10 juin 2021 - uB – Forum des savoirs de la MSH de Dijon
de 10 h 30 - 17 h 00 (accès/informations pratiques ici)


Transversales : Journée d'étude doctorale du LIR3S :
Violence et transitions : ruptures ou continuités ?

Organisation : Harmonie Mariette (doctorante en histoire contemporaine, LIR3S UMR 7366 CNRS-uBFC) et Víctor Aparicio Rodríguez (doctorant en histoire contemporaine, Université du Pays Basque (UPV/EHU))

 


Invitée : Sophie Baby  (MCF en histoire contemporaine, LIR3S UMR 7366 CNRS-uBFC)

 


 

Interventions en écoute ici

 


 

 

Présentation

Norbert Elias disait il y a près d’un siècle que l’une des caractéristiques de l’ère contemporaine (la modernité) était l’expansion de la rationalité de l’individu et de la maîtrise psychogénétique de soi (auto-contrainte) sur certaines coutumes et comportements, certaines passions et émotions. En complétant la théorie wébérienne du monopole de la violence par l’État, Elias décrit un processus (celui de la civilisation) qui se développe parallèlement à l’antérieur, au travers duquel se transforme l’habitus des individus, leur vie quotidienne la plus intime, et qui réprime les pulsions les plus violentes et agressives. Ainsi, plus une société est intégrée, interdépendante, cohésive et centralisée, plus grande est le contrôle de soi de l’individu et plus réduits les niveaux de violence. Pour Walter Benjamin, qui était contemporain d’Elias, « toute violence est, en tant que moyen, soit fondatrice, soit conservatrice de droite. Lorsqu’elle ne prétend à aucun de ces deux attributs, elle renonce d’elle-même à toute validité ».

Ce sont là deux manières de comprendre la modernité et la violence, d’un point de vue social et d’un point de vue politique. La complexité de cette question a attiré l’intérêt des nombreuses disciplines du domaine social. Sociologues, politologues, philosophes, juristes, anthropologues, psychologues, historiens, etc., tous ont abordé la problématique de la violence. Certains, comme Charles Tilly, ont affirmé que « les caractéristiques de la violence collective constituent, à un moment donné, l’un des meilleurs indicateurs de l’état de la vie politique d’une société. La nature de la violence et la nature de la société sont intimement liées ». En raison de l’importance particulière que la violence politique a eu dans l’histoire récente, nous avons l’intention d’aborder avec une attention spéciale ce phénomène concret et comment les différentes disciplines s’en sont approchées. Quels problèmes épistémologiques soulève-t-il pour chacune d’elles ? Quelles sont les approches méthodologiques utilisées pour faire face au phénomène ? Sur quelles dimensions de la violence politique les différents domaines de recherche ont-ils plus dirigé leur analyse ?

L’énorme importance que la violence politique a eu pour les sociétés contemporaines, dont beaucoup ont souffert dans certaines de ses expressions – guerres civiles, guerres mondiales, génocides, dictatures, répression, révolutions, terrorisme, etc. –, nous offre un large éventail de possibilités pour des études de cas spécifiques. Pour finir, il est également pertinent de réfléchir sur les transformations qualitatives que ce phénomène peut connaître à l’heure actuelle ; par exemple, dans quelle mesure pouvons-nous accepter comme valables aujourd’hui les approches d’Elias ou de Benjamin, expliquées ci-dessus ? Comment adapter les approches théoriques classiques de la violence à une situation comme l’actuelle, marquée par le « paradigme postmoderne », dans lequel le monde fonctionne avec des logiques différentes de celles du siècle antérieur ? Si le XXsiècle a été le plus violent de l’histoire de l’humanité, comment la violence politique peut-elle influencer le siècle actuel ?

Par ailleurs, nous souhaitons réfléchir à un autre concept fondamental pour les sciences sociales : la transition.  Qu’est-ce que l’on entend par « transition » ? On peut faire référence à de multiples phénomènes et processus historiques et sociaux. Le passage du féodalisme au système économique capitaliste et, en conséquence, les différentes transitions dans les modèles de relations de travail, les modèles associatifs de la classe ouvrière, le passage de la « classe en soi » à la « classe pour soi » (Marx), la conformation de la classe au travers de l’expérience (Thompson), ou d’autres transformations qui se déroulent à l’intérieur des organisations et cultures politiques. On peut parler aussi des différentes vagues de transitions à la démocratie pendant les XIXe et XXe siècles. « Transition » peut également faire référence à l’un des défis les plus immédiats auxquels les sociétés contemporaines doivent faire face, c’est à dire, la transition écologique – une transformation en profondeur des modèles de production et de consommation, tout en s’adaptant aux conditions matérielles et aux ressources limitées de la planète Terre. On peut aussi évoquer la transition technologique, l’assimilation par la société des changements engendrés par la troisième révolution industrielle ; et même les effets de l’éventuelle quatrième révolution industrielle, la révolution du « big-data », de l’Internet, du cyber-monde et de certains des défis que cela implique (par exemple le transhumanisme).

