référence nantaise du label, mais il sera notamment suivi des disques des Nantais Perio et de Françoiz Breut. Lithium aura un rôle symbolique pour le Nantes des années 1990 car il montrera que des labels indépendants peuvent rayonner à partir de cette ville. Mais si c’est un public pop qui plébiscite Lithium, son originalité, qui définira la singularité nantaise, viendra d’une alliance entre la pop anglaise et le rock post punk avec la chanson française. Un style original de chanson pop qui sera bientôt associé à la ville de Nantes par la presse spécialisée et généraliste. On parlera même d’« école nantaise » avec, outre Dominique A., des interprètes comme Katerine, M. de Foursaings, Françoiz Breut, Pierre Bondu (alias Elliot), Perio, Yann Savel ou Le Coq, aux parcours plus ou moins chaotiques. La plupart de ces artistes se croiseront au cours des années 1990, dans le cadre de nombreux concerts en commun, ou pour des collaborations diverses.

 

Le rôle historique du CRDC et du festival les Allumées

Ce microcosme se trouve à Nantes lors d’une période plutôt propice à l’effervescence créative. Au niveau national par exemple, Lithium (Dominique A.) et Rosebud (Katerine) bénéficient des subventions du plan label du ministère de la Culture en 1991 et 1992, qui leur permettent de financer les enregistrements de plusieurs artistes. Et dans un second temps, la distribution par des majors leur donne une force de communication indéniable dans le milieu indépendant.

A cela il faut ajouter des éléments spécifiquement nantais. On se rappelle qu’à l’aube des années 1990, le CRDC, encore sans lieu fixe, développe une action envers les musiques actuelles via la programmation d’Éric Boistard. Or ce dernier estime que les artistes locaux émergents pourraient être aidés à la tournée. Prenant l’exemple de Dominique A. qui vient d’être repéré par la presse nationale, il fait le constat que les tourneurs/producteurs de spectacles, concentrés à Paris, effectuent très peu de développement d’artistes. Il va donc militer pour l’aide au lancement d’artistes locaux. Il embauche, alors au CRDC, Charles Bensmaine, dont la tâche première est de monter une tournée pour Dominique A. Au moment où l’activité musique actuelle s’autonomisera du CRDC, Bensmaine emmènera avec lui l’activité de développement d’artistes, qu’il développera par l’intermédiaire d’une nouvelle entreprise. Il intégrera dans son catalogue la production des tournées de Dominique A., Katerine, Little Rabbits, Françoiz Breut ou Pierre Bondu (chez Olympic Tour puis Auguri).

Il est historiquement indéniable que l’aide au développement de tournées par une institution culturelle fonctionnant avec de l’argent public (le CRDC), cas singulier en France, a clairement profité à la nouvelle scène indépendante nantaise. A la rentrée 1995, Katerine et Dominique A. seront d’ailleurs les premiers artistes à effectuer une tournée nationale au sein du « réseau de club rock français », la Fédurok, nouvellement créé qui installe alors ses bureaux à Nantes… .

Au-delà de ces activités régulières de programmation et de développement, les festivals pluridisciplinaires portés par le CRDC donneront de Nantes une image cosmopolite et internationale. Les musiciens locaux en bénéfieront, en particulier les porteurs de la scène musicale nantaise.

Les Allumées de Nantes (1990-1995)

6 ans, 6 nuits, 6 villes: 666/999 (le chiffre de la Bête), c'est de 6 heures du soir et 6 heures du matin.. D'octobre 1990 à octobre 1995, ont lieu les Allumées de Nantes.
Du 15 au 20 octobre 1990, a lieu la première édition des Allumées Nantes-Barcelone qu'orchestrent le CRDC [Centre de recherche pour le développement culturel] et son directeur Jean Blaise.

Suivront les éditions en 1991, Saint-Pétersbourg, en 1992, Buenos-Aires, en 1993, Naples, en 1994, Le Caire et finalement, en 1995, La Havane qui n'a pas lieu..
Les Allumées, manifestation culturelle internationale rassemble des artistes de six grandes villes du monde, invités à se produire à Nantes, six années durant.
Les manifestations ont lieu durant six jours dans des lieux éclatés, hétéroclites (de l'Opéra à la friche industrielle) et parfois inconnus des Nantais eux-mêmes. » (www.nantes.fr/les-allumees).

