20 octobre 2023 - uB - MSH de Dijon – 9 h 30 - 17 h 00
(accès/informations pratiques ici)
Journée jeunes chercheurs de la SFHPo : Les lieux de privation de liberté, des lieux politiques
Organisation : Léo Rosell et Jean Vigreux (LIR3S UMR 7366 CNRS-uB)
Présentation
L’étude des lieux du politique encouragée par la Société française
d’histoire politique invite à interroger un certain type d’espaces
éminemment politiques : les lieux de privation de liberté. Qu’il
s’agisse de prisons, de résidences surveillées, de camps d’internement
ou encore de bagnes, ces lieux constituent à la fois des outils de
répression politique, des lieux de construction politique mais aussi
des lieux de vie politiques, sur lesquels les participants à cette
journée d’étude sont invités à s’interroger.
L’emprisonnement des opposants, une stratégie politique
Instrument aux mains de l’État, les lieux de privation de liberté se
traduisent par des dispositions normatives et des pratiques concrètes de
surveillance, de contrôle et d’encadrement, à des fins répressives des
opposants politiques. Si la Bastille sous l’Ancien Régime symbolise à
elle seule dans l’imaginaire l’arbitraire du pouvoir, il faut
s’attarder à la fois sur la diversité des acteurs répressifs (justice,
police, armée) et sur la pluralité des motifs qui conduisent les
pouvoirs publics à créer des prisonniers politiques. Imposé pour des
raisons politiques, à l’issue d’une procédure potentiellement entachée
d'irrégularités, fondé sur des conditions de détention discriminatoires
et des atteintes aux libertés publiques, l’emprisonnement correspond à
une stratégie politique sans qu’elle ne soit toujours assumée par ses
instigateurs. Il permet de mesurer le seuil de tolérance fixé par les
autorités à l’égard de ses opposants, d’identifier comment la
perception de la menace varie dans le temps et conduit à des réponses
variées, qui ne sont ni fixes ni constantes selon les régimes et les
périodes étudiés. En contexte de guerre, le droit recule au profit de
procédures d’exception et d’internements de civils jugés politiquement
indésirables ou de nationalité ennemie (Farcy, 2014). Au nom des
impératifs de la défense nationale, la justice militaire étend ainsi
son rôle disciplinaire et exerce une autorité parfois brutale, à
l’exemple de l'arbitraire et de la violence ordinaire qui s’exercent
pendant les guerres de décolonisation (Thénault, 2001).
En réaction, les prisonniers et leurs soutiens construisent eux aussi
une stratégie politique à l’occasion de leur enfermement. C’est le cas,
par exemple, pour le Parti communiste français qui publicise le sort
des députés communistes en 1939-1943 et qui trouve dans l’arrestation
de certains de ses militants ou dirigeants dans les années 1950 (affaire
Duclos, A. Le Léap...) une ressource pour médiatiser des "arrestations
politiques", dénoncer la répression dont ils sont victimes et atteindre
ainsi le régime honni en dramatisant les enjeux. Partis et groupes
parlementaires, journalistes et avocats, comités et intellectuels, sont
autant d’acteurs qui, en dehors et en dedans, politisent au-delà des
cas particuliers et font des lieux de privation de liberté des lieux
politiques.
Ces politiques d’enfermement des opposants politiques sont aujourd’hui
un enjeu mémoriel (Ricordeau et Bugnon, 2018) Elles donnent lieu à une
concurrence entre groupes mémoriels, à des enjeux de reconnaissance,
de patrimonialisation et de mise en tourisme de lieux de privation de
liberté. Ce phénomène est à la fois extrêmement vaste et varié, et
jamais linéaire et neutre, que l’on pense, pour ne citer que quelques
exemples, à Dachau et Auschwitz, à la prison de Montluc à Lyon, au
bagne de Poulo Condor au Vietnam, ou encore à Robben Island, la prison
de Cape Town recensée au patrimoine mondial de l’Unesco pour son
témoignage de l'oppression et du racisme longtemps en vigueur en
Afrique du Sud.
Les lieux de privation de liberté, lieux de construction politique
Du point de vue de l’individu privé de sa liberté, l’espace de la réclusion
peut également constituer un lieu de construction politique. En plus de
constituer une étape de la vie militante, l’enfermement semble constituer un
moment privilégié pour la lecture d’ouvrages politiques, pour l’élaboration
d’une pensée politique, voire pour la rédaction de textes doctrinaux. La
tenue de correspondances, de “cahiers” ou de “carnets de prison” apparaît
même comme une pratique courante, voire convenue, de la détention
politique. S’y mêlent fréquemment des réflexions politiques alimentées par
des récits et anecdotes inspirés par le quotidien de la détention. Les
exemples de Louise Michel, Lénine, Gramsci ou encore Hitler sont ainsi
révélateurs du poids de l’expérience carcérale dans l’élaboration d’une
doctrine politique. De tels écrits peuvent d’ailleurs par la suite être
utilisés par l’ancien détenu lui-même, dans le cadre de stratégies
individuelles de légitimation politique.
Le processus de la politisation de détenus jusque-là peu formés
politiquement pourra également faire l’objet d’études de cas à hauteur
d’homme et de femme. De la simple prise de conscience politique à des
formes plus avancées de radicalisation, la découverte de la vie carcérale
peut ainsi participer à la construction politique d’individus, mis en marge
de la société par leur incarcération.
Les lieux de privation de liberté comme lieux de vie politiques
Les lieux de privation de liberté sont enfin des « laboratoires » où se
construisent les pensées et les pratiques politiques collectives. Ce sont
des espaces de rencontre de masse où la réflexion (réunions informelles,
circulations de tracts…) et d’éducation sont des éléments de sociabilité
majeure, comme en témoigne l’internement collectif des opposants au régime
de Vichy (Giraudier). On retrouve, par exemple, des cours organisés en
prison par les députés communistes entre 1939 et 1943.
La construction en miroir d’une altérité à travers le prisme
geôliers/détenus est également un vecteur important de la construction
d’identité politique, en contexte colonial notamment (Australie, Algérie…)
ou vis-à-vis des minorités politiques. C’est également un lieu de
fraternisation où les détenus vivent des expériences collectives qui sont
par la suite remobilisées dans les carrières politiques.
Enfin, ces espaces sont aussi des lieux de communications avec l’extérieur.
Les lieux d’enfermement sont parfois perméables (Herriot sort par exemple
de sa résidence surveillée avec la complaisance des gendarmes locaux
supposés le surveiller pour aller rencontrer des amis, dont d’anciens
collaborateurs politiques engagés dans la résistance) et permet aussi un
dialogue complexe.
Programme
9 h 30 – Accueil des participants
- 9 h 45 – Comité d’organisation : Mot d’accueil et
introduction
Écarter des opposants politiques en contexte de guerre
Présidence : Noëlline Castagnez, POLEN (université d’Orléans)
- 10 h 15 – Yann Sambuis, LARHRA (Université Lyon
2) :
De l’assignation à la déportation : réflexions sur les conditions de
détention d’Edouard Herriot sous Vichy
- 10 h 35 – Delphine Richard, LARHRA (Université de
Lyon 2) :
La vie politique des prisonniers de guerre français en captivité en Allemagne, 1940-1945
- 10 h 55 – Discussion
11 h 15 – Pause
- 11 h 30 – Léo Rosell, LIR3S
(Université de Bourgogne) et Florent Gouven, Centre
Norbert Elias (Université d’Avignon) :
Les députés du PCF privés de leur liberté (1939-1943) : la prison comme
lieu politique
- 11 h 55 – Discussion
Réprimer et enfermer en contexte de paix
Présidence : Christine Manigand, ICEE (Sorbonne Nouvelle)
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13 h 30 – Cyril Robelin (Université de Liège)
:
Le « zoo humain », instrument de la légitimation de la domination
politique et du génocide : l’exemple de l’exposition « les
Derniers Charrùas » en 1831-1832
- 13 h 50 – Éloise Dreure et Corentin Lahu, LIR3S (Université de
Bourgogne) :
« Allons tout va bien. Le ciel est clair, la vie est belle ». L'expérience carcérale des militants communistes détenus à la prison de Barberousse à Alger, dans les années 1920
- 14 h 15 – Maxime Launay, IRSEM :
La fin des bagnes et des prisons militaires dans les années 1968
- 14 h 35 – Discussion
14 h 55 – Pause
Marginaliser les vaincus
Présidence : Manuelle Peloille, 3L.AM (université d’Angers)
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15 h 10 – Antoine Limare, SIRICE (Sorbonne
Université´) :
« Dialogues de vaincus ». Les épurés face à leur situation politique à
la Libération
- 15 h 30 – Virginie Sudre, IHRIM (Université Lyon
3) :
Continuer à se battre malgré l’enfermement : l’action de Nicolas Sartorius comme exemple de l’opposition démocratique au régime franquiste (1962-1975)
- 15 h 50 – Jules Rodrigues, 3L.AM (Université
d’Angers) :
Objection de conscience et opposition au service militaire dans
l’Espagne des années 1990. La prison comme lieu de
résistance politique
- 16 h 10 – Discussion
- 16 h 30 – Conclusion par Gilles
Richard, Arènes (Université Rennes 2)
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