Observer les publics des
festivals. Approche stratégique et renouvellement sociologique
Si
la naissance des grandes institutions culturelles, de la fin du XIXe siècle au début du XXe, est le fruit des changements qui ont
affecté l’ordre politique, les festivals ont plutôt émergé depuis la sphère
privée. Leur public, tel qu’il est dépeint dans la rare littérature qui en
restitue l’histoire, avait tous les traits d’un monde à part, comme le
collectif d’une grande famille et non celui, plus hétérogène, d’une société. A
l’exception d’Avignon, la question des publics n’a pas été, historiquement, une
préoccupation essentielle des festivals. Leur philosophie privative, tout comme
leur statut d’exception événementielle, les aura tenus éloignés des
perspectives de démocratisation culturelle, avant que leur nombre ne cesse de
grandir au cours des années 1970. Avec cet essor, les festivals ont cessé d’être
une exception dans le champ des politiques culturelles, pour en être l’un des
instruments majeurs.
En
théorie, le festival est un événement singulier associant un lieu, une
programmation, des rituels et l’ambition d’acquérir une renommée. En cela, les
publics des festivals constituent une microsociété qui se forme et se déforme
suivant un calendrier bien précis. En outre, chaque festival possède un
dispositif original qui s’inscrit dans un contexte historique, territorial,
institutionnel et culturel singulier. C’est sans doute en raison de ce
dispositif que de nombreux travaux se sont consacrés à une seule institution.
Cette approche, qui survalorise l’originalité putative de chaque événement,
nous prive d’une vision globale des festivaliers. Nous avons privilégié la démarche
inverse[2], en prenant en considération
un nombre élevé de festivals, représentant une large palette d’esthétiques différentes.
Après avoir mentionné les principaux aspects techniques de notre analyse, nous
en donnerons quelques uns des résultats, d’abord, en précisant la sociologie
des festivaliers et les modalités de fréquentation des événements, ensuite, en
soulignant l’impact de certaines variables sur la physionomie des publics. D’ores
et déjà, mentionnons que le fort renouvellement qui caractérise ces publics
constitue l’un des principaux enseignements de
notre étude.
L’enquête
a porté sur 49 festivals répartis sur tout le territoire, et s’est déroulée
tout au long de l’année 2008. Les questionnaires ont été distribués à un
minimum de 3 spectacles, représentatifs de la programmation de chaque festival.
Au total nous avons recueilli, saisi et traité 23 344 questionnaires sur
207 spectacles. Ceux-ci se divisent en 6 catégories : musiques anciennes
et baroques (20%) ; musique classique (33%) ; musique contemporaine
12%) ; jazz, chansons, variétés (10%) ; musiques actuelles et du
monde (15%) ; danse contemporaine (10%).
Tableau 1. Structure de l’échantillon
La programmation |
Spectacles |
% |
Musiques Ancienne et Baroque |
42 |
20% |
Musique Classique |
68 |
33% |
Musique Contemporaine |
25 |
12% |
Jazz, Chansons, Variétés |
20 |
10% |
Musiques Actuelles et du Monde |
31 |
15% |
Danse contemporaine |
21 |
10% |
Total |
207 |
100% |
La tarification |
|
% |
Gratuits |
29 |
14,0 |
Moins de 20 € |
78 |
37,7 |
De 20 à 30 € |
57 |
27,5 |
Plus de 30 € |
43 |
20,8 |
Total |
207 |
100% |
La saisonnalité |
|
% |
Avant saison |
50 |
24% |
Pleine saison |
93 |
45% |
Après saison |
64 |
31% |
Total |
207 |
100% |
La localisation |
|
% |
Lieu central |
82 |
40% |
Spectacle décentralisé |
43 |
21% |
Lieu unique |
42 |
20% |
Lieu d’une programmation éclatée |
40 |
19% |
Total |
207 |
100% |
Pourquoi s'interroger sur les publics des festivals ? Deux réponses complémentaires au profit d'une troisième…
Les publics des festivals sont intéressants à deux
titres. Le premier est qu’il s’agit d’un instrument, comme nous l’avons dit,
qui est sorti d’une certaine spécificité vis-à-vis des politiques culturelles,
pour en devenir un instrument majeur. À ce titre, il renvoie à des stratégies
qui s’inscrivent, ainsi que nous allons le voir, dans le cadre des politiques
de démocratisation. La deuxième raison de cet intérêt, que ne recoupe pas tout à
fait la première, est que les festivals et leurs partenaires considèrent aussi
les publics comme une ressource capitale, à la fois en termes d’économie
organisationnelle, mais surtout en matière de retombées économiques. Ce sont les
deux points que nous allons développer dans cette première partie.