Description : Image.

Au festival des Allumées, succédera le festival « Fin de Siècle » (à compter de 1997), jusqu’à l’installation du CRDC dans un lieu fixe « l’Usine Lu » en 2000.

Citons par exemple cet extrait du journal Le Monde, publié récemment à l’occasion de la réédition de la discographie de Dominique A.

« Un soir d'octobre 1993, le public du festival des Allumés de Nantes a vu débouler un drôle d'animal solitaire, policé, acide et romantique, armé d'un petit clavier Yamaha “que tout le monde prenait pour un Casio, je ne sais pas pourquoi", précise aujourd'hui l'intéressé. Consacré cette année-là à Naples, le festival, vitrine baroque de la création contemporaine, avait investi l'ancienne usine à chaussures des Olivettes[3]. Sous les poutrelles incertaines et face aux murs de parpaings nus, Dominique A offrit alors, d'une voix vibrante, droite, La Folie des hommes, et aussi Le Courage des oiseaux, chansons de pure philosophie de la séparation. » (Véronique Mortaigne, Le Monde, 9/1/12).

Dans un Nantes en pleine effervescence artistique, celui du début des années 90, la politique culturelle nantaise a favorisé la structuration et, in fine, la reconnaissance d’une scène musicale nantaise autour d’un genre musical spécifique. En tant qu’événement fédérateur, Les Allumées ont favorisé ce mouvement, notamment parce que les diverses éditions du festival ont su alterner la programmation des artistes internationaux invités avec celles des artistes locaux dans les lieux les plus divers, notamment les friches artistiques du quartier des Olivettes et de l’Ile de Nantes.

 

Au milieu des années 2000, une seconde génération pop, des festivals plus nombreux et plus spécialisés

Dans la seconde partie des années 1990, la scène indépendante nantaise, qui suit esthétiquement l’exemple des aînés évoqués, émerge ensuite au niveau local, sans pouvoir obtenir de relais d’infrastructures de développement au niveau national, ni de réels relais médiatiques… Si l’on adopte une logique esthétique, on doit constater que la scène indépendante nantaise d’origine, celle qui s’était développée autour du triptyque Dominique A., Katerine, Little Rabbits s’est assez largement déconnectée de son héritage nantais à partir du moment où elle a acquis une notoriété nationale, et où elle a travaillé avec des acteurs privés.

Il faudra en fait attendre le début du XXIe siècle pour que la scène indépendante nantaise trouve de nouveaux représentants qui obtiendront une stature nationale à la fin de cette première décennie. Cette reconnaissance viendra par le biais de l’émergence d’une poignée de labels indépendants, tels que Labo Lofi, autres directions In Music, Effervescence, Kithybong ou Futur. Effervescence, qui débute en 2002, sera le premier à adopter une démarche professionnelle, et à renouer avec un distributeur national. Par ailleurs, Julien, le fondateur d’Effervescence, est à l’origine de Murailles Média, une structure de tournée qui bénéficie en premier lieu aux artistes du label, et grâce à laquelle plusieurs accèderont dès le début des années 2000 à une notoriété leur permettant de devenir professionnels (Papier Tigre, My Name is Nobody, Patriotic Sunday…). Cette dynamique est suivie de celle de Kithybong, dont plusieurs références sont distribuées nationalement, alors que d’autres regroupent des projets en développement. Il est intéressant de noter que le label fut monté par Anthony Chaslerie et son frère Émeric. Or, si le second est musicien (Room 204), le premier est disquaire indépendant à Nantes depuis dix ans. Une démarche de disquaire-producteur, qui rejoint donc typiquement celle des scènes locales des années 1980 en France, ou celles des pays anglo-saxons depuis l’émergence du rock (Guibert, 2006). Kithybong éditera la version vinyle du second album de Mansfield Tya, un duo féminin qui, dès son premier album en 2004, a bénéficié d’une sortie nationale, d’une importante couverture médiatique (compilation et Festival CQFD des Inrockuptibles), et travaillé avec le tourneur Olympic Tour/Auguri. Les musiciennes ont réalisé une reprise de Dominique A., et une tournée avec ce dernier. Le dynamisme de la scène nantaise est également représenté aujourd’hui par le collectif Valerie (et le label Futur), qui propose plusieurs projets au son électro-pop influencé par les années 1980 (Minitel Rose, Anoraak, College), relayés par les médias nationaux de musique électronique (Tsugi, Trax) et plus largement par la presse culturelle (Les Inrockuptibles), la palme revenant au groupe Pony Pony Run Run, récompensé aux victoires de la musique comme révélation du public de l’année en 2010. On trouve des connexions entre cette scène et les précédentes, notamment parce que Quentin Gauvin de Minitel Rose est l’ancien salarié de Muraille Medias.

