22 octobre 2020 - uB – 2 bd Gabriel – Salle 319 (3e étage du bâtiment droit)
de 13 h 15 à 17 h 40 (accès/informations pratiques ici)


Transversales : Journée d'étude doctorale du LIR3S :
Corps, lieux et appartenances


Organisation : Karine Montabord (doctorante en histoire de l’art, LIR3S UMR CNRS uB 7366), Linda Zuo (doctorante en histoire de l’art, LIR3S UMR CNRS uB 7366) et Lucas Le Texier (doctorant en histoire, LIR3S UMR CNRS uB 7366)

 

Inscription obligatoire pour les auditeurs ici

 

 


InvitéeIsabelle Marinone (MCF histoire du cinéma, LIR3S UMR CNRS uB 7366)

 

 

Si les sciences humaines et sociales ne l’évoquent pas toujours de façon directe, le triptyque corps-lieux-appartenances se niche et se décline à l’infini au sein de ce domaine académique. Ainsi, une réflexion définitionnelle et théorique des interactions entre ces trois notions pour cette journée d’études permettra de préciser les articulations qui se jouent autour de ces pôles. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons choisi de présenter trois axes où chaque notion sera examinée sous le prisme des deux autres.

 

Le rôle des corps et des communautés dans la formation des lieux

Comment une portion déterminée d’espace devient un lieu d’importance historique, sociale ou culturelle, voire un haut lieu ? Déterminé par « sa situation dans un ensemble, par la chose qui s'y trouve ou l'événement qui s'y produit », un lieu peut donc se créer par le rassemblement d’individus, de corps dans un même espace. Plus encore l’appartenance à un lieu pourrait définir l’identité d’un individu. De là, il devient possible d’interroger la manière dont ses caractéristiques (intérieur/extérieur, vaste/exigu, confortable/inconfortable) agissent sur les individus et permettent de créer une effervescence et une émulation particulière. Comment se traduit corporellement l’expérience d’un rassemblement en plein air ou de la promiscuité d’une scène de stand up ? Le corps est entendu ici au sens large : comme un objet organique dans l’espace, siège d’expériences multiples, comme une corporéité.

 

La fabrication de l’appartenance par les espaces

De l’action de se regrouper découle la formation de liens sociaux ou de pratiques. L’étude des lieux et des corps permet de comprendre par quels procédés et sous quelles modalités, instables et changeantes, les espaces participent à construire le sentiment d’appartenance. Ce dernier peut être défini comme « les subjectivités collectives cristallisées comme identités de “soi”, qui s’expriment à partir d’un lieu propre, et la quête éventuelle de reconnaissance universelle » (Bougmil Jewsiewicki, « Vers une impossible représentation de soi », Les Temps Modernes, n° 4, 2002, p. 101-114.).

À l’inverse, par quels enjeux le fait d’appartenir à un groupe peut pousser à se réunir dans un lieu, à provoquer une rencontre physique ? Ce sentiment d’appartenance peut être conséquence ou volonté première qui motive le regroupement. Le phénomène de la fête et des rassemblements qui rythme la vie d’une communauté (mariages, rites de passage, fêtes religieuses et laïques, etc.) sont à prendre en compte d’autant qu’ils engagent généralement fortement le corps (danse, chants, discours, marche, costumes, transe, etc.). Les communications pourront interroger ainsi la fabrique de l’appartenance par les espaces (territoires et corps), ou comment le sentiment d’appartenance influe sur les espaces.

 

Apprentissages et répertoires des corps

La présence au monde de l’individu est liée à son corps : il fixe les limites propres de l’individu, et délimite l’espace personnel qu’autrui identifie comme tel. Ce corps s’éduque, se nourrit d’expériences et mémorise des gestes et des postures qui vont participer à en faire un médiateur entre un individu, autrui et l’environnement. En organisant des moments et des endroits où l'on se trouve et se retrouve, les événements liés à la culture populaire sont des lieux privilégiés pour la mise en place de ces phénomènes. Cet axe propose d’interroger sous quelles modalités les corps parviennent à maîtriser et à restituer des répertoires de gestes, de mimiques, de perceptions sensorielles, d’émotions et d’affects au sein d’espaces et de communautés.



Programme



  • Lucas Le Texier (doctorant en histoire contemporaine, LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    Exposer l’Amérique. Sim Copans à la Radio française (années 1940-1950)

La politique culturelle américaine à l’étranger resta largement jusqu’à l’après-guerre le fruit d’initiatives privées. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis la développent intensément en Allemagne, dans l’optique de « modifier la société dans un sens démocratique » : l’action culturelle est alors conçue comme un instrument de politique étrangère. Pour la France, il faudra attendre 1947 et surtout 1948, soit le début de la Guerre froide, pour que le gouvernement américain investisse pleinement ce champ d’action afin de garder la France dans le camp occidental et de contrer l’influent Parti communiste français. Persuadés de la méconnaissance française sur leur pays, les États-Unis mettent au point un dispositif d’échanges et de diffusion d’informations à leur propos.

Simon Copans (1912-2000) – dit « Sim » Copans – a joué un rôle crucial dans l’exposition et la découverte de l’Amérique grâce à son travail d’homme de radio sur les ondes françaises. Professeur à l’Université de Columbia à la suite d’une thèse menée en France sur les relations franco-américaines, il décida de s’engager lors de la Seconde guerre mondiale en tant qu’opérateur radio dans l’Office of War Information (OWI, l’agence gouvernementale des États-Unis qui opérait par les médias pendant la Seconde Guerre mondiale). À la fin de la guerre, Simon Copans décida de rester en France, et occupa un poste dans la politique culturelle des États-Unis menée dans le pays – politique relevant non plus de la branche militaire de l’O.W.I. mais de la branche civile de l’United States Information Service (USIS) sous le contrôle du Département d’État. Cette activité le conduisit à intervenir sur les ondes françaises, en tant que simple collaborateur mais aussi producteur d’émissions radiophoniques.

Simon Copans va alors s’atteler à exposer l’Amérique et le triptyque qui nous intéresse ici : les corps, les lieux et les appartenances. Grâce à la diffusion de la musique américaine, ponctuant une narration radiophonique qui apporte des éléments sur la culture, les communautés et la géographie des États-Unis, les interventions de Copans nourrissent la curiosité des français pour les États-Unis et répondent aux ambitions du gouvernement américain qui cherche (non sans intérêt donc) à faire connaître leur pays en France. La musique et le son participent à dépeindre une Amérique vaste et diverse : des bruits des grandes métropoles à la Nouvelle-Orléans en passant par les Great Smoky Mountains ; du folklore des fêtes religieuses américaines à celui des marins ou des indiens ; des chansons qui dépeignent les corps des travailleurs, les danses cow-boys ou l’entertainment de Broadway etc. Si le contenu des discours et les manières de présenter les extraits sonores nous intéresseront particulièrement, les propriétés du discours radiophonique de Sim Copans, qui convie l’auditeur à un véritable voyage en faisant référence à des éléments corporels, devront également être étudiées.

Grâce aux documents et textes d’émissions radiophoniques fournis par le fonds Sim Copans à Souillac, ainsi qu’aux retranscriptions des émissions radiophoniques disponibles dans les archives de l’Institut national de l’audiovisuel, cette communication cherchera à montrer le rôle de Sim Copans, les enjeux et les opérations de l’exposition radiophonique de l’Amérique par les trois notions qui nous intéressent.


 

  • Xiaoyan Xia (doctorante en philosophie, LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    L’apparition du paysage : Une approche de la phénoménologie merleau-pontienne
    et de la poésie de paysage chinoise

Faire dialoguer la théorie de la perception chez Merleau-Ponty et la création de la poésie de montage et d'eau (山水诗). Même s'il y a de nombreux poèmes chinois traditionnels concernant le paysage, la poésie de paysage chinoise porte cependant spécifiquement sur la poésie de montagne et d'eau. Celle-ci est un courant poétique commençant dans les dynasties de Wei et de Jin (魏晋时期) se développant dans les dynasties Tang et Song, un de ses pionniers est XIE Lingyun (谢灵运).
Dans la Phénoménologie de la perception, s'inspirant de la phénoménologie husserlienne et de la théorie de la Forme, Merleau-Ponty essaie de montrer le processus de la perception et la naissance du perçu à partir du corps propre. Celui-ci n'est pas un corps purement organique ou objectif, il est un corps incarné, qui est notre point d'ancrage au monde et en même temps est l'écran par lequel le monde se manifeste pour nous comme tel. C'est par ce corps propre que le philosophe propose une intentionnalité corporelle ou opérationnelle, différente que celle de Husserl, à savoir l'intentionnalité consciente. Et le perçu connaît avec le sujet corporel dans la perception. En effet, le paysage, que Merleau-Ponty évoque dans la préface de la Phénoménologie de la perception, n'est pas d'autre chose que ce qui s'apparaît dans cette perception.

La théorie merleau-pontienne de la perception pourrait s'appliquer à la création des poèmes de montage et d'eau dans la mesure où les poètes écrivent ces poèmes avec leur corps propre. Ces poèmes ne sont pas fictifs (cf., Stephen Owen, Traditional Chinese Poetry and Poetics : an Omen of the World), par exemple, aujourd'hui on peut encore reconnaître et revisiter des lieux qui avaient donné l'inspiration à XIE Lingyun pour écrire ses poèmes (cf., XIAO Chi, chapitre 1, Poésie et ses paysage [诗与它的山河]). Dans ces poèmes, nous pouvons lire clairement une spatialité corporelle qui se construit entre le paysage et le poète. Ainsi, sont-ils des perçus plutôt que des imaginaires. C'est précisément pour cette raison qu'ils sont différents d'autres poèmes de paysage.


 

  • Karine Montabord (doctorante en histoire de l’art, LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    La dynamique des lieux comme condition de rencontre. Dada et la danse entre Zurich et le Monte Verità

Pendant la première guerre mondiale, la Suisse devient un refuge pour les artistes et intellectuels de divers horizons qui souhaitent échapper au conflit. C'est dans cette zone neutre, à Zurich, que s'ouvre en février 1916 le Cabaret Voltaire pensé comme un espace de rencontre, d'expression et d'expérimentation. Se trouvent regroupés sans unité stylistique dans cet espace exigu, des peintures, des sculptures, de la musique, des récitations, et aussi des danses.
Rudolf Laban, chorégraphe et théoricien de la danse moderne, propose des stages d’été au Monte Verità, sur les hauteurs du lac majeur. Lorsque empêché de rentrer en Allemagne à cause du conflit, il se réfugie à Zurich et y ouvre une école. Plusieurs de ses élèves se produisent dans les soirées Dada. Ces échanges, presque quotidiens à Zurich et réguliers au Monte Verità, sont les seuls que Dada entretient avec une école de danse établie.
Dans le contexte de la Lebensrefom (réforme de vie) qui se développe en réaction à l'urbanisation et l'industrialisation, le Monte Verità est lui aussi un point de rencontre vu comme un lieu de liberté et d'expérimentation. La colline se fait laboratoire de réformes sociales, politiques, religieuses ou artistiques. Il y a donc différentes dynamiques d’affiliation qui s'entremêlent en fonction des sensibilités et des idéologies. Loin de l'agitation urbaine, la vie s'y veut saine et régénérante par une forte implication du corps : bain d'air et de soleil, végétarisme, nudisme, partage des tâches domestiques, travaux de la terre, etc. L’engagement corporel se renforce lorsqu’en 1913 Laban y ouvre sa « ferme de danse » : il propose des expériences collectives dans la nature où le corps est libre d'expérimenter différents types de mouvements. Les notions de lieux, de corps et d’appartenances sont interrogées ici dans l'optique d'étudier l'importance des lieux comme contexte de rencontre et de création favorable aux échanges entre les arts plastiques et la danse. Il s'agit de réfléchir aux allers-retours entre les différentes dynamiques de ces deux lieux-refuges d'une part, et les échanges entre les artistes et leurs utilisations du corps d'autre part.


  • Linda Zuo (doctorante en histoire de l’art, LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    Espaces familiers et identité : l’exemple du Club des Américaines de Paris

En septembre 1893, le Club de Jeunes Femmes américaines de Paris ouvrit ses portes pour accueillir les étudiantes provenant des États-Unis. La mise en place de cet établissement fut un geste philanthropique et était censée encourager la rectitude morale chez les habitantes et protéger contre les fameuses tentations de la vie bohémienne.
Situé au 4 rue de Chevreuse dans le sixième arrondissement, le Club abritait à peine cinquante pensionnaires, mais grâce à ses expositions annuelles d’art et ses événements culturel réguliers (festin de Thanksgiving, séances de chant Southern Baptist, etc.) devint rapidement un centre social pour les Américaines souffrant du mal du pays et qui, « en raison de leur méconnaissance de la langue et du peuple français, sont […] isolées et handicapées ».
Or, nombreuses furent les filles qui, une fois rentrées physiquement aux USA, éprouvèrent une certaine difficulté à redevenir « Américaine en Amérique », affirmant qu’elles ne se sentaient plus américaines mais plus « intégrées à la société là-bas ». Nous sommes donc amenés à nous interroger sur ce que signifie ce « là-bas » : Paris ? Le Club des Jeunes Femmes américaines ? Les académies d’art privées ? Ou bien la communauté des expatriés américains que cette organisation réunit ? Ce « là-bas » a-t-il un sens ? La présence physique et le sentiment d’appartenance vont-ils ensemble ? En effet, la dissociation entre les différents lieux de vie pour ces jeunes femmes et leurs origines diverses invitent à examiner les formes et les échelles de cette « intégration », ou appartenance.