 


Programme

 

10 h 00 – Accueil des participants


  • 10 h 30 – Sophie Baby (maîtresse de conférences  en histoire contemporaine , LIR3S UMR 7366 CNRS-uBFC) :
    Présentation de la séance


  • 11 h 00 – Emma Sutcliffe (doctorante contractuelle en histoire de l’art, LIR3S UMR 7366 CNRS-uBFC) :
    Représenter la violence par la transition : « La mort de César » de Jean-Léon Gérôme (1867)

Cette communication se propose d’envisager le thème « Violence et transitions : ruptures ou continuités ? » du point de vue de sa représentation. À travers l’analyse du tableau La mort de César, peint par l’académicien Jean-Léon Gérôme (1824-1904) et présenté lors de l’Exposition universelle de 1867 – il s’agira de s’interroger sur la puissance de la suggestion face à celle de la démonstration, à une époque où les notions de décence et de retenue, d’autorégulation et de maîtrise de soi, forment des principes inhérents à la théorie des arts. Entre violence d’État et violence privée, conservatrice et fondatrice, individuelle et collective, interne et externe, le sujet de cette œuvre porte également en son cœur la question de la transition politique – celle de la République à l’Empire (- 44 av. J.-C.), mais également, celle de l’Empire à la République (1870) – et du paradoxe de sa figuration en une image fixe. Paradoxe que nous nous proposerons également d’ériger en véritable concept de la modernité.


– Pause –

  • 11 h 30 – Godefroid Nzila (doctorant en philosophie, LIR3S UMR 7366 CNRS-uBFC) :
    L’héritage de la violence fondatrice selon Paul Ricœur et les justificatifs de la violence sociale : cas de la République démocratique du Congo

« Ce que je viens d’appeler l’héritage de la violence fondatrice :
c’est un fait qu’il n’existe pas de communauté historique qui ne soit née d’un rapport qu’on peut dire originel à la guerre. Ce que nous célébrons sous le titre d’événements fondateurs,
ce sont pour l’essentiel des actes violents légitimés après coup par un État de droit précaire.»
Paul Ricœur, Politique, Economie et SociétésEcrits et conférences,
Paris, Seuil, 2019.

En effet, les actes violents, la montée de la violence, les manifestations dans la rue, l’infiltration des casseurs qui ont pour objectif de détruire et saboter les biens publics dans des manifestations s’observent même dans des États dits démocratiques, et, sont devenus monnaie courante dans des grandes villes occidentales, une façon pour eux de se faire justice, de venger les injustices sociales et de réclamer leurs droits. De même, à regarder de près la réalité des violences qui caractérisent et accompagnent la vie politique au Congo, force est de soutenir Paul Ricœur qui place l’héritage de violence fondatrice dans l’État. Car, comme il le fait remarquer, même dans les États dits de droit, les cicatrices ou marques de la violence sont encore lisibles.

Par ailleurs, à en croire René Girard, l’ordre du monde est régulé par la quête inassouvie de chacun pour ce que possède l’autre. Or, ce que je convoite est précisément l’objet du désir d’autrui et que son caractère convoitable provient justement de sa dimension désirée. […] Toute mimesis portant sur le désir débouche automatiquement sur le conflit. La quête de la convoitise de l’autre, inévitablement reproduite par ma propre concupiscence, favorisera un cycle sans fin de violences entre les hommes ou les sociétés. Dans cette perspective, les droits convoités, violentés, violés et empêchés entravent le droit à jouir normalement de la vie, comment ne pas comprendre que chaque violence entraîne un cycle de vengeance ? Par conséquent, le peuple congolais devient la victime « sacrificielle » des violences des maux des hommes politiques. Car, « quand les éléphants se battent, ce sont les herbes qui empathisent », dit-on. Par ailleurs, si chacun doit se penser comme un « ayant-droit », dans la logique mimétique, cela ouvre le champ de la violence dès lors que la non-obtention d’un bien ou d’un statut va être vécue comme un obstacle volontaire à cette exigence d’égalité. Bref, le manque, l’insatisfaction, la misère, le désir, les inégalités sociales poussent facilement à la violence.