 

Festivals Nantes au Zénith, Soy et Scopitone

Alors que ces réseaux musicaux portés par la nouvelle génération se renforcent localement, l’offre festivalière nantaise se densifie avec l’entrée dans le nouveau siècle. En tant qu’équipement culturel fédérateur, l’Olympic, qui déménagera en septembre 2011 dans le quartier de la création sur l’Ile de Nantes, propose plusieurs événements hors les murs. Il en ira ainsi du festival Scopitone (musique et arts numérique), ainsi que de Nantes au Zénith. D’autres festivals proviendront d’associations locales comme Soy, festival de rock indépendant. Ces événements, joueront, pour des raisons différentes, un rôle dans la reconnaissance nationale et internationale de la scène locale.

Nantes au Zenith[4]

Si un Zénith ouvre en périphérie nantaise en décembre 2006 pour proposer à la population les stars des variétés, pourquoi ne pas l’utiliser, une fois par an, pour montrer le dynamisme de la scène nantaise ? C’est la problématique posée par l’équipe qui gère la salle de concert l’Olympic, ouverte à l’année, mais d’une capacité restreinte de 800 places. Grâce à la visibilité du Zénith, et aux publics nombreux et hétérogènes qui fréquentent cet événement d’un soir par an, les artistes nantais peuvent se faire connaître et reconnaître. Par ailleurs, un concert proposant plusieurs plateaux, par genre musical, permet de créer ou de resserrer des liens au sein de chaque genre, et entre les genres.

Là où des genres musicaux se côtoyaient sans se croiser, Nantes au Zénith permet donc d’établir des ponts : au total, c’est plus de 100 musiciens issus d’une trentaine de groupes qui se produisent sur le même scène lors d’une nuit, chaque année. Des bretonnants de Tri Yann au rock alternatif paillard de Elmer Food Beat de la fin des années 1980 ; de la scène chanson, autour du chapiteau de Madame Suzie (réseau de Jeanne Cherhal) à la récente percée hip hop opérée par le groupe Hocus-Pocus et le collectif C2C (DJs plusieurs fois champions du Monde DMC par équipe), l’événement permet de souligner le foisonnement des initiatives – artistes émergents et têtes d’affiche, tous locaux – en tentant de trouver une cohérence globale à la scène nantaise.

Or le retour de la scène indie pop nantaise trouve sa concrétisation lors de ce festival par le contact qu’établiront les anciens et les modernes lors des répétitions préparatoires au second festival Nantes au Zénith, fin 2007. Pour représenter « la famille pop » en effet, les French Cowboy (ex Little Rabbits) invitaient Dominique A., mais se produisaient aussi avec deux groupes de la nouvelle génération, Papier Tigre (Effervescence) et Belone Quartet (Kythibong). La scène en sortait renforcée, des collaborations allaient voir le jour (notamment le déplacement à Tucson dans l’Arizona d’un collectif alliant ancienne et nouvelle vague pop) grâce à la confrontation des générations. Elles furent réitérées l’année suivante lorsque Pony Pony Run Run se produisit en compagnie de Minitel Rose et du collectif Valerie.

Nantes au Zénith (2006-2009)

Nantes au Zenith se déroule en début d’année dans un lieu par définition fermé (le Zenith). Il attire 8000 spectateurs. Il est organisé comme un événement hors les murs par l’association Songo (qui gère la scène de musiques actuelles l’Olympic). C’est ce festival qui a inauguré le Zénith de Nantes en décembre 2006. Là où dans la plupart des villes, les acteurs locaux s’étaient fédérés en opposition aux salles gigantesques comme le Zénith (dédié aux producteurs privés pour la programmation d’artistes de « variété rock » selon une appellation utilisée par Daniel Colling, son directeur), les acteurs nantais décidaient d’utiliser le lieu pour mettre en avant la scène de proximité. C’est par la multiplication des groupes programmés (chaque année, autour d’une centaine de musiciens issus d’une trentaine de projets artistiques originaires de Nantes) que le festival permit dès la première année de faire salle comble.

