14 octobre 2021 - uB – 2 bd Gabriel – Salle 319 (3e étage du bâtiment droit) de 9 h 30 à 17 h 00 (accès/informations pratiques ici)


Transversales : Journée d'étude doctorale du LIR3S :
De quoi l’héritage est-il le nom ?

Organisation : Gaëtan Mangin (doctorant en sociologie, LIR3S UMR CNRS uB 7366) et Charly Dumont (doctorant en sociologie, LIR3S UMR CNRS uB 7366)

 

Invité : Jean-Christophe Marcel (professeur de sociologie, LIR3S UMR CNRS uB 7366)

 

 


 

Présentation

La notion d’héritage a ceci de spécifique qu’elle désigne tout à la fois un mode de transmission par voie de succession (transmettre « en » héritage) et l’objet, matériel ou non, qui se trouve au cœur de cette transaction (transmettre « un » héritage). Qu’on l’appréhende au travers de l’une ou l’autre de ces acceptions, il représente un opérateur de continuité entre le passé et le présent (Gotman, 2006) au sein duquel se construisent et s’appréhendent les temps à venir. L’héritage porte en lui le poids de l’histoire collective mais aussi la somme de ce qui est acquis, appris et intériorisé par les individus et qui façonnent leurs manières d’agir, de penser et de sentir le monde. La notion demeure toutefois polysémique : culturel, social, patrimonial ou encore idéologique, l’héritage désigne un ensemble hétérogène d’objets, d’idées, de valeurs ou encore de concepts. Ces derniers peuvent en outre prendre sens à des degrés divers, de la plus complexe individualité à la plus englobante totalité du vivant.

l y a près d’un siècle, Émile Durkheim mettait en lumière un immense paradoxe : à son paroxysme, l’idéologie de la propriété individuelle supposerait que le patrimoine d’un individu ne soit que le fruit de son propre labeur, or, dans les faits, cette organisation sociale repose sur la propriété héritée, produit d’une œuvre collective appropriée par un seul individu (Durkheim, 1928). Dans un monde aujourd’hui marqué par le culte de la performance (Ehrenberg, 1991) et l’injonction à l’aboutissement de soi, une société au sein de laquelle chaque individu devient sa propre petite entreprise et se doit de parvenir par lui-même à se réaliser à travers de multiples facettes que recouvre son existence, l’héritage de capitaux économiques demeure le facteur le plus puissant d’inégalités sociales. Dans un contexte d’accroissement des inégalités (Piketty, 2013) au point que pour devenir riche il est aujourd’hui indispensable « d’hériter » (Frémeaux, 2018), nous pourrions nous demander si la réalisation de l’idéal démocratique suppose l’abolition de l’héritage. Il nous semble tout aussi attrayant de tenter d’expliquer, au-delà des stratégies de reproductions de quelques-uns, l’impopularité de cette proposition.

Dans une autre perspective, les travaux de Pierre Bourdieu dans le Béarn montrent à quel point l’injonction à perpétuer l’héritage peut présider les stratégies matrimoniales (Bourdieu, 2002). En ce sens, nous pourrions également chercher à saisir les marges de manœuvre possibles dans la négociation d’un héritage afin de saisir ses dimensions habilitantes, valorisantes ou au contraire coercitives. Cette perspective peut notamment nous inviter à expliciter les obligations de rendre auxquelles s’expose celui qui reçoit (Mauss, 1950) et à poser la question de savoir s’il est possible de se défaire de son héritage et à quel prix.

Lorsqu’il est collectif, l’héritage se rapproche d’un patrimoine dont la préservation relève du produit de l’histoire autant qu’il participe de son écriture. Ces différentes narrations induisent notamment des relations spécifiques aux objets patrimoniaux qu’elles valorisent (Boltanski, Esquerre, 2017) au point, parfois, de les sacraliser (Lahire, 2015). Mais plutôt que d’être systématiquement la propriété de tous, cet héritage peut circonscrire une identité communautaire ou devenir le porte-parole d’un roman national (en attestent notamment les manifestations d’émotion suite à l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris). La notion de commun sous-tend, elle, l’idée d’un héritage universel et hors-propriété dont il faudrait garantir le libre accès à tous (Dardot, Laval, 2014). Partant de ces différentes approches, il nous semble intéressant d’expliciter les différentes conceptions de l’héritage que la notion de patrimoine tend à subsumer. Dans une société d’individus, où tout-un-chacun est enclin à produire sa propre identité narrative (Ricœur, 1983), il semble tout à fait stimulant de penser le rôle des différents récits collectifs. En outre, il pourrait être bienvenu d’aborder la manière dont les humains se questionnent à ce jour sur le milieu de vie bouleversé dont ils héritent, produit de deux siècles de productivisme, et ce qu’ils comptent léguer aux générations futures.