Somme toute, qu’il s’agisse de la violence de l’État, de la violence individuelle, collective ou inter-individuelle, la préoccupation majeure qui traverse en fil rouge notre réflexion resterait celle de comprendre comment les violences des guerres, des massacres, des pillages, des violences légitimes et gratuites de l’État, violences des contestations sociales de la mauvaise gouvernance ou de la dictature, violences liées à la précarité de la vie fragilisent le tissu social en RDC, ce qui met en péril la paix et le développement du peuple. Car, peu importe sa forme, la nature d’une violence se veut la négation du politique, entendu ici comme l’art civil du vivre-ensemble, dans le refus de la parole auquel on substitue la force pour se faire entendre, se faire justice ou convaincre l’autre.

  • 12 h 00 – Bertrand Kaczmarek (doctorant en philosophie, LIR3S UMR 7366 CNRS-uBFC) :
    La prison comme exclusion du conflit et instauration de la violence

L’institution pénitentiaire n’a eu de cesse, depuis la deuxième moitié du XXe siècle, de revendiquer son renoncement à la violence physique intentionnelle. C’est uniquement par la privation de la liberté que la peine se doit désormais d’être pénible, les corps des détenus et des surveillants ne devant plus entrer en contact (fin du caractère systématique des fouilles à nu, spécialisation de quelques agents dans le maintien de l’ordre pour que les autres n’aient plus à « mettre la main » sur ceux qu’ils gardent, etc.). Cependant, cette violence n’a pas disparu, et, aux dires de l’institution et de ceux qui sont enfermés, elle est même en train d’augmenter.

Je souhaiterais dans cette communication proposer une hypothèse qui permette de rendre compte de cette « obligation de la violence » (A. Chauvenet, 2006), en m’appuyant notamment sur la « doctrine » (selon la terminologie officielle de l’administration pénitentiaire qui désigne par là les principes qui doivent gouverner l’action des agents) et la pratique des Unités pour détenus violents, instituées récemment : la prison refusant d’instituer tout espace de conflit, ne peut qu’être le lieu de la violence. Ce refus du conflit tient au fait que l’institution verrait en ce dernier une remise en cause de la légitimité de la peine. Dès lors, la violence est comprise exclusivement comme un caractère individuel dont on peut et dont on doit se défaire, en réfutant toute appréhension d’une dimension institutionnelle ou collective.

  • 12 h 30 – Discussion

 

 

 

  • 14 h 00 – Harmonie Mariette (doctorante en histoire contemporaine, LIR3S UMR 7366 CNRS-uBFC) :
    Transition démocratique et violence politique : l’exemple des Comités départementaux de Libération en Bourgogne-Franche-Comté, 1944-1946

Les Comités départementaux de la Libération sont des organisations issues de la Résistance, créés dans la clandestinité, dès 1943, sous l’impulsion du Conseil national de la Résistance. Le but de ces comités était multiple : participer à l’insurrection et la libération des territoires, procéder à l’épuration de la société et l’arrestation des collaborateurs, et enfin restaurer la vie démocratique notamment à travers le renouvellement du personnel politique local (municipalités et Conseil général, actuel Conseil départemental). Les comités travaillent en étroite collaboration avec les Préfets, dans un rôle qui se veut avant tout consultatif.

Les comités se situent clairement dans une phase de transition politique et participent activement au rétablissement de la légalité républicaine, après les quatre années de l’occupation. Ces années participent d’une violence politique intense, par le régime collaborationniste de Vichy, la présence et les pratiques de la force d’occupation allemande. La volonté de rupture politique, sociale et économique avec le régime de Vichy est très nette pour les comités, souhaitant insuffler un renouveau démocratique et républicain à tous les niveaux de la société. Mais l’étude précise de ces comités, de leurs engagements et comportements des acteurs révèle une rupture moins étanche qu’il n’y paraît. En effet, les évènements de la Libération et les nouveaux enjeux politiques amènent de multiples formes de violence, politique, sociale.

Ainsi, nous pouvons nous demander si les comités départementaux ont canalisé la violence politique liée aux évènements de la Libération et au retour de la République ? En sont-ils les acteurs ? Ont-ils contribué à de nouvelles formes de violence politique ? Nous répondrons à ces questions à travers l’étude des principales missions attribuées aux Comités départementaux de Libération, notamment l’épuration, son organisation et sa gestion par les comités. Nous évoquerons aussi les enjeux politiques et les tensions qui en découlent au sein même des comités et de leur fonctionnement.

