École des beaux-arts de Paris et en visioconférence - 14 rue Bonaparte, Bâtiment des Loges, salle 2B - le vendredi, 17 h. - 19 h.
Séminaire « “Et pour la petite histoire”. Théorie et pratique de l’anecdote en art
et histoire de l’art » (2022-2023)
Organisation : Déborah Laks (LIR3S UMR 7366 CNRS-uB) et Emmanuel Guy (historien de l’art et du design)
Entrée libre et gratuite en présentiel.
Inscription obligatoire auprès de l'organisation
pour les séances en visioconférence via Teams, ici
Présentation
Le plus souvent, l’attention est captée par des pas de
côté : dans le continuum d’un récit, la
cohérence d’une démarche, d’un discours, un
« récit bref d’un petit fait curieux »
fait événement, arrête le regard, surprend et stimule la
pensée. Les anecdotes fonctionnent comme une récréation
au cœur de l’étude car elles impliquent une rupture
dans les modalités de réflexion. À travers elles,
quelque chose vient à nous, nous interpelle par son
étrangeté, sa familiarité, son pittoresque, sans que
l’on doive s’appliquer à son étude. Comme le
punctum de Barthes qui qualifie la manière dont une image nous
point et finalement s’empare de nous en faisant vibrer des
échos intimes et souvent inconscients, une anecdote réussie
nous prend par la main pour nous entraîner à sa suite. Ce
format qui emprunte à la parabole représente aussi une forme
d’humilité de la pensée. Il s’agit en effet via
l’anecdote à la fois d’intéresser,
d'entraîner, donc de faciliter l’accès, et de proposer
non pas une démonstration, une pensée formée et dans une
certaine mesure fermée, mais bien
un point de départ, que chacun et chacune peut choisir de suivre
à son gré. Nous proposons de voir dans cette
générosité un véritable propos et finalement un
positionnement intellectuel à part entière.
On sait toutefois combien les rapports de la discipline historique avec
l’anecdote sont conflictuels. Si les vies de peintres de la
Renaissance et de l’époque classique étaient
émaillées de petits faits plus ou moins vrais sur les
artistes, histoire de l’art et histoire se sont construites comme
disciplines scientifiques contre ces pratiques narratives
jugées secondaires, peu fiables et souvent
stéréotypées. L’école des Annales, sans
délaisser systématiquement le genre biographique –
voire parfois en le renouvelant –, n’en a pas moins
mené une critique en règle des « plumitifs de
l’historiette », tandis que la sociologie, Pierre
Bourdieu en tête, a souvent dénoncé la douteuse
« illusion biographique ».
Pourtant, l’histoire littéraire et la théorie de
l’(auto)biographie ont établi de longue date que les
récits de vie – dont l’anecdote est un fragment
– sont des constructions fictionnelles, où la
réalité vécue est transformée, agencée et
remaniée ; et c’est précisément dans cet
écart, cette poétique, cette artificialité même,
que réside l’intérêt du genre. À condition,
bien sûr, d’envisager l’anecdote en rapport
étroit avec celui ou celle qui la raconte et la transmet, comme
discours situé et prise de position, dans le champ de forces
qu’est le champ de l’art.
Par ailleurs, il apparaît légitime de se demander dans quelle
mesure la répugnance épistémologique vis-à-vis de
l’anecdote participe – sans que ce soit nécessairement
son objectif – à nourrir l’idée qu’on
puisse « séparer l’homme de
l’artiste », avec les effets pervers que l’on
connaît, tant au sein de la discipline que du monde de l’art
et de ses institutions. Force est de constater que certains faits
hâtivement tenus pour anecdotiques – par exemple sur la vie
familiale, sentimentale ou sexuelle des personnes –, si
l’on veut bien les considérer comme révélateurs
d’une articulation de l’individuel et du social, peuvent
témoigner de phénomènes d’émancipations
individuelles et collectives ou de violences systémiques qui
existent et s’exercent dans le monde de l’art comme
ailleurs.
Enfin, dans nos pratiques d’enseignant·e·s, de
chercheur·e·s, de curateur·ice·s ou
d’artistes, le recours à l’anecdote est une ressource
souvent précieuse. Elle a ses vertus – pédagogiques,
heuristiques, persuasives, (ré)créatives. Elle participe de
logiques épistémologiques, didactiques ou poïetiques,
mais aussi de stratégies de captation de l’attention, de
récit de soi ou de storytelling. Elle peut être un outil pour
l’enseignant·e en passe de perdre l’attention de ses
élèves. C’est aussi bien souvent un point
d’entrée dans une nouvelle recherche. Pour l’artiste,
elle peut permettre d’éclairer l’élaboration ou
le sens d’une œuvre, à destination de critiques, de
marchands ou du public. Elle est tour à tour impulsion, media et
support de nos pratiques artistiques et scientifiques.
Ce séminaire propose donc de considérer l’histoire de
l’art à ses frontières intérieures, là
où elle entre en contact avec l’individu, et de
réfléchir à partir de la chair qui entoure la
pensée, lui donne sa forme et dans une certaine mesure sa saveur.
Il pourrait aussi être l’occasion d’aborder la
question de l’anecdote à travers les œuvres des
collections de l’École des Beaux-arts.
Les séances du séminaire
25 novembre 2022
Séance d’introduction,
par Emmanuel Guy et Déborah Laks
16 décembre 2022
Pour une pratique anecdotique de la critique d’art,
par Camille Paulhan
27 janvier 2023
Raconter des histoires, penser avec l’anecdote,
par Clara Schulmann
17 février 2023
L’anecdote comme geste. Pratiques artistiques et histoires de l’art,
par Baptiste Brun
17 mars 2023
Pédagogie et post-punk : histoires alternatives de l’école d’art,
par Gavin Butt, James Horton et Gallien Déjean
14 avril 2023
La vie anecdotique de Jean Auguste Dominique Ingres. Deux ou trois motifs biographiques, leurs contempteurs et leurs interprètes modernes,
par François-René Martin et
Exposer l’anecdote : l’exemple de l’exposition consacrée à l’histoire de l’école des beaux-arts,
par Alice Thomine-Berrada
12 mai 2023
Anecdotes d'atelier : Comment saisir la délégation du travail artistique ?,
par Thibaut Menoux
23 juin 2023
Entretiens et anecdotes : facéties du récit et vertus de l’oralité,
par Clélia Barbut
|