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« La famille pop, c'est pas la plus carrée mais c'est chemise à carreaux.. Des petits, des grands ou le carreau bûcheron…, ils en ont tous. La guest-star de la soirée, Dominique A itou, qui nous fait le plaisir d'un Courage des oiseaux, accompagné de ses hôtes et potes de French Cowboy (ex Little Rabbits). Suivra un ultime collégial et génial « Teenage kick » des Undertones avec Papier Tigre et Belone quartet  (Ouest France, 27 janv. 2008, à la suite du second festival Nantes au Zénith) .

Le Festival Soy. Ciblé sur les musiques indépendantes, Soy a vu le jour au moment où la seconde génération pop se structurait. Nombre des membres de l’équipe bénévole de ce festival, construit par la débrouille et porté par l’association Yamoy, sont d’ailleurs des musiciens et/ou membres d’associations impliquées dans la pop ou le rock indépendant. On y trouve des proches d’Effervescence ou de Kithybong par exemple. Les affiches sont conçues par des artistes locaux, qui produisent aussi les pochettes de disques des groupes locaux. En quatre jours, Le festival interstitiel accueille un nombre restreint de spectateurs dans de nombreux lieux. Il mêle des références de la scène locale, et des groupes et musiciens cultes internationaux (par exemple en 2011, Bonny Prince Billy et Silver Apples).

Festival Soy (2003-2011)

Porté par l’association Yamoy. Neuf éditions depuis 2003. Programmation dans de nombreux lieux de l’agglomération nantaise. Café concert le VIOLON DINGUE – Bar le BPM – Discothèque rock le FLORIDE - MUSEE DES BEAUX ARTS – club de jazz le PANNONICA – Friche ATELIERS DE BITCHE - CHATEAU DES DUCS DE BRETAGNE – Bar l’HURLUBERLU - Scène Nationale le LIEU UNIQUE - MUSÉUM D'HISTOIRE NATURELLE. Le festival est très reconnu par les médias spécialisés, des Inrockuptibles à la revue pop modere Magic.

Description : http://3.bp.blogspot.com/_3z6YrqrXtjk/TRsQC-2k_bI/AAAAAAAACW8/axwpLfAA41c/s1600/SOY4-festival-2006.jpg

Description : http://3.bp.blogspot.com/_3z6YrqrXtjk/TRsQAFDFlAI/AAAAAAAACW4/9pw-L9ldLGk/s320/SOY3-festival-2005.jpg

Sur la dynamique de la scène locale, Soy est stratégique, car il renforce les réseaux locaux et donne à la scène indépendante nantaise un « capital symbolique » au sein des réseaux internationaux qui militent pour cette musique.

Scopitone.

Il s’agit d’un festival « musique et art numérique » porté par l’association Songo (qui gère la scène de musiques actuelles nantaise l’Olympic). Le festival est important pour la renommée de Nantes comme ville culturelle, mais il ne sert pas directement à la scène indie locale. D’une certaine manière, on pourrait l’opposer au festival Nantes au Zénith du point de vue de l’origine des groupes (international vs local), ainsi que de l’origine du public (généraliste vs spécialisé dans les nouveaux courants et les outils numériques).

Cependant, par sa programmation de découvertes et d’artistes ciblés, notamment dans les musiques électroniques et le rock indépendant, mais aussi par sa programmation qui se développe dans les lieux les plus divers, et notamment sur l’Ile de Nantes, dans le quartier de la création, Scopitone joue un rôle complémentaire de Soy.