Les stratégies de public
Compte tenu de l’importance de l’aide publique dans le
secteur, les missions des festivals intègrent une partie des exigences des
politiques culturelles : démocratisation, mobilité des publics, action en
faveur des publics empêchés, sans parler du soutien à l’emploi culturel et
artistique, ou en matière d’aide à la création. En matière de public, 3 stratégies
apparaissent de manière récurrente : fidéliser ; renouveler ;
accueillir des publics spécifiques.
La stratégie de fidélisation des spectateurs repose
sur deux piliers : une certaine convivialité pour favoriser l’immersion et
la spécificité d’un festival ; et des formules d’abonnements attractives
pour développer l’assiduité des spectateurs et les inciter à la découverte. L’efficacité
de ces actions reste difficile à évaluer compte tenu du fort renouvellement et
de la volatilité qui caractérisent la participation festivalière. Pour être
efficace, cette stratégie doit arbitrer en permanence entre le soin apporté aux
spectateurs fidèles et la conquête de « nouveaux fidèles ».
La stratégie de renouvellement du public agit sur
quatre leviers : les tarifs, le service d’information et de réservation,
la programmation, et la décentralisation des spectacles. Si la tarification
influence l’assiduité et le renouvellement, l’impact de la gratuité s’avère
contreproductif, et bénéficie davantage aux spectateurs les plus familiers du
festival. Si les médias ne jouent qu’un rôle mineur dans la motivation des
spectateurs, ils contribuent incontestablement à asseoir la notoriété d’un
festival. En outre, le développement d’Internet rend aujourd’hui ce média incontournable dans l’offre de services de tout
festival, y compris pour pénétrer les réseaux sociaux. L’impact de la
diversification de la programmation est d’autant plus délicat à analyser qu’il
divise les directeurs autour de la question de la cohérence artistique. Enfin,
si la décentralisation de spectacles a sans doute contribué à renouveler les
publics des festivals, l’institutionnalisation de cette pratique a aujourd’hui
fidélisé son public.
Les stratégies de développement de publics spécifiques
(scolaires, handicapés, personnes relevant d’un suivi social particulier…)
exigent des moyens importants et une action dont la durée dépasse celle du
festival. Plus rares, ces stratégies recouvrent des modalités diverses :
master classes, stages, rencontres avec des artistes, programmes d’éducation
artistique, formation aux métiers du spectacle… Au-delà des limites imposées
par les moyens humains et financiers, les difficultés majeures que rencontrent
les festivals sont d’ordre conjoncturel. La durée limitée des festivals ne leur
offre pas la possibilité de déployer des dispositifs pérennes d’accompagnement
des publics même si certains parviennent à développer une action culturelle à l’année.
En outre, si toutes ces actions collectives
aspirent à faire émerger une pratique individuelle de spectateur, leur impact
reste difficile à mesurer.
Bien
sûr, toutes ces stratégies se déclinent différemment
suivant la volonté des équipes et les moyens dont elles disposent. Or, la
professionnalisation des équipes festivalières demeure limitée, et leur dépendance
à l’égard du bénévolat encore importante. En dépit de leur généralisation, les
stratégies de publics restent donc encore un chantier ouvert.
Les retombées économiques
Notre
étude a pu également quantifier les retombées directes et indirectes des
festivals. En laissant le soin aux personnes interrogées d’indiquer la nature
et le volume de leurs dépenses (billetterie, restauration, hébergement et
achats divers), nous avons pu estimer les retombées indirectes. Nous avons ensuite évalué les retombées directes à partir des
dépenses des festivals en matière d’administration, de frais techniques, de
communication, de transport et d’hébergement, ou de dépenses artistiques. Nous
n’avons pas souhaité aborder les retombées
induites, dans la mesure où les ratios généralement
utilisés pour ce type de calcul s’avèrent trop
aléatoires et peu fiables. Au final, 1 € de
subvention publique génère, en moyenne, 6,6 €
de retombées totales. Toutefois, et compte
tenu de l’importance des contrastes entre événements, ce résultat ne peut sérieusement
tenir lieu de critère de soutien public à tel ou tel festival. Un examen ultérieur
montre d’ailleurs que la mise en regard du classement de nos festivals en
termes de retombées économiques, d’une part, et en évaluation artistique, d’autre
part, conduit à deux constats. Le premier est attendu : la « valeur économique »
d’un festival n’est pas en cohérence avec sa « valeur artistique ».