Nous nous intéressons donc dans cet exposé au processus de construction de l’appartenance au sein du Club, et le rôle que l’absence (ou plutôt séparation) du corps physique aurait pu jouer dans la dissolution de ce sentiment.


  • Léandre Bricout (doctorant en sociologie, LIR3S UMR CNRS uB 7366) :
    Culture et appropriations des lieux en prison

La prison est un univers restreint, un lieu bien défini par des limites où vont se retrouver des personnes de mondes sociaux différents. Ils vont être obligés de cohabiter ensemble. La promenade est un lieu de rencontre où les détenus vont se retrouver pour échanger. Dans cette promenade, on y retrouve des multitudes de comportements. Les personnes vont créer des affinités. Des groupes vont se constituer selon différents critères. La promenade va être un lieu de sociabilité, un lieu d'apprentissage. Tout le monde ne peut pas accéder à la promenade, la promenade est un lieu privilégié. L'appartenance à la prison renvoie la personne incarcérée à son identité : celle de détenu. En prison, le détenu va se faire une identité, se faire à une nouvelle culture. Et puis il y a la liberté d'un côté et l'emprisonnement de l'autre, les règles ne sont pas les mêmes, des choses qui ne sont pas interdites dans la vie courante sont parfois interdites en prison. Deux situations opposées l'une de l'autre. On retrouve différents lieux en prison, l'infirmerie, les lieux où est pratiqué le sport, les lieux de cultes, les parloirs, la promenade, le mitard. Chaque lieu correspond à un moment particulier, les lieux ont toute leur fonction principale, mais ils sont appropriés différemment selon les cultures.


  • Dominique Moreno (doctorant en sciences de l’éducation, IREDU, uB équipe d’accueil 7318) :
    Les émotions de l'élève : Quels effets sur le jugement évaluatif enseignant ?

Le corps de l’élève, traversé d'émotions, précède souvent ce qu’il est réellement et tout cela n'est pas sans effet sur sa scolarité. L'enseignant, enfermé dans un corps professionnel avec ses habitus, règles implicites et explicites, construit souvent une image décalée influençant positivement ou négativement le parcours scolaire de l'élève. Notre travail propose d'observer l'impact des compétences non académiques des élèves sur le jugement enseignant, en classe de troisième, au moment de l’orientation. Si l'élève est soumis à un référentiel académique d'évaluation, on sait que les enseignants, dans l'acte évaluatif, englobent inconsciemment d'autres éléments (Tavant, 2019), prenant ainsi en compte la totalité de leur être, le lieu dans lequel ils évoluent et occultant souvent le poids de leur rôle d’enseignant. Depuis l'élaboration du socle commun de connaissances et de compétences (2005), de nombreuses CNA sont entrées dans le champ scolaire (Fanchini, 2016). Or, toute compétence non académique n'est pas évaluable et les CNA relèvent davantage d’une autodidaxie (Bergeron, 2013). Le carrefour de rencontres entre des corps, des rôles, qu'est la classe comme lieu d'expression, nous intéresse à plus d'un titre. Le développement comportemental traduit les effets des émotions (Gendron, 2007, 2010) et celles-ci ne sont pas sans effets. Alors, comment sont-elles perçues par l’enseignant et comment modifient-elles son jugement évaluatif ? Telles sont les questions auxquelles tente de répondre notre travail de recherche, tant par une démarche quantitative, questionnaires auprès de 1 300 élèves et 60 enseignants, que qualitative par l'analyse d'une littérature éclairant le développemental et le comportement de l'élève (Dewey, 1916), au moment de l'adolescence (Rousseau, 1762).

 

 

Entrée libre, gratuite, sur inscription,
dans la limite de 15 places

 

 

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Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche
"Sociétés, Sensibilités, Soin"
UMR 7366 CNRS-uB

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