Scopitone (2001-2011)

Comme Nantes au Zénith, Scopitone « musique et arts numériques » est porté par l’association Songo qui gère la salle de concert « scène de musique actuelle » l’Olympic. Comme Soy, Scopitone se déroule dans plusieurs lieux de la ville et à lieu en automne. Pourtant, les lieux plus légitimes dans lesquels se déroule le festival montrent que le budget et les moyens dédiés à Scopitone sont sans commune mesure avec ceux de Soy. Lieux du festival : friche numérique, friche électro, cinéma Katorza, scène de musiques actuelles l’Olympic, Château des ducs de Bretagne, piscine de la Durantière, Théâtre Universitaire, Pôle Etudiant, Blockaus DY 10, Cinématographe, Ecole d’Architecture.

 

Le festival Culture Bars-Bars. Symptôme d’un retour nécessaire d’initiatives en marge des stratégies politiques territoriales ?

L’augmentation de la population de Nantes atteste de son attractivité nouvelle depuis les années 1990. Elle est en effet la commune de plus de 100 000 habitants dont les effectifs ont le plus crû entre les deux derniers recensements exhaustifs de la population. Ces mouvements objectifs sont relayés par les témoignages et les jugements qui disent Nantes agréable. Nantes a su, notamment par les actions du premier mandat socialiste (1989-1995), construire une attractivité fondée sur la qualité de la vie urbaine, dont les propositions culturelles. Elle a su donner une image positive d’elle-même vers l’extérieur, celle d’une ville en mouvement.

Un point crucial pour comprendre la difficulté des enjeux dans lesquels Nantes se trouve vis-à-vis des musiques actuelles aujourd’hui est celui de la nuit (Beauparlant et al., 2006). De nombreux auteurs ont noté à cet effet que le haut volume sonore non désiré (« le bruit ») avait tendance à être considéré comme un problème au sein des quartiers investis par les ménages aux revenus les plus élevés, espaces qualifiés aujourd’hui de « gentrifiés [5] » ou « embourgeoisés ». Or, l’augmentation de la population à Nantes et la hausse des prix de l’immobilier ont peu à peu relégué à distance du centre-ville les milieux populaires. Comme dans d’autres villes, certains quartiers proches du centre subissaient un processus de gentrification souvent par l’intermédiaire de collectifs d’artistes qui modifient l’image associée à ces espaces (Della Faille, 2005).

On prendra pour exemple le quartier des Olivettes, véritable poumon créatif jusqu’à l’aube des années 2000, qui fut notamment important pour la première scène indie pop nantaise. D’anciennes usines et bâtiments y furent un temps utilisés comme ateliers de création, espaces de répétitions, ou lieux de diffusion. Les concerts, ainsi que les soirées techno (alors nouvelles), y furent très nombreuses à cette période. C’est près d’une dizaine de squats, de lieux alternatifs, de friches qu’on put recenser dans le quartier, même en se limitant à la période allant de 1995 à 1999. Mais dans un quartier en pleine transformation, où les destructions et les projets immobiliers fleurissaient, ces friches et autres lieux alternatifs furent tous fermés et détruits les uns après les autres. Par exemple, Le Petit Breton, près de la Loire, est devenu un immeuble de standing ; le Lieu Dit a laissé place à un centre social ; l’Artomatic est dorénavant un square, et l’Usine à Chaussures une école privée… C’est d’ailleurs au moment où les collectifs alternatifs abandonnaient ces espaces que le Lieu Unique, leur lointain cousin, fut réhabilité à l’aide de montants dignes d’une Scène Nationale, en pleine époque des friches industrielles et des « nouveaux territoires de l’art » (Lextrait, 2001).

Or, comme les friches dans les quartiers gentrifiés, les cafés-concerts du centre-ville nantais, qui proposaient des spectacles montés à partir d’un fonctionnement économique précaire, disparurent un à un ou cessèrent leur activité de concert à mesure que des structures pérennes s’implantaient (Trempolino, Pannonica, Olympic, puis Fabrique et Quartier de la Création). .

Mais au-delà de quelques références, pour qu’une scène soit prolifique à long terme et produisent de nouveaux artistes, il lui faut des espaces de pratiques nombreux et informels, notamment pour que les groupes puissent se confronter à la scène, quel que soit leur niveau de développement. Les musiciens de l’agglomération partagent ce diagnostic, le Nantes culturellement dynamique du début des années 2000 manque de petits lieux (Guidet & Plassart, 2007, p. 177).

