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Démocratiser la culture. Le cas des États-Unis
d’Amérique
Un contexte en évolution
Analyser la question de la démocratisation de l’accès aux arts et à la
culture dans un pays tel que les États-Unis d’Amérique, aussi vaste qu’un
continent, suppose de prendre en considération plusieurs facteurs :
historiques, politiques, institutionnels, sociologiques, organisationnels et
économiques. Car le rapport des populations à l’art et à la culture dépend
d’une multitude de paramètres, même si certains d’entre eux, de caractère
sociologique, priment sans doute en dernier ressort.
Dans son rapport intitulé « 2008 Survey of public participation in
the arts », publié en 2009, le National Endowment for the Arts (NEA) met
en perspective les résultats les plus récents de ses enquêtes conduites depuis
vingt-cinq ans sur les pratiques culturelles des Américains, auprès de
18 000 personnes âgées de plus de 18 ans (15 ans, rappelons-le, dans le
cas français). Les pratiques enquêtées sont notamment les suivantes : spectacle
vivant (jazz, musique classique, opéra, comédies musicales, théâtre, danse
classique, autres formes de danse) ; lecture de livres relevant du champ
littéraire ; visite de musées d’art (et non pas de tout type de musées
comme dans le cas français) ; festivals ; visites de sites
historiques.
Quels enseignements peut-on en tirer ? C’est ce que nous souhaiterions
analyser en présentant dans un premier temps certains éléments de contexte
utiles à la compréhension des résultats de cette enquête ; puis, en
exposant les principales évolutions qui caractérisent les pratiques culturelles
de la population américaine ; avant d’esquisser une tentative
d’explicitation de ces résultats, toujours difficiles à interpréter comme le
montre également l’exemple français, objet de nombreuses discussions depuis
plusieurs années.
Éléments de contexte
Le premier point à souligner, on l’oublie parfois, est que les États-Unis d’Amérique sont un État
fédéral, ce qui signifie que le champ culturel – quelle que soit la définition
qu’on lui donne – ne ressortit pas aux compétences de la fédération, qui
a de surcroît la taille d’un continent. Comme les autres pays fédéraux
toutefois, l’État fédéral exerce certaines prérogatives dans le domaine
culturel, à travers le financement d’institutions telles que la bibliothèque du
Congrès, le système audio-visuel public (PBS – Public Broadcasting System et
NPR – National Public Radio) ou les institutions muséales et de recherche
dépendant de la Smithsonian Institution à Washington, sans oublier les agences
fédérales telles que le National Endowment for the Arts (NEA), le National
Endowment for the Humanities (NEH), l’Institute of Museum and Library Services
(IMLS) ou la National Science Foundation (NSF).
Le financement des activités culturelles
Rappelons en outre que d’autres échelons que l’État fédéral prennent une
part – modeste néanmoins en termes d’intervention directe – au financement des
activités artistiques et culturelles, qu’il s’agisse des États fédérés, des
comtés ou des villes elles-mêmes. Mais l’essentiel de l’intervention est en
réalité indirect, à travers un système complexe de taxes, mais surtout
d’exonérations fiscales des institutions culturelles et de déductions fiscales
pour les donateurs et les mécènes. À cette aune, qui vient démentir l’assertion
fréquente d’une absence d’intervention publique dans le financement de la
culture aux États-Unis d’Amérique, il est possible que les sommes en jeu soient
en définitive comparables à celles de nombreux pays européens. Avec une
différence sensible toutefois : le rôle de l’État est moins de faire par
lui-même que d’inciter à faire ou d’encourager à « faire faire » par
de multiples intervenants : particuliers, associations, organismes
professionnels, fondations et entreprises.
Cela signifie par conséquent qu’il n’existe pas de consensus permettant
de légitimer une intervention publique significative dans le financement direct
des activités artistiques et culturelles ; le truchement de l’intervention
publique passera plutôt par un axe éducatif, social, touristique, économique ou
urbanistique. C’est aussi ce qui explique le grand nombre d’études d’impact
économique qui s’efforcent de démontrer l’importance et le rôle des arts dans
la vitalité économique de villes ou de régions, comme si « l’art pour l’art »
ne pouvait avoir droit de cité dans la première puissance mondiale.