Le second constat est que les deux critères, qui ne sont pas cohérents, ne sont
pas pourtant inversement proportionnels. Autrement dit, ce n’est pas parce qu’un
festival produit beaucoup de retombées économiques qu’il est « nécessairement »
moins bien évalué du point de vue artistique ; et réciproquement : un
festival produisant peu de retombées économiques n’est pas automatiquement un événement
de haute valeur artistique [3].
Si
l’on s’intéresse de façon croissante aux publics des festivals, c’est donc
parce qu’ils sont devenus des instruments stratégiques du double point de vue
des politiques publiques et du développement économique. Mais cet intérêt en
croise nécessairement un autre, qui concerne la contribution d’une telle étude à
la connaissance des publics de la culture. Avec un échantillon aussi massif que
celui que nous avons pu réunir, il était en effet possible de mettre en perspective
nos observations et celles conduites depuis plus de trois décennies désormais
sur les pratiques culturelles des Français[4]. C’est ce que nous allons faire dans la seconde partie.
Les festivaliers : sociologie, pratiques, renouvellement
Même
si les caractéristiques sociodémographiques des festivaliers connaissent de
nombreuses variations suivant les festivals et les spectacles, il est possible
d’en dresser un portrait global. Sans surprise, la sociologie des festivaliers
rappelle celles des pratiques culturelles des Français : une majorité de
femmes (59,7%) et une domination des fractions supérieures les mieux formées de
la population (58% de cadres et de professions intellectuelles ; 71,6% de
diplômés de l’enseignement supérieur). En revanche, et contre certains présupposés,
ce sont les actifs qui dominent (53,6%). Les retraités arrivent en deuxième
position (31,7%), suivis des étudiants et des élèves (9,0%). L’âge moyen se
situe autour de 50 ans. En surreprésentant les populations disposant d’un capital
culturel supérieur, ces résultats confirment le caractère inégal de l’accès à
la culture. Cependant, de fortes différences émergent entre festivals dont
certains offrent un profil radicalement opposé à cette tendance générale. Plus
que jamais, c’est donc au pluriel qu’il faut parler des publics de festivals.
La fréquentation des
festivals
L’observation des différentes modalités de la fréquentation
des festivals fait voler en éclat l’image d’Epinal du festivalier, hyper-spécialiste, venu de loin et qui participe
rituellement à une pléiade de spectacles de son goût.
Tout
d’abord, la sortie au festival n’est pas systématiquement installée dans un
rituel puisque 39% des spectateurs viennent pour la première fois. Ensuite,
avec une moyenne de 1,5 spectacle, l’intensité de la pratique festivalière
reste modeste, et c’est la participation ponctuelle qui domine (39%). Cette
sortie s’effectue essentiellement en couple (40%) ou entre amis (28%). Plus
rare, la sortie en famille (17%) n’en est pas moins présente. En outre, si la
connaissance préalable des œuvres ou des artistes programmés est majoritaire
(72%), elle doit aussi faire avec une proportion non négligeable (28%) de
spectateurs qui viennent assister à un spectacle dont ils ignorent tout. Cette
part de spectateurs curieux nuance l’image du connaisseur qui pointerait derrière
chaque festivalier. Mais, ils ne sont pas non plus ces consommateurs « omnivores »
établis pour la durée de l’événement. Seuls 5% des spectateurs correspondent à
ce profil. Il n’en demeure pas moins que la sortie au festival s’inscrit bien
dans un système plus vaste de pratiques culturelles : 70% des festivaliers
interrogés sont allés plus d’une fois au cours de l’année à une exposition,
visiter un musée ou un monument historique, voir un film ou écouter un concert.
Ils sont également 47,2% à être allés plus d’une fois au théâtre. Enfin, si les
profils de goûts des festivaliers sont tranchés, certaines esthétiques opèrent
des ponts entre spectateurs. Au prix d’une certaine hétérogénéité, musique classique,
musique du monde et jazz fonctionnent ainsi comme des « carrefours de goûts ».
Pour
terminer, il faut souligner la proximité géographique du public puisque 70% des
festivaliers habitent la région d’implantation du festival (30% la ville, 24%
le département et 16% le reste de la région).
La programmation
Les
festivals de notre échantillon appartiennent à des genres musicaux et chorégraphiques
différents. Certains d’entre eux proposent même une pluralité d’esthétiques qui
peut aller du classique aux musiques actuelles en passant par le jazz ou la
musique contemporaine. Cette diversité n’est pas sans incidence sur le type de
public rassemblé.
En
premier lieu, on constate que certaines esthétiques renouvellent plus que les
autres, notamment les musiques actuelles
(63% de nouveaux), les musiques du monde (49%) et le jazz (46%). A l’opposé,
celles qui renouvellent le moins sont aussi celles qui fidélisent davantage les
festivaliers.
En
deuxième lieu, et conformément à la diversité de l’offre, il existe une pluralité de parcours. Deux logiques se
distinguent notamment : une logique « exclusive » (où prime le caractère
ponctuel, voire exceptionnel des sorties) pour les concerts de jazz, de
musiques du monde, de musiques actuelles et de chanson ; et une logique « intensive
» (plus de 15% de la programmation) pour les concerts de musiques savantes. Par
ailleurs, l’impact des sociabilités n’est pas négligeable sur ces parcours. Si
la sortie en couple s’impose, les spectacles de musiques actuelles et de
musiques du monde se distinguent une nouvelle fois en favorisant la sortie
entre amis. Les musiques du monde attirent également une proportion plus
importante de familles. L’accompagnement est une question cruciale pour
comprendre les carrières de festivaliers, notamment parce que cette dimension « sociale »
de la sortie rivalise avec les considérations esthétiques. De ce point de vue,
la programmation en elle-même n’explique par toutes les variations des modalités
sociales de la participation festivalière.
En
troisième lieu, notre étude fait état d’une diversification du recrutement
social des publics suivant les esthétiques. L’indicateur du diplôme distingue
trois groupes : un groupe moyen composé des musiques classique,
contemporaine et de la chanson ; un groupe plus ouvert aux personnes moins
formées avec les musiques actuelles et les musiques du monde ; un groupe
plus élitiste avec le jazz, le baroque et la danse. De leur côté, les catégories
socioprofessionnelles nous informent que les classes populaires et moyennes
sont majoritaires dans les concerts de musiques actuelles et de musiques du
monde, et dans une moindre mesure, de chanson. La musique contemporaine fait
office de genre médian où la répartition des classes sociales suit la répartition
moyenne. Enfin, la danse, le baroque et le classique représentent les trois
principales esthétiques où prédominent les publics issus des classes supérieures.
Notons toutefois que, même dans ces cas, les classes moyennes sont également
bien présentes.
La tarification
Aujourd’hui
la tarification pèse beaucoup dans la stratégie des festivals (cf. encadré). Si
le prix moyen d’une place plein tarif se situe autour de 23 €, les grilles
tarifaires des festivals restent très contrastées.
Les
spectacles gratuits ne représentent qu’une part minoritaire de l’offre (14%)
dont l’impact doit être mesuré au regard des différents dispositifs dans
lesquels elle s’inscrit. Soit, il s’agit d’une pratique récurrente et
institutionnalisée ; soit il s’agit d’une pratique plus ponctuelle. Ces
deux « situations de gratuité » n’ont pas le même impact. Dans le
premier cas, elle construit un public d’habitués, dans le second, elle permet
une certaine ouverture. Au final, si la gratuité ne s’impose pas comme un
instrument universel de renouvellement des publics (mais parfois comme une « prime
aux habitués »), elle contribue le plus souvent à un élargissement social
de la fréquentation en favorisant l’accès aux classes populaires.
En
ce qui concerne les spectacles payants, il faut évoquer l’impact symbolique du
prix. Dans la mesure où les artistes et les œuvres jouent un rôle déterminant
dans la motivation des spectateurs, le prix agit de manière complexe sur la
participation et le renouvellement des publics. On constate d’abord que les
tarifs les plus abordables permettent aux moins connaisseurs d’assister à un
festival pour la première fois. Mais pour les connaisseurs ou les fans, on voit
aussi que le prix n’est pas un frein. Ce constat est toutefois à mettre en
regard du profil sociodémographique des festivaliers. Le prix constitue
davantage une barrière pour les foyers les moins favorisés tandis qu’il n’est
pas limitatif pour les foyers les plus aisés. Toutefois, nous constatons un
seuil au-delà duquel ne se retrouve qu’une minorité des publics : plus de
15% de la programmation et plus de 2 spectacles suivis.
La localisation
Tout
comme la tarification, la démultiplication des lieux de spectacles fait désormais
partie des outils stratégiques des festivals avec la double ambition d’élargir
l’audience et d’asseoir le rayonnement territorial de la manifestation. Au
final, la diversité des situations empêche de produire des constats tranchés
sur l’impact de cette politique. En effet, si une décentralisation récente
attire davantage de nouveaux spectateurs, une décentralisation institutionnalisée,
inscrite dans une offre récurrente, finit par capter un public d’habitués. Sur
l’ensemble de l’échantillon, on constate une certaine indifférenciation du
profil des publics par rapport à cette variable. Pas plus jeune ni plus local
que la moyenne, le public des spectacles décentralisés semblerait anéantir la
thèse d’un renouvellement des audiences par le fait d’aller à la conquête du
public là où il se trouve. En réalité, à l’instar de la gratuité, tout dépend
de la « situation de décentralisation » : lorsque le concert décentralisé
est une première, il draine un nouveau public en masse. Lorsqu’il est rituel,
il a produit son cercle d’habitués. Par ailleurs, n’oublions pas qu’une part
non négligeable des publics de passage (nouveaux par excellence) est attirée
par le « lieu phare » (souvent patrimonial) du festival.