Entre les lieux institutionnels et les festivals à la capacité de programmation limitée et délimitée, les musiciens et plus largement les acteurs investis dans les musiques actuelles émergentes, signifient depuis le début du siècle aux élus leur souhait d’obtenir des lieux à petites jauges pour s’exprimer. En première ligne, les bars et bistrots nantais furent à l’origine d’une fédération, « Culture bar bars », créée en 1999. Elle visait notamment à défendre « des établissements comme lieux de diffusion des cultures émergentes » et « une alternative à la culture institutionnelle ». Comptant l’année de sa création 14 membres dont 13 nantais, Culture Barbars fédère en 2008, 107 lieux dont 71 nantais, et en 2011 (dorénavant fédération nationale) 169 adhérents dont 73 nantais. Plus largement, des petits acteurs, peu ou pas subventionnés, formaient une liste d’opposition lors des dernières municipales (en 2008), la liste CulturesS. Au-delà de leur score anecdotique au municipale, ils cherchaient une tribune pour débattre et remettre en cause la perspective d’ « une ville uniquement intéressée par son image ». Ils déclaraient dans la presse et sur leur site internet : .

« Nous ne voulons pas que, même si nous les apprécions, le Royal de Luxe, le Lieu Unique ou l’Éléphant soient les uniques vitrines d’une politique culturelle. Nous sommes pour la protection de la culture non communicante. […] On veut aller plus loin dans la défense des petits lieux tels que le TNT, les cafés-concerts ou les petits théâtres […] Aujourd’hui, ces lieux meurent les uns après les autres et, avec eux, le droit aux distractions nocturnes et à la fête des gens qui travaillent le jour dans cette ville et y habitent [6] .».

La liste CultureS exposait d’abord un point de vue critique concernant la concentration des initiatives culturelles, et notamment musicales, dans l’espace du Quartier de la Création (sur l’Ile de Nantes). Cela bien sûr en partie parce que la ville, emportée par sa renommée, se gentrifiait. Mais la liste CultureS dénonçait aussi le cadrage trop prononcé des politiques publiques de la culture en local, y compris dans ses événements festivaliers.

C’est ainsi comme une alternative à la forme communément admise du festival, que s’est développé le festival culture bar bars, qui se déroulent trois jours consécutifs dans l’année depuis 10 ans. On pourrait là encore questionner l’appellation de « festival » (Benito, 2001) puisque l’organisation est ici grandement décentralisée. Ce n’est pas une structure, mais autant de structures que de cafés impliquées qui programment dans leur établissement.

Culture Bar-Bars 2001-2011.

Le festival culture bars bars se déroule durant un week end dans l’année. Parti de Nantes, il se propage aujourd’hui sur de nombreuses villes du territoire national. En 2011, il concerne 169 cafés-cultures, dont 73 à Nantes (80 dans l’agglomération nantaise). C’est 50 000 personnes qui sont concernées à Nantes, 100 000 au niveau national. 1 ou 2 artistes par soir sont programmés par lieu sur trois soirs soit environ 500 projets artistiques à Nantes (deux tiers étant des musiciens). Le slogan de Culture Bar-Bars est « le circuit court de la culture, des artistes locaux pour une population locale ».

 Les groupes concernés par culture Bars Bars sont des groupes locaux dont une bonne part sont des musiciens amateurs ou « émergents ». Le festival compte parmi leurs premières scènes.

Conclusion

Lorsqu’on évoque les festivals de musiques actuelles et la politique culturelle festivalière, on a tendance à se focaliser sur les événements les plus reconnus, ceux qui ont une envergure nationale, et qui programment des projets artistiques nationaux ou internationaux durant la période estivale sur un espace restreint et délimité (« le site du festival »). Certes, ces festivals sont nombreux (Guibert, 2008), y compris dans la région Pays de la Loire. Pourtant, si l’on s’intéresse aux dynamiques locales, on peut constater que les festivals prennent des formes très diverses.

Tableau 1 – Caractéristiques des festivals

Festival

Affluence
(nb personnes)

Budget

Origine
des groupes

Durée

Période

Nantes au Zenith

8000

115 000 €

locaux

1 jour

Décembre, janvier ou mars

Soy

3000

32 000 €

Internationaux/locaux

4 jours

Octobre

Scopitone

17 000

400 000 €

internationaux

5 jours

Septembre

Bars-Bars

50 000

50 000 €

locaux

3 jours

Fin novembre

Source : entretien avec les structures, 2011

Indépendamment de leur retentissement national, ces festivals jouent un rôle dans la structuration des scènes locales de musiques actuelles, qui permettront aux artistes de gagner en reconnaissance. L’aspect événementiel des festivals les plus connus peut permettre à un foisonnement d’acteurs de faire reconnaitre une scène en émergence. Ce fut le cas du festival « Les Allumées » qui, par sa notoriété, permettra de confirmer la première scène pop nantaise au niveau national, même si la vocation du festival était autre. C’est encore le cas du festival Scopitone qui, par sa programmation spécialisée, mais de niveau international, suscite l’intérêt des médias et du public.

Pour qu’émerge la relève de la scène pop nantaise après 2005, d’autres festivals ont eu aussi leur importance. Soy, bien qu’en grande partie amateur et artisanal, possède une grande notoriété dans le monde de la pop et du rock indépendant. Il a donc un effet ciblé, mais de dimension internationale. L’exigence de sa programmation lui a notamment permis d’obtenir l’aide de la Scène Nationale LU pour organiser une soirée par an.

De son côté, Nantes Au Zénith a permis, 3 années durant, à l’occasion d’un temps ramassé (une soirée) de fédérer les musiciens nantais de plusieurs générations qui, bien souvent, se connaissaient peu. Il a aussi permis de faire connaitre au grand public nombre d’artistes nantais dont il ne connaissait pas le travail. L’idée est ici de renforcer l’effet réseau de la scène vécue.

Sur le modèle des Allumés, de Scopitone ou de Soy, mais en en démultipliant le principe, le festival Culture Bar Bars s’est implanté simultanément dans 80 lieux de l’agglomération nantaise. Plutôt que la « ville créative » basée sur les potentialités économiques de la culture (stratégie adoptée par les politiques publiques), il a axé sa démarche sur la « ville participative », qui opte davantage pour une dimension sociale de ces mêmes politiques (Saez, 2009). Il permet ainsi de toucher une population importante, et aux artistes émergents de tisser des réseaux de pairs et de confirmer leurs premières scènes au niveau local.

Tableau 2 - Publics et artistes des festivals étudiés

 

Artistes locaux

Artistes internationaux

Public

Festival

émergeants

reconnus

à notorités restreinte

à notériété élevé

spécialisé

grand public

Nantes au Zénith

XXX

XXX

-

 

 

 

Soy

XX

X

XXX

X

 

 

Scopitone

X

-

XX

XX

 

 

Bars-Bars

XXX

X

X

-

 

 

Source : entretien avec les structures, 2011. (le nombre de croix représente la fréquence des artistes par type)

En associant « grand public » (Nantes au Zénith, Bar-Bars) et « public spécialisé » (Soy) aux « artistes locaux émergents », les festivals renforcent la dynamique interne de la scène. En associant « grand public » et « artistes locaux reconnus » (Nantes au Zénith), les festivals construisent une représentation de la ville pour ses habitants. En associant « public spécialisé » et « artistes internationaux », les festivals favorisent la dynamique externe de la scène à la fois à destination des médias spécialisés (Soy, Scopitone « artistes internationaux à notoriété restreinte ») et des grands médias (Scopitone, « artistes internationaux à notoriété élevée »).

Scène musicale peu dynamique dans les années 1980, Nantes a « frappé fort » et est devenu une référence dès le début des années 1990 grâce à des événements fédérateurs et une politique ambitieuse. Mais c’est aussi en discutant de cette politique, voire en la critiquant, que la scène a pu se développer. L’environnement nantais, dont les festivals sont partie intégrante, a permis à quelques artistes d’obtenir une reconnaissance nationale, et de positionner un « jeu à la nantaise », entre pop et chanson, ce dernier courant n’étant que la partie visible d’une dynamique existante dans d’autres genres musicaux. En participant à favoriser l’image de la culture nantaise, la scène musicale locale a ainsi joué sur son attractivité.

 

Gérôme Guibert
Université Paris III-Sorbonne Nouvelle

 

Bibliographie

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Beauparlant C., Darris G., Lemoigne A., Léon H., « La ville, la nuit. Rennes et Nantes, de nouvelles exigences de gestion urbaine », Les Cahiers de la Sécurité, vol. 61, 2006, p. 7-23.
Benito L., Les festivals en France. Marchés, enjeux et alchimie, L’Harmattan, 2001.
Bennet A. et Peterson R. A., Music Scenes, Nashville, Vanderbilt University Press, 2004.
Charliot L., Histoire du rock Nantais, Sainte Florence, Imprimedia, 2004.
CNV.
Della Faille D., « Espaces de solidarités, de divergences et de conflits dans la musique montréalaise émergente », Volume !, vol. 4, n° 2, 200 .
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Guibert G., « La scène musicale à Nantes. De la ville perçue à la ville vécue », in Grandet M. et al., Nantes, La belle éveillée. Le pari de la culture, Toulouse, Editions de l’Attribut, 2010.
Guibert G., « Les scènes locales en France. Définitions, enjeux, spécificités », in Le Guern P., Dauncey H., Stéréo. Sociologie comparée des musiques populaires France/G.B., Paris, Séteun/Irma, 2008.
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Guibert G., La production de la culture. Le cas des musiques amplifiées en France, Paris, Irma, 2006.
Guidet T. et Plassart M., Nantes saisie par la culture, Paris, Autrement, 2007.
Guineberteau T., Nantes, de la belle endormie au nouvel Eden de l’Ouest, Paris, Economica, 2005.
Voir « culture » in Laville J. L. Cattani A. D. [dir.], Dictionnaire de l’autre économie, Paris, Folio/Actuel.
Lextrait F. [dir.], Une nouvelle époque de l’action culturelle, Rapport à Michel Dufour (secrétaire d’Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle), Paris, La Documentation Française, 2001.
Renard J., Nantes à la croisée des chemins, Rennes, PUR, 2008 .
Saez G. , « Les collectivités territoriales et la culture », Cahiers Français, n° 348, janvier 2009.
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Teillet P., « Le public “insaisissable” : la crise des festivals », Les Cahiers de l’Orcca, n° 28, 2007.
Straw W., « Community and Scenes in Popular Music », Cultural Studies, vol. 15, n° 3, 1991, p. 368-388.

 


[1] On peut consulter de ce point de vue : Renard J., Nantes à la croisée des chemins, Rennes, PUR, 2008 et Guineberteau T., Nantes, de la belle endormie au nouvel Eden de l’Ouest, Paris, Economica, 2005.
[2] Dominique A. sera nominé aux victoires de la musique en 1996. Et Katerine, avant d’exploser auprès du grand public dans les années 2000, composera, entre autres, pour la chanteuse de variété japonaise Kahimi Kari, ainsi que pour l’actrice Anna Karina. Quant aux Little Rabbits, ils enregistreront notamment en 2004 un disque avec la chanteuse Vanessa Paradis pour la B. O. du film Atomic Cirkus.
[3] Aujourd’hui détruite.
[4]  www.zenith-nantesmetropole.com / www.olympic.asso.fr
[5] Pour des précisions sur la notion de gentrification, on peut consulter le numéro de la revue « La gentrification, dans la définition canoniquedonnée par la sociologue Ruth Glass (1964), désigne, d’une part, un processus de déplacement et de remplacement de populations dans des secteurs urbains centraux par des catégories plus aisées, et, d’autre part, la réhabilitation physique de ces mêmes secteurs », in Rérat P. et al., « une gentrification émergente et diversifiée. La cas des villes suisses », Espaces et Sociétés (vol. 132-133, 2008),  p. 40.
[6]  http://culturesanantes.blogspot.com/[2009]

Pour citer cet article :
Gérôme Guibert, « Le rôle des festivals de musiques actuelles dans le dynamisme de la scène pop nantaise » in Festivals et sociétés en Europe XIXe-XXIe siècles, sous la direction de Philippe Poirrier, Territoires contemporains, nouvelle série - 3 - mis en ligne le 25 janvier 2012.
URL : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Festivals_societes/G_Guibert.html
Auteur : Gérôme Guibert
Droits : © Tous droits réservés - Ce texte ne doit pas être reproduit (sauf pour usage strictement privé), traduit ou diffusé. Le principe de la courte citation doit être respecté.
ISSN : 1961-9944



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