  • 14 h 30 – Víctor Aparicio Rodríguez (doctorant en histoire contemporaine, Université du Pays Basque) :
    La transition espagnole à la démocratie (1975-1982) : la violence comme acteur politique

Le débat sur la nature, le déroulement, les protagonistes et les conséquences du processus de démocratisation en Espagne après la mort du dictateur Francisco Franco, ont été, depuis les quinze dernières années, un sujet vraiment saillant dans la société espagnole. Le discours qui parlait d’une Transition modèle, exemplaire et pacifique, un discours qui avait été hégémonique dès le début du nouveau système démocratique, a été contesté par de nombreuses voix dans les différents milieux politiques, sociaux, médiatique…et, bien sûr, académiques. Chez les historiens, il y a un courant qui a démontré l’inexactitude, voir la fausseté, de l’interprétation du caractère pacifique du processus.

Les chiffres de la violence politique sont vraiment élevés : plus de 700 morts d’après l’étude de Sophie Baby. Les violences policières, l’activité terroriste de l’extrême droite, de l’extrême gauche et des groupes indépendantistes, l’ombre du coup d’État et le péril d’une involution militaire, toujours présente pendant le processus, ont marqué fortement la société et la politique espagnole des années 70 et des premières de 1980. En plus, il faut tenir compte du contexte international, avec « les années du plomb » et la troisième vague terroriste qui ont frappé le « monde occidental » à cette époque-là, un contexte dans lequel s’encadre la Transition espagnole, l’une des premières de la « troisième vague » de démocratisation.

`Exposer l’importance réelle de la violence politique dans ce processus c’est le but de cette communication : c’est-à-dire connaître à quel point la violence politique a été un acteur central du celui-ci et comment elle a conditionné certains de leurs aspects. Pour cela, j’étudie le rôle que la violence politique a joué dans de différentes organisations de gauche. Comment ces organisations avaient pensé à la violence comme outil politique, leurs réflexions théoriques à cet égard, leurs attitudes face à la violence concrète pratiqué par d’autres acteurs politiques, la manière dont cette violence a frappé l’intérieur de ces organisations et leurs stratégies politiques…

Ma réflexion démontre qu’il faut se rapprocher d’une autre manière à l’importance joué par la violence pendant la Transition espagnole, qu’il faut faire attention à la centralité de ce phénomène, pour aider à bien comprendre le déroulement du processus, et pour mieux connaitre les dynamiques de la violence politique dans les sociétés contemporaines.

 

– Pause –

 

  • 15 h 45 – Benjamin Flammand (M2 Sociologie et Philosophie Politique, Université Paris Diderot) :
    Le rôle de la violence dans le processus de subjectivation politique des jeunes révolutionnaires

Ma proposition de communication pour cette journée d’études s’articule autour d’une question générale : de quelle manière la perspective d’une violence politique habite la construction politique des jeunes révolutionnaires du XXIe siècle ? Pour Isabelle Sommier, « le recours à la violence permet à un homme nouveau de naître » (Sommier, 2009, 22). Elle définit la violence révolutionnaire comme un ensemble de comportements qui visent à atteindre matériellement le pouvoir d’État – ses institutions et ses représentants – et motivés par une idéologie de transformation radicale de la société à l’intérieur d’une communauté politique définie. Cette définition, orientée vers l’unique manifestation matérielle de la violence révolutionnaire – à son moment T – ignore la manière dont elle peut constituer une culture politique particulière et être intériorisée par les jeunes révolutionnaires à l’issue d’un long processus incrémental, qui exclut souvent – ou repousse à un futur incertain – tout usage effectif de la violence. Comment en viennent-ils et elles à lever le tabou de la violence, à accepter l’usage de la violence politique comme horizon indépassable d’un renversement radical des structures de domination ? À quelles configurations sociales renvoie ce processus : quels rôles de l’idéologie politique et des interactions avec des militantes d’extrême gauche ? quelle place pour les dispositions sociales, les « ruptures biographiques » et les « chocs moraux » ? quel « travail émotionnel » sous-jacent ? et enfin comment la violence révolutionnaire travaille la subjectivité politique de ces jeunes individus ?

Je dresserai quelques pistes de réflexion à partir de la présentation de deux trajectoires d’engagement politique dans lesquelles la question de la violence politique a contribué à marquer la subjectivation révolutionnaire de ces deux jeunes femmes.

  • 16 h 15 – Discussion

  • 16 h 30 – Harmonie Mariette et Víctor Aparicio Rodríguez :
    Conclusion

 

Entrée libre et gratuite,
sur inscription [ici]

 

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Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
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