4-5 octobre 2019 – Maison du patrimoine oral de Bourgogne, Anost (71)
[plan d'accès ici]
Journées d’études de la MPOB : La Fabrique sociale orale
Organisation : Caroline Darroux (Maison du patrimoine oral de Bourgogne / CGC UMR CNRS uB 7366), Noël Barbe (CNRS, IIAC et DRAC de Bourgogne-Franche-Comté) et Jean-Louis Tornatore (CGC UMR CNRS uB 7366)
[Journées co-organisées par la Maison du patrimoine oral de Bourgogne, le Centre Georges Chevrier et la DRAC Bourgogne
Franche-Comté]
Les Journées de la MPOB sont deux jours d’invitation à produire ensemble
des savoirs et un vocabulaire commun sur ce qu’est l’oralité à la Maison du
patrimoine oral de Bourgogne. Ces rencontres se veulent exigeantes sur les plan
scientifique, civil et festif. Des chercheurs travailleront en
coopération avