École des beaux-arts de Paris et en visioconférence - 14 rue Bonaparte, Bâtiment des Loges, salle 2B - le vendredi, 17 h. - 19 h.
Séminaire « “Et pour la petite histoire”. Théorie et pratique de l’anecdote en art
et histoire de l’art » (2023-2024)
Organisation : Déborah Laks (LIR3S UMR 7366 CNRS-uB) et Emmanuel Guy (historien de l’art et du design)
Entrée libre et gratuite en présentiel.
Inscription obligatoire auprès de l'organisation
pour les séances en visioconférence via Teams, ici
Présentation
Le plus souvent, l’attention est captée par des pas de
côté : dans le continuum d’un récit, la
cohérence d’une démarche, d’un discours, un
« récit bref d’un petit fait curieux »
fait événement, arrête le regard, surprend et stimule la
pensée. Les anecdotes fonctionnent comme une récréation
au cœur de l’étude car elles impliquent une rupture
dans les modalités de réflexion. À travers elles,
quelque chose vient à nous, nous interpelle par son
étrangeté, sa familiarité, son pittoresque, sans que
l’on doive s’appliquer à son étude. Comme le
punctum de Barthes qui qualifie la manière dont une image nous
point et finalement s’empare de nous en faisant vibrer des
échos intimes et souvent inconscients, une anecdote réussie
nous prend par la main pour nous entraîner à sa suite. Ce
format qui emprunte à la parabole représente aussi une forme
d’humilité de la pensée. Il s’agit en effet via
l’anecdote à la fois d’intéresser,
d'entraîner, donc de faciliter l’accès, et de proposer
non pas une démonstration, une pensée formée et dans une
certaine mesure fermée, mais bien
un point de départ, que chacun et chacune peut choisir de suivre
à son gré. Nous proposons de voir dans cette
générosité un véritable propos et finalement un
positionnement intellectuel à part entière.
On sait toutefois combien les rapports de la discipline historique avec
l’anecdote sont conflictuels. Si les vies de peintres de la
Renaissance et de l’époque classique étaient
émaillées de petits faits plus ou moins vrais sur les
artistes, histoire de l’art et histoire se sont construites comme
disciplines scientifiques contre ces pratiques narratives
jugées secondaires, peu fiables et souvent
stéréotypées. L’école des Annales, sans
délaisser systématiquement le genre biographique –
voire parfois en le renouvelant –, n’en a pas moins
mené une critique en règle des « plumitifs de
l’historiette », tandis que la sociologie, Pierre
Bourdieu en tête, a souvent dénoncé la douteuse
« illusion biographique ».
Pourtant, l’histoire littéraire et la théorie de
l’(auto)biographie ont établi de longue date que les
récits de vie – dont l’anecdote est un fragment
– sont des constructions fictionnelles, où la
réalité vécue est transformée, agencée et
remaniée ; et c’est précisément dans cet
écart, cette poétique, cette artificialité même,
que réside l’intérêt du genre. À condition,
bien sûr, d’envisager l’anecdote en rapport
étroit avec celui ou celle qui la raconte et la transmet, comme
discours situé et prise de position, dans le champ de forces
qu’est le champ de l’art.
Par ailleurs, il apparaît légitime de se demander dans quelle
mesure la répugnance épistémologique vis-à-vis de
l’anecdote participe – sans que ce soit nécessairement
son objectif – à nourrir l’idée qu’on
puisse « séparer l’homme de
l’artiste », avec les effets pervers que l’on
connaît, tant au sein de la discipline que du monde de l’art
et de ses institutions. Force est de constater que certains faits
hâtivement tenus pour anecdotiques – par exemple sur la vie
familiale, sentimentale ou sexuelle des personnes –, si
l’on veut bien les considérer comme révélateurs
d’une articulation de l’individuel et du social, peuvent
témoigner de phénomènes d’émancipations
individuelles et collectives ou de violences systémiques qui
existent et s’exercent dans le monde de l’art comme
ailleurs.
Enfin, dans nos pratiques d’enseignant·e·s, de
chercheur·e·s, de curateur·ice·s ou
d’artistes, le recours à l’anecdote est une ressource
souvent précieuse. Elle a ses vertus – pédagogiques,
heuristiques, persuasives, (ré)créatives. Elle participe de
logiques épistémologiques, didactiques ou poïetiques,
mais aussi de stratégies de captation de l’attention, de
récit de soi ou de storytelling. Elle peut être un outil pour
l’enseignant·e en passe de perdre l’attention de ses
élèves. C’est aussi bien souvent un point
d’entrée dans une nouvelle recherche. Pour l’artiste,
elle peut permettre d’éclairer l’élaboration ou
le sens d’une œuvre, à destination de critiques, de
marchands ou du public. Elle est tour à tour impulsion, media et
support de nos pratiques artistiques et scientifiques.
Ce séminaire propose donc de considérer l’histoire de
l’art à ses frontières intérieures, là
où elle entre en contact avec l’individu, et de
réfléchir à partir de la chair qui entoure la
pensée, lui donne sa forme et dans une certaine mesure sa saveur.
Il pourrait aussi être l’occasion d’aborder la
question de l’anecdote à travers les œuvres des
collections de l’École des Beaux-arts.
Les séances du séminaire
13 octobre
Louis-Antoine Mège, « Analytique, linguistique... anecdotique ? Un autre
regard sur la démarche conceptuelle d’Art & Language entre petite
histoire et histoire culturelle (1970-2000). »
Louis-Antoine Mège est doctorant en histoire de l’art contemporain à
Sorbonne-Université, sous la direction de Valérie Mavridorakis. À partir de
la notion de conversation, ses recherches portent plus particulièrement sur
les problématiques politiques et épistémologiques de leur pratique
artistique collaborative. Après avoir été assistant de recherche à la
documenta institut (Kassel), sous la direction de Felix Vogel, il est
actuellement boursier annuel au Centre allemand d’histoire de l’art
DFK-Paris.
24 novembre
Laetitia Paviani,« DEHORS, DÉTRITUS »
Lætitia Paviani est une autrice indépendante. Sa pratique de l'écriture,
liée à l'art dans sa méthodologie, prend la forme de fictions analytiques,
d’histoires, d’essais, souvent personnifiés ou dialogués. Elle est
régulièrement invitée à écrire dans des magazines, catalogues ou
monographies et à enseigner dans des écoles d’art lors de workshops. Son
écriture et les projets artistiques qui en découlent se développent aussi
beaucoup au sein de projets collectifs comme l’artist run space Treize, la
revue How to Become, l’espace Confort Mental.
15 décembre
Guillaume Calafat, «L'anecdote : objet ou outil de l'enquête historique ? »
Guillaume Calafat est maître de conférences en histoire moderne à
l'université Paris 1, membre junior de l'Institut Universitaire de France.
Il s'intéresse aux naufrages, à la captivité et aux frontières des droits
en Méditerranée.
19 janvier
Ethan Assouline et Lou Ferrand, « GOSSIP : sexe, vie quotidienne, amour, amitié, ville, embrouilles et rencontres dans la littérature expérimentale américaine »
Lou Ferrand est curatrice et autrice indépendante. Elle est diplômée du
Master 2 en études curatoriales « L’art contemporain et son exposition » de
Sorbonne Université (2019). Elle a récemment curaté des expositions et
événements à Treize, au DOC! et aux Beaux-Arts de Paris où elle était en
résidence en 2020-2021. Ses recherches portent notamment sur les liens entre
art contemporain, littérature expérimentale, et enjeux politiques. Elle
vient d’être lauréate de la bourse de recherche curatoriale Fluxus pour
partir à Londres collaborer avec l’artiste Penny Goring. Elle sera également
curatrice associée au CCA Berlin cet automne 2023 dans le cadre d’un
partenariat avec l’institut français d'Allemagne.
Ethan Assouline est né en 1994 à Paris où il vit et travaille. Sa pratique,
qui se déploie à travers la sculpture, l’installation, l’écriture,
l’édition, le dessin et l'organisation de moments collectifs autour de la
lecture et l'écriture tente de poser un regard critique sur la ville
moderne et son langage dans ses dimensions architecturales, économiques et
politiques. Il a exposé son travail, entre autres, au Crédac
(Ivry-sur-Seine), Macao (Milan), Forde (Genève), BQ Gallery (Berlin), La
Tôlerie (Clermont-Ferrand), Neuer Essener Kunstverein (Essen), Le Grand Café
(Saint-Nazaire)… Il est membre de Treize, structure associative de
production, d’exposition et d’édition.
9 février
Sophie Mendelsohn, « L’anecdote comme antidote : une approche psychanalytique des savoirs désinstitués »
Sophie Mendelsohn exerce la psychanalyse à Paris. Elle est à l’initiative du
Collectif de Pantin, qui réunit des psychanalystes, des psychologues, des
philosophes, psychiatres et anthropologues autour des questions de race et
du legs postcolonial. Elle a notamment publié des articles autour des
questions de genre, et deux livres avec Livio Boni :
La vie psychique du racisme. 1. L’empire du démenti,
à la Découverte en 2021;et très récemment :
Psychanalyse du reste du monde. Géo-histoire
d’une subversionégalement à la Découverte.
15 mars
Didier Semin, « L’anecdote contre le système »
Didier Semin a été conservateur successivement au musée des Sables
d’Olonne, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, puis au Mnam/Centre
Pompidou, jusqu’en 1998. Il a enseigné l’histoire de l’art aux Beaux-Arts de
Paris de 1998 à 2020.
5 avril
Catherine Gonnard, « Mais que font les femmes artistes quand elles ferment l’atelier à la nuit tombée dans les années 1920 ? »
Catherine Gonnard est chargée de mission documentaire à l’institut national
de l’audiovisuel. Elle a rédigé de nombreux articles pour des catalogues
d’exposition (Pionnières, NikideSaintPhalle,
Laure Albin Guillot, Charley Toorop…), pour le
Dictionnaire des cultures homosexuelles
(2001), le Dictionnairedescréatrices(2013)
ainsi que le Dictionnairedesféministes(2017).
Avec Elisabeth Lebovici, elle a publié
Femmes artistes/artistes femmes, Paris 1880 à nos jours
(2007) et des articles sur la culture visuelle lesbienne à la
télévision.
24 mai
Nicolas Adell, « La vie anecdotique. Perspectives anthropologiques »
Nicolas Adell enseigne l’anthropologie à l’université de Toulouse – Jean
Jaurès. Après des travaux consacrés aux communautés initiatiques de métiers
artisanaux, il a orienté ses recherches vers une anthropologie des
patrimoines, des savoirs et des savants (en dernier lieu:
La vie savante
, PUF, 2022). Il poursuit depuis quelques années le projet d'une
anthropologie des réflexivités dans le monde contemporain.
14 juin
Séance de clôture
|