Pour le reste, dans la lignée de la tradition anglo-saxonne, les arts
relèvent avant tout de la sphère privée et du marché. La meilleure preuve étant
que l’intervention publique est le plus souvent davantage perçue – y compris
par les professionnels – comme une menace que comme une protection du monde
culturel. Il est vrai que quelques « affaires » célèbres, autour des
artistes Serrano et Mappelthorpe notamment, ont alimenté la crainte d’une
censure venant de la sphère publique, doublée d’un interventionnisme politique
peu éclairé de la part du Congrès.
Il n’empêche, les États-Unis d’Amérique, comme tout visiteur peut en
faire l’expérience, possèdent certaines des plus prestigieuses institutions
culturelles du monde, le pays étant conscient depuis deux siècles que c’est
aussi à cette aune qu’il serait jugé par le monde entier et soucieux d’apporter
à ses citoyens les instruments éducatifs, scientifiques et culturels d’une
grande nation, vouée par ses élites à diriger le monde. Il n’est que de citer
les orchestres symphoniques de Philadelphie et de Cleveland, les opéras de New
York et de Los Angeles, les bibliothèques universitaires d’Harvard et de Yale,
ou encore les musées de Washington et de Boston.
La « haute culture » est donc bien présente, mais est-elle
accessible à la majorité des Américains, dans un moment où les humanités voient
leur influence décliner et où les industries culturelles imprègnent toujours
davantage l’imaginaire de la population ? Autre interrogation : les
grands équipements culturels sont d’une richesse peu commune, au point de
susciter la convoitise de nombre de leurs homologues européens, reflétant la
puissance économique de la nation la plus prospère du monde depuis plusieurs
dizaines d’années. Ils peuvent en effet à la fois compter sur un public éduqué
et sur des donateurs fortunés, mais aussi sur un dynamisme
« commercial » avéré, à travers boutiques et autres
restaurants : mais quels efforts supplémentaires – en plus de leurs
instruments traditionnels – déploient-ils à présent pour s’adresser au plus
grand nombre ?
D’où vient alors que l’on aurait envie de suggérer qu’un accroissement
modeste du financement d’origine publique ne pourrait que conforter l’excellence
de ce modèle ? C’est que les périodes de crise sont cruelles pour les
institutions culturelles, à tout le moins dans le court terme : les
recettes propres (billetterie et dépenses annexes des visiteurs) diminuent au
gré des difficultés économiques de la population ; le montant des dons se
réduit drastiquement ; tandis que les revenus des dotations en capital (endowments)
suivent à la baisse la courbe des marchés financiers et immobiliers. Les
« stabilisateurs » sont donc moins efficaces qu’en Europe où les
subventions publiques, même en diminution, permettent au moins d’assurer le
maintien du fonctionnement à un niveau raisonnable.
Cultures et enracinement local
Pour juger des effets des efforts de démocratisation en matière
culturelle, il convient par ailleurs de s’interroger sur l’existence d’une
culture commune au peuple américain. Là où la littérature en France, la musique
en Allemagne ou le théâtre au Royaume-Uni suscitent un assentiment plus ou
moins distant ou plus ou moins respectueux de vastes ensembles de citoyens, on
peine à trouver un terreau commun d’une nature comparable aux États-Unis
d’Amérique. N’est-ce pas plutôt le drapeau et la constitution, voire le sport
et les médias de masse, qui unifient les diverses catégories sociales et ethniques
de la population ? N’y a-t-il pas plutôt « des » cultures,
propres à chaque communauté, à chaque région, à chaque groupe relié par des
intérêts affinitaires ?
S’agissant d’un pays formé d’individus provenant de diverses contrées du
monde, ayant pris possession de terres appartenant aux nations indiennes et
ayant construit sa prospérité en exploitant une main-d’œuvre venue d’Afrique et
des Caraïbes, la notion de creuset (melting pot) paraît finalement
problématique : les identités religieuses, ethniques et linguistiques ne
cessent de réclamer leur dû ; une partie de la population semblant pour le
reste résister aux mythes fondateurs de la nation et devoir rester à l’écart du
fameux « American Way of Life ». Fragmentation raciale, communautarisme
et ségrégation sociale prédisposent-ils à la célébration de valeurs artistiques
partagées, sinon communes ? Comment, dans ces conditions, apprécier
l’accès de ces diverses catégories de la population aux institutions
culturelles ? Étant entendu que les organisations culturelles et
artistiques répondent à des missions relevant de l’intérêt général, qu’elles
s’offrent comme ouvertes au plus grand nombre et qu’elles bénéficient
directement ou indirectement d’un financement d’origine publique, ces questions
ne sont donc pas anodines.
Du reste, s’agissant de l’ancrage des établissements culturels
américains auprès de la population, il convient de rappeler quelques traits
spécifiques qui contribuent – pour une part – à les distinguer des institutions
analogues en Europe. Si l’on compte des équipements publics (tels que des
bibliothèques ou des musées), la plus grande partie des institutions
culturelles sont des organisations privées sans but lucratif, relevant en fait
d’un quasi service public ; en effet, elles sont encadrées par des
règlementations publiques et bénéficient au moins indirectement du soutien de
la collectivité en raison de la poursuite d’une mission (éducative, au sens du
code des impôts) relevant de l’intérêt général.
Autre trait idiosyncratique, l’ancrage local qui caractérise le
fonctionnement de ces institutions. Dépendant pour une part notable des
activités de collecte de fonds auprès des individus, des fondations et des
entreprises, elles se doivent nécessairement de cultiver des relations étroites
et permanentes avec les diverses « parties prenantes », qu’il
s’agisse des bénévoles (volunteers, très nombreux à agir à
tous les niveaux de l’organisation), des adhérents (regroupés dans des systèmes
de membership très sophistiqués), des membres de leur conseil
d’administration (trustees, chargés de définir les grandes orientations
et de nommer un(e) directeur(trice) pour les mettre en œuvre), des donateurs
(versant de petites sommes ou des montants colossaux) ou encore des
bénéficiaires des actions « hors les murs » (outreach).
Difficile dans ces conditions d’imaginer une institution artistique se
réfugiant dans un splendide isolement, indifférente aux relations avec son
environnement et ignorante des souhaits de la population locale. Cela garantit
une programmation souvent intense, des activités éducatives très développées et
un réel effort pour s’adresser au public, y compris aux minorités. À l’inverse,
on pourrait juger qu’un mode de financement qui repose notablement sur l’apport
financier de grands donateurs présente un caractère élitiste pouvant éloigner
une partie de la population ; ce risque existe indubitablement, surtout
lorsque certains dons très médiatisés fournissent l’occasion d’un étalage
parfois indécent de la richesse accumulée par les mécènes les plus fortunés.
Mais l’indépendance des professionnels du monde la culture garantit en principe
– malgré quelques écarts de loin en loin avec les principes déontologiques –
que c’est la mission de l’institution qui s’impose en dernier ressort. Certains
professionnels soutiennent même que le fait de dépendre d’une multitude de
donateurs constitue une protection contre la proximité volontiers envahissante
de certains d’entre eux.
Précisons enfin que les universités jouent un rôle fondamental de familiarisation
des jeunes gens avec les pratiques culturelles en raison des équipements dont
elles disposent et qui sont ouverts – dans le cas des salles de spectacle ou
des musées par exemple – aux populations environnantes. Compte tenu du nombre
élevé de jeunes Américains qui poursuivent des études universitaires, il y a là
un facteur décisif dans l’accessibilité aux pratiques artistiques et aux
équipements culturels d’une partie significative de la population américaine.
Qu’en est-il toutefois de l’impact de ces différents éléments de contexte sur
les pratiques effectives des citoyens des États-Unis d’Amérique ?
L’évolution des pratiques artistiques de la
population américaine
Quels enjeux de démocratisation ?
Le souci de la démocratisation fait partie des préoccupations des
responsables culturels américains, dont la mission relevant de l’intérêt public
et l’ancrage éducatif conduisent à l’intention de s’adresser au plus grand
nombre. C’est le sens des services des publics et des actions pédagogiques conduites
dans la plupart des organisations culturelles ; sans compter, comme
rappelé précédemment, que leur existence même repose sur l’adhésion de la
population qui les accueille et du territoire où elles sont implantées. À cet
égard, la question des « minorités » constitue un aspect déterminant
de leur devenir, puisqu’une institution identifiée comme WASP (White
Anglo-Saxon Protestant) verrait son destin compromis si les communautés – hispaniques, afro-américaines ou asiatiques – devenant
majoritaires dans une région et ne s’y reconnaissant pas suffisamment –
venaient à s’en détourner.
Cela pose la question de la diversité au sein des professionnels que
recrutent ces institutions et celle de la composition des conseils
d’administration qui les gouvernent. Les nouvelles élites (hispaniques,
afro-américaines, asiatiques, etc.) suivront-elles la voie des anciennes
familles patriciennes qui ont œuvré historiquement à l’essor de la
philanthropie ? Cela reste encore incertain, dans un contexte où les
formes artistiques « savantes » (musique symphonique, théâtre de
création, opéra…) peuvent à tout moment se trouver coupées d’une large partie
de la population, compte tenu de l’effacement progressif de la culture
classique, de l’essor des industries culturelles et de la croissance des usages
numériques.
Or, dans le même temps, le coût croissant du fonctionnement des
institutions culturelles accentue la tentation d’augmenter les tarifs, qu’il
s’agisse de l’entrée dans les musées ou des places de théâtre et de concert.
L’accès concomitant à une offre numérisée gigantesque, gratuitement ou à un
coût très modeste, fait alors courir le risque d’une coupure radicale entre des
populations accédant facilement à une infinité de contenus sur Internet et des
équipements culturels considérés – à tort ou à raison – comme plus difficiles
d’accès pour des raisons « culturelles » ou sociales, mais aussi
financières. Tant qu’un public acquis, voire captif, suffit à assurer la bonne
santé de ces institutions, il peut en effet être considéré comme tentant de
s’adresser en priorité aux individus possédant déjà une certaine familiarité
avec le secteur artistique et à faire passer au second plan les préoccupations
d’ouverture aux personnes notoirement plus éloignées de l’offre culturelle.
L’enquête du NEA
Il convient à présent de présenter et de commenter certains des
résultats de l’enquête du National Endowment for the Arts.
Premier point à relever, l’enquête du NEA réalisée en 2002 dénombrait en
chiffres bruts 497 millions de « participation » aux activités
analysées, ce chiffre n’étant plus que de 408 M en 2008, ce qui représente
une baisse de près de 20 %. Par ailleurs, une part moindre de la
population adulte américaine a été concernée par une pratique culturelle
(assister à un spectacle, visiter un musée d’art, etc.) que dans les enquêtes
précédentes, comme l’indique le tableau suivant. C’est le cas notamment pour
les concerts de musique classique ou l’accès au patrimoine. Quant à la visite
des musées d’art, après avoir progressé elle semble reculer à présent. De même,
si l’on prend en compte l’ensemble des pratiques culturelles enquêtées, on
assiste à présent à une baisse après un pic atteint en 1992, produisant de la
sorte un résultat moins favorable qu’en 1982, date de la première enquête.
Pratique
culturelle
(enquêtée
depuis 1982)
|
1982 |
1992 |
2002 |
2008 |
Jazz
|
9,6%
|
10,6%
|
10,8%
|
7,8%
|
Musique classique
|
13,0%
|
12,5%
|
11,6%
|
9,3%
|
Opéra
|
3,0%
|
3,3%
|
3,2%
|
2,1%
|
Théâtre musical
|
18,6%
|
17,4%
|
17,1%
|
16,7%
|
Théâtre
|
11,9%
|
13,5%
|
12,3%
|
9,4%
|
Danse
|
4,2%
|
4,7%
|
3,9%
|
2,9%
|
Musées d’art
|
22,1%
|
26,7%
|
26,5%
|
22,7%
|
Parcs et monuments
historiques
|
37%
|
34,5%
|
31,6%
|
24,9%
|
Lecture
(littérature)
|
56,9%
|
54,0%
|
46,7%
|
50,2%
|
Ensemble
|
39%
|
41%
|
39,4%
|
34,6%
|
Si l’on raisonne à présent en fonction de l’appartenance
« ethnique », on s’aperçoit que les différences sont marquées entre
une population « blanche » dont les pratiques culturelles sont les
plus élevées de la population américaine, d’un côté ; et, de l’autre, des
populations « noires » ou « hispaniques » dont le poids
dans la population ne se reflète pas dans le total des participants aux
pratiques artistiques en raison d’un taux de participation presque deux fois
moindre que celui de la population « blanche », comme l’indique le
tableau suivant.
Pratique
culturelle en fonction du groupe ethnique
|
Nombre (en millions)
|
Pourcentage dans la population
|
Pourcentage dans le total des pratiquants
|
Taux de participation
|
Population totale
|
224,8 M
|
|
|
34,6 %
|
Hispaniques
|
30,4 M
|
13,5 %
|
8,2 %
|
21,0 %
|
Blancs
|
154,5 M
|
68,7 %
|
78,9 %
|
39,7 %
|
Noirs
|
25,6 M
|
11,4 %
|
7,0 %
|
21,5 %
|
Autres
|
14,3 M
|
6,4 %
|
5,9 %
|
31,9 %
|
Total
|
|
100 %
|
100 %
|
|
On ne sera évidemment pas surpris du lien existant entre pratique
artistique et niveau de revenu, un facteur qui fait passer d’un taux de
participation de 16 % pour les catégories les plus modestes de la
population (environ la moitié de la moyenne nationale) à un taux de 68 %
pour les catégories les plus aisées (environ deux fois la moyenne nationale),
soit un écart de 1 à 4 entre ces deux groupes. C’est ce que montre le tableau
suivant.
Pratique
culturelle en fonction du revenu
|
Nombre (en millions)
|
Pourcentage dans la population
|
Pourcentage dans le total des pratiquants
|
Taux de participation
|
Population totale
|
224,8 M
|
|
|
34,6 %
|
Moins de 10K $
|
11,6 M
|
5,8 %
|
2,6 %
|
16,1 %
|
De 10K à 20K $
|
19,3 M
|
9,6 %
|
4,5 %
|
16,8 %
|
De 20K à 30K $
|
23,4 M
|
11,7 %
|
6,3 %
|
19,3 %
|
De 30K à 40K $
|
22,6 M
|
11,3 %
|
8,5 %
|
27,0 %
|
De 40K à 50K $
|
18,8 M
|
9,3 %
|
8,3 %
|
31,8 %
|
De 50K à 75K $
|
40,7 M
|
20,3 %
|
20,5 %
|
36,2 %
|
De 75K à 100K $
|
27,2 M
|
13,5 %
|
17,5 %
|
46,2 %
|
De 100K à 150K $
|
21,4 M
|
10,7 %
|
16,4 %
|
55,0 %
|
150K $ et plus
|
16,0 M
|
8,0 %
|
15,2 %
|
68,1 %
|
Total
|
|
100 %
|
100 %
|
|
Toutefois, l’élément le plus prédictif de la pratique artistique est
bien évidemment le niveau d’instruction, puisque l’écart est dans ce cas de 1 à
10 entre les catégories les moins éduquées et celles qui bénéficient du niveau
d’éducation le plus élevé.
Pratique
culturelle en fonction du niveau d’instruction
|
Nombre (en millions)
|
Pourcentage dans la population
|
Pourcentage dans le total des pratiquants
|
Taux de participation
|
Population totale
|
224,8 M
|
|
|
34,6 %
|
Grade school
|
11,2 M
|
5,0 %
|
0,9 %
|
6,5 %
|
Some high school
|
22,1 M
|
9,8 %
|
4,1 %
|
14,5 %
|
High school
graduate
|
68,3 M
|
30,4 %
|
16,7 %
|
19,0 %
|
Some college
|
61,4 M
|
27,3 %
|
30,1 %
|
38,1 %
|
College graduate
|
41,3 M
|
18,3 %
|
30,4 %
|
57,2 %
|
Graduate school
|
20,5 M
|
9,1 %
|
17,8 %
|
67,3 %
|
Total
|
|
100 %
|
100 %
|
|
Éléments d’explication
De ces données chiffrées, on peut essayer de tirer quelques premiers
enseignements. Si l’enquête du
NEA fait apparaître que la participation aux activités artistiques continue à
croître avec le niveau d’éducation, il n’en reste pas moins que même les
personnes les plus instruites ont réduit ces dernières années l’intensité de
leurs pratiques culturelles. Or, la pratique artistique personnelle elle-même
est en déclin, à l’exception de la photo ou de la vidéo, concomitamment avec
une diminution de l’importance des enseignements artistiques dans presque
toutes les couches de la population. Faut-il y voir les effets de profondes
transformations économiques et sociales, des limites du système éducatif, du
creusement des inégalités, de la multiplication des offres de loisir et de
divertissement, du renchérissement de l’accès aux institutions artistiques ou
d’une mutation du sens même de la pratique culturelle ?
On constate en effet que les possibilités offertes en matière d’accès
aux arts et à la culture n’ont jamais été aussi importantes dans l’histoire de
l’humanité, en particulier du fait de la numérisation des contenus et de la
multiplication des canaux de diffusion (radio, télévision, Internet, et à
présent tablettes et téléphones mobiles). Il n’en reste pas moins que
s’agissant à tout le moins des usages enquêtés, on observe une diminution de la
fréquence de pratique, y compris chez les personnes les plus instruites. Le
phénomène est encore plus marqué s’agissant des groupes sociaux les moins
favorisés (Noirs ou Hispaniques), qui ont été les premiers à pâtir d’une
diminution de l’éducation artistique, accentuant dans le même temps les
disparités régionales. Il y a là dès lors des motifs réels de préoccupation
pour les responsables publics. En termes démographiques, on relève que les
publics sont vieillissants, en particulier pour le jazz et la musique
classique ; et que ce vieillissement des pratiquants est plus accentué que
celui de la population dans son ensemble. Bien plus, ce déclin est plus
prononcé chez les 45-54 ans, c’est-à-dire chez ceux qui fournissent
habituellement de larges contingents de participants aux institutions
culturelles.
L’essor des industries culturelles et la numérisation des contenus
artistiques, dont la diffusion est facilitée par l’innovation technique,
contribuent assurément à un élargissement potentiel de l’accès à un grand
nombre d’individus aux œuvres de l’art et de l’esprit. Mais on ne saurait se
satisfaire de ce constat optimiste ; car on assiste au même moment à un
déclin des humanités à l’université et à une réduction des moyens alloués aux
enseignements artistiques à l’école. Or, faute de demande sociale et par crainte
des responsables populistes qui ont alimenté les « guerres
culturelles » des années 1980 et 1990, la question culturelle ne fait pas
partie des préoccupations des décideurs politiques au plus haut niveau. Même
l’éventuelle nomination d’un conseiller pour les affaires culturelles auprès du
président Obama n’a pu aboutir et on voit mal comment il pourrait en être
autrement dans les temps à venir.
Enfin, des éléments s’opposant aux réels efforts de démocratisation de
nombre d’institutions artistiques sont à l’œuvre. Les industries culturelles et
les grands médias audio-visuels ne se reconnaissent pas à présent de
responsabilité comparable à celle qui conduisait la chaîne de télévision CBS à
proposer des émissions « grand public » animées par le chef d’orchestre
et compositeur Léonard Bernstein dans les années 1950 ; les grands
équipements culturels, confrontés à des impératifs de financement, n’hésitent
pas à augmenter notablement leurs tarifs ; enfin, l’aggravation des
inégalités sociales s’ajoute aux phénomènes décrits précédemment pour créer en
définitive un contexte défavorable à une réduction des écarts dans l’accès aux
pratiques artistiques de la population des États-Unis d’Amérique.
Ces diverses évolutions diffèrent-elles de celles d’autres pays ?
Cette question mérite incontestablement d’être approfondie, mais on peut faire
l’hypothèse que la massification de l’enseignement, la création de nombreuses
institutions artistiques, le développement des médias et l’essor des industries
culturelles ont certes constitué des facteurs propices à plus grande exposition
d’une large partie des populations des pays développés à l’art et à la culture.
Toutefois, on peut penser que des menaces pèsent aussi sur la culture
« cultivée » ou « savante », dans un temps où la
préoccupation de la rentabilité financière, le court-termisme et des formes
renouvelées de populisme intellectuel accompagnent des changements
socio-économiques défavorables aux groupes sociaux les moins bien lotis de ces
mêmes pays.
Dès lors, des axes de réflexion sur la façon de parvenir à une plus
grande démocratisation culturelle pourraient porter sur les éléments
suivants : le renforcement de l’histoire des arts au profit de l’ensemble
des élèves, des efforts concertés pour le développement de l’éducation
artistique à l’échelle locale et – enfin – l’accentuation des moyens dévolus
par les équipements culturels en matière d’accueil, de diffusion et de
médiation. S’agissant plus spécifiquement du cas des États-Unis
d’Amérique se pose sans doute de surcroît la question de la nomination
d’un haut responsable fédéral pour la culture, capable d’intervenir en termes
d’accessibilité, de prospective, d’aménagement du territoire, de coordination
des actions, de régulation des industries culturelles et d’action
internationale.
Jean-Michel Tobelem,
Option Culture
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Pour citer cet article :
Jean-Michel Tobelem, « Démocratiser la culture. Le cas des États-Unis d’Amérique. Un contexte en évolution » in Démocratiser la culture. Une histoire comparée des politiques culturelles, sous la direction de Laurent Martin et Philippe Poirrier, Territoires contemporains, nouvelle série - 5 - mis en ligne le 18 avril 2013.
URL : http://tristan.u-bourgogne.fr/CGC/publications/Democratiser_culture/JM_Tobelem.html
Auteur : Jean-Michel Tobelem
Droits : © Tous droits réservés - Ce texte ne doit pas être reproduit (sauf pour usage strictement privé), traduit ou diffusé. Le principe de la courte citation doit être respecté.
ISSN : 1961-9944
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