Les avancées de la génétique permettent aujourd’hui de manipuler l’ADN au point qu’il soit devenu possible de créer des « bébés à la carte ». Cette intervention au sein de ce qui semblait être jusqu’alors le plus immuable des héritages remet en question l’idée même de la filiation biologique, ce qui n’est pas sans soulever d’importants questionnements éthiques. Plus largement, cet exemple permet de révéler les enjeux éthiques, moraux et sociaux dans le choix de ce qu’on lègue.

Enfin, la filiation peut également se comprendre dans son sens idéel. Le savant, le politicien ou encore le militant s’engagent généralement dans une ou plusieurs traditions de pensée, reçoivent et perpétuent un héritage littéraire, scientifique idéologique ou encore philosophique. Il en est particulièrement ainsi du sociologue qui poursuit son chemin vers la déconstruction de tout essentialisme, dont le travail consiste à lutter contre l’amnésie de la genèse (Bourdieu, 1972) qui nous enclin à naturaliser le produit de l’histoire. Nous pourrons ainsi nous pencher sur les spécificités d’un tel héritage et ce que signifie cette dimension du travail intellectuel qui nous incline à « penser avec » et « penser contre » (Noiriel, 2003).

L’objectif de cette journée d’étude est d’ouvrir une discussion, la plus large possible, autour des différentes acceptions de la notion d’héritage pour laquelle nous venons de nous livrer à une exploration sommaire et loin d’être exhaustive. Les propositions de communication devront apporter leur pierre à l’édifice de la clarification de cette notion à partir d’apports de terrain et/ou de réflexions théoriques. Les contributions de l’ensemble des disciplines des sciences humaines et sociales seront les bienvenues.

 


Programme

 

Matin

 

9 h 30 – Accueil des participants


  • 10 h 00 – Gaëtan Mangin (doctorant en sociologie, LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    Introduction


  • 10 h 30 – Julien Le Hoangan (doctorant en sociologie, Laboratoire C3S) :
    Sens et pratiques de l’héritage en contexte diasporique

Pour beaucoup de familles réfugiées, l’immigration est synonyme d’abandon ou de perte totale d’un capital foncier, financier (pour organiser la fuite), du patrimoine familial jusqu’aux photos de famille pouvant être compromettantes politiquement. Souvent, ce déracinement précède un déclassement social plus ou moins brutal et là encore, le capital social et culturel semble perdu. Dans un contexte diasporique qui se crée au fil du temps, les premières générations tentent de reconstruire un capital économique qui sera la condition nécessaire pour que les générations suivantes, elles, puissent développer un capital social et culturel dans le pays d’accueil.
Notre étude de cas nous montre comment les jeunes d’origine vietnamienne, faisant face à cette rupture dans la transmission du patrimoine matériel et immatériel, expliquent leurs décisions, parcours et quelles actions ils entreprennent pour reconstituer cet héritage à la fois génétique-ethnique, familial et collectif, culturel. L’observation participante et les entretiens menés nous montrent comment ces individus collectent des informations, retrouvent des proches, réhabilitent des monuments funéraires ou cherchent à reconquérir des biens immobiliers pour donner sens à leur héritage. Ces récits nous éclairent sur les concepts d’héritage et de transmission comme ensemble de pratiques diverses à mettre en œuvre, à vivre activement ; et dont la fonction, particulièrement importante en contexte diasporique, est de garantir l’unité de la famille et l’identité de l’individu par la double différenciation culturelle et sociale.