Le renouvellement
Avec
un taux de 39%, le renouvellement des publics de festival est un résultat
majeur qui s’oppose à l’idée d’une réservation des événements et des équipements
artistiques au profit des mêmes habitués. Toutefois, il n’était pas évident que
ce renouvellement soit synonyme d’élargissement social ou générationnel (cf.
tableau 2).
En
ce qui concerne l’âge, on constate un net rajeunissement des spectateurs toutes
esthétiques confondues. Le rajeunissement le plus prononcé concerne la danse
(alors que sa moyenne d’âge est légèrement supérieure à celle des musiques
actuelles) tandis qu’avec une base plus jeune, le rajeunissement des publics de
musiques actuelles est équivalent à celui des musiques savantes. Cette neutralisation
du genre de spectacle se retrouve en ce qui concerne le renouvellement des
publics. Toutes esthétiques confondues, il est plus soutenu chez les classes
moyennes et populaires (et notamment chez les employés) tandis que l’essentiel
des habitués se recrute parmi les classes supérieures. Même si les écarts
restent modestes, le renouvellement s’accompagne donc d’un certain élargissement
social du public. Par ailleurs, les modalités de pratiques des nouveaux venus
sont également différentes, on y trouve davantage de spectateurs qui viennent
entre amis, pour un seul spectacle, et pour écouter un artiste ou une œuvre qu’ils
ne connaissent pas toujours à l’avance. Enfin, ces nouveaux festivaliers
rassemblent davantage d’hommes, d’actifs aux revenus modestes, et d’étudiants.
Tableau 2. Impact différencié du renouvellement sur
plusieurs variables
Variables |
Moyenne |
Nouveaux venus |
Part des spectateurs ponctuels |
39,0% |
43,5% |
Connaissance préalable de l’offre |
56,0% |
49,3% |
Accompagnement en couple |
39,6% |
37,0% |
Accompagnement entre amis |
28,0% |
30,0% |
Sorties annuelles multiples |
72,5% |
66,0% |
Part des femmes |
59,7% |
58,8% |
Part des moins de 35 ans |
26,0% |
37,4% |
Part d’études supérieures |
71,6% |
70,0% |
Part des actifs |
53,6% |
57,5% |
Part des élèves et étudiants |
6,7 % |
9,7% |
Part de la classe supérieure |
58,2 % |
54,6% |
Part des revenus de 2000 € et moins |
32,3% |
37,2% |
Source :
Négrier, Djakouane, Jourda (2010)
A
l’image de l’ensemble de nos résultats, la nature de ce renouvellement
interroge les constats traditionnellement admis sur les publics de la culture.
Les nouveaux venus témoignent de pratiques et de profils sociologiques
relativement distincts des habitués. Par conséquent, même si les fractions de
la population les mieux dotées en capital culturel dominent, le public des
festivals est moins homogène qu’on pourrait le croire. Il laisse place à une
relative diversité de trajectoires, de pratiques et de goûts, et peut donc
aussi donner lieu à toute une palette d’instruments de politique culturelle.
Aurélien Djakouane & Emmanuel Négrier
(CNRS-CEPEL)
[1] Ce texte
reprend, en y ajoutant quelques illustrations, une version publiée
antérieurement sous la forme d’un focus dans P. Poirrier [dir.], Politiques et
pratiques de la Culture, Paris, La Documentation Française, 2010
[2] Emmanuel
Négrier (dir.), Aurélien Djakouane et Marie Jourda, Les publics des
festivals,
Paris, Co-édition Michel de Maule / France Festivals / Réseau en
Scène
[3] E. Négrier & M. Vidal,
« L’impact économique de la culture. Réels défis et fausses pistes », Economia della Cultura n° 4, 2009, p.487-498
[4] O. Donnat, Les pratiques
culturelles des Français à l’ère numérique, Paris, La Documentation
française, 2009. On se permet de renvoyer, pour plus de références
bibliographiques à ce sujet, à notre ouvrage, E. Négrier [dir.], A. Djakouane & M. Jourda 2010, op. cit.