 

  • 11 h 00 – Jérémy Sauvineau (doctorant en anthropologie, LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    Offrir un propre à la mise en commun. Les cuisinier.ère.s exilé.e.s syrien.ne.s en France

Le soulèvement du peuple syrien à partir de l’année 2011 et la dure répression qui l’a touché ont entrainé des mouvements massifs de population, qui se sont accélérés à partir de l’année 2015, vers les pays frontaliers de la Syrie (Turquie, Jordanie...), ou, dans une moindre mesure, vers le continent européen (en majorité vers l’Allemagne).
L’arrivée de la diaspora syrienne en France n’a pas été sans poser son lot de questions, notamment en ce que la découverte de l’étrangéité de l’étranger.e va être un choc autant pour l’autochtone que pour l’exilé.e (Stavo-Debauge, 2009). Faisant le constat de deux mondes différents et quasiment impénétrables (les « français.es » et les « syrien.ne.s »), les exilé.e.s syrien.ne.s semblent avoir trouvé dans leur patrimoine culinaire l’outil d’une mise en commun avec les « français.es » (au double sens de « communauté » et de « communication »). L’ouverture de restaurants et la tenue de multiples ateliers-cuisine sont alors perçues comme des moyens de jeter des ponts entre les uns et les autres, de « faire communauté », et de raconter une histoire commune (le protéiforme patrimoine syrien) par le truchement de la nourriture.
Comment la communauté va-t-elle s’ouvrir pour laisser l’étranger s’approprier le commun et y verser sa contribution (son « patrimoine ») ? Qu’est-ce que l’étranger va-t-il proposer au commun ? Comment ces compositions vont-elles se dérouler ? Le propos s’appuie sur un travail doctoral en cours portant sur les prises offertes par ce que nous appelons les « attachements patrimoniaux » des immigré.e.s et des réfugié.e.s (dont la cuisine). Le matériau ethnographique mobilisé plus spécifiquement est celui d’observations participantes et des entretiens menés dans les restaurants et épiceries alimentaires syriennes et dans des ateliers-cuisine avec des immigré.e.s, débouchant parfois sur la publication de livres de recettes.

 

  • 11 h 45 – Raphaël Salvi ( doctorant en histoire contemporaine, Centre Lucien Febvre EA 2273) :
    Les appellations d’origine en héritage, une AOC se transmet-elle ? Étude et réflexion dans le cas des appellations fromagères franc-comtoises

Le souhait de cette communication est d’étudier la notion d’héritage des AOC, de s’interroger sur la transmission d’un bien collectif et immatériel, et donc aussi sur la possession de ce label de qualité. Le terroir, qui est la conjugaison d’un territoire et d’un savoir-faire modulant et valorisant le premier, est indissociable de la définition des Appellations d’origines contrôlées. C’est à travers ce concept qu’on voit que la propriété comme la transmission d’une AOC ne peuvent pas s’inscrire dans un schéma privatif classique. Chaque membre participant à sa création est propriétaire au même titre que les autres, et les syndicats de gestion, bien que garants de l’intégrité de la marque et de la ligne de conduite de l’appellation, n’en sont pas pour autant propriétaires. C’est en s’appuyant sur des auteurs ayant travaillé sur ces notions (M. Vernus, P. Jeanneaux, A. Mélo, J.-C. Mayaud, S. Cartier, L. Bérard, P. Marchenay.) que je me propose d’approfondir ces éléments.
La transmission de l’appellation semble ainsi se faire par l’adhésion à ses caractéristiques, à ses valeurs et à son histoire, mais aussi par un sentiment d’appartenance collective. En revanche, on peut dans un second temps essayer de dissocier les éléments productifs conduisant à l’élaboration du produit labellisé et étudier leur passation. Agriculteurs, fromagers et affineurs composent ainsi collectivement les appellations, et transmettent leurs outils de productions et leurs savoirs. Afin d’étudier ces éléments, on pense évidemment au travail de Dominique Jacques-Jouvenot, qui a beaucoup étudié la problématique de l’héritage dans le monde agricole. Mais aussi à Claire Delfosse sur l’histoire de la production fromagère ou encore Sylvie Guigon sur la transmission des savoir-faire fromagers. Il sera peut-être délicat d’obtenir des informations auprès des entreprises privées (coopératives et affineurs), mais les auteurs mobilisés permettront, même dans ce cas, d’apporter des éléments de réponse.

 

  • 12 h 15 – Discussion

 

 


  • 14 h 00 – Jean-Christophe Marcel (professeur de sociologie, LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    Introduction

 

  • 14 h 30 – Gaëtan Mangin (doctorant en sociologie, LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    Auto biographique. Quand la voiture ancienne permet de se reconstruire

À l’heure où l’objet automobile subit de profondes mutations (technologiques, sécuritaires, écologiques, etc.) et apparaissent les premières préfigurations d’un monde de l’après-voiture, nous proposons un détour ethnographique par la possession de véhicules de plus de 20 ans. À partir d’une enquête micro-sociologique par entretiens biographiques, nous tenterons de comprendre les ressorts de la possession de ces objets lorsqu’ils sont acquis et/ou conservés en tant qu’objet-souvenirs. En situant notre attention sur les histoires personnelles et romans familiaux, nous nous intéresserons particulièrement à la place de cet objet dans la nécessaire quête de sens de l’individu contemporain. À partir de deux études de cas distinctes et comparées, nous tenterons alors de comprendre le potentiel habilitant d’un tel objet, dont la fonction première de mobilité spatiale s’efface au profit d’aller-retours entre une histoire retravaillée, un travail biographique en train de se faire et un avenir soutenable.

 

  • 15 h 00 – Charly Dumont (doctorant en sociologie, LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    Comment hériter d’Ellul en sociologue ?

Libertaire, théologien, penseur militant, opposant à l’idéologie du progrès et technocritique, Jacques Ellul marque ses contemporains par ses écrits parfois jugés pessimistes, mais toujours vivement discutés. Régulièrement questionné pour ses prises de positions pamphlétaires, refusant de dissocier ses pratiques scientifiques et éthiques, l’auteur lègue néanmoins une pensée pertinente pour aborder la question des techniques. Ses analyses du fait Technique occupent une place non négligeable dans le champ intellectuel intéressé et ses démonstrations permettent de pointer des faits sociaux majeurs qui ont toujours cours au XXIe siècle.
La démarche dans laquelle il faut s’inscrire pour hériter des concepts elluliens doit être explicitée. La filiation intellectuelle est aussi un travail méthodologique important, dont les réflexions sont trop peu souvent évoquées en sociologie. Nous proposons de rendre visible et d’esquisser différents liens possibles entre les écrits d’un auteur singulier et notre travail de thèse. Sans prendre pour argent comptant mais sans discréditer a priori l’auteur, il existe plusieurs chemins par lesquels il est possible de prendre appui sur ses écrits. Après avoir montré les parallèles entre l’œuvre de Jacques Ellul et la pratique sociologique, nous proposerons une lecture pragmatiste de ses notions.

 

  • 15 h 45 – Benoît Sibille – (doctorant en philosophie, Institut Catholique de Paris) :
    Marx, l’héritage et la poésie de l’avenir

Marx met en garde contre les « spectres » qui, venus du passé, écrasent le présent et l’avenir sous leur poids. Le malheur est en effet qu’au moment de « créer quelque chose de tout à fait nouveau » les hommes se mettent à invoquer « craintivement les esprits du passé » pour emprunter « leurs noms, leurs mots d’ordres, leurs costumes », rejouant ainsi des scènes déjà jouées.
Pourtant, le communisme lui-même est présenté par Marx, en ouverture du Manifeste du parti communisme, comme un « spectre » hantant l’Europe. Ainsi, si la spectralité est bien la modalité par laquelle une potentialité du passé nous hante, il faut conclure qu’il doit bien exister aussi, dans « l’héritage du passé », la possibilité d’une nouveauté révolutionnaire.
Notre hypothèse de travail sera en effet que si, pour Marx, « la révolution sociale du XIXe siècle ne peut tirer sa poésie du passé, mais seulement de l’avenir » cela n’est aucunement par une table rase du passé – pour la simple raison que les hommes ne font jamais leur histoire ex-nihilo, mais toujours « dans des conditions directement données et hérités du passé » – mais au contraire par un rapport original à celui-ci, une nécromancie faisant parler les morts tout autant pour se libérer de leur poids que pour ressusciter en eux « l’esprit de la révolution ». Quittant ainsi les lectures historiques mécanistes (qu’elles fassent de l’histoire le procès continue vers le mieux ou la fatalité du pire), Marx pourrait ouvrir la voie à une lecture de l’histoire faisant de l’héritage le lieu même du dévoilement d’une nouveauté radicale possible, de ce que W. Benjamin appellera « l’à présent qui arrache au continuum de l’histoire ».

 

  • 16 h 15 – Discussion

  • 16 h 30 – Charly Dumont (doctorant en sociologie, LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    Conclusion

 

 

Entrée libre et gratuite,
sur présentation du pass sanitaire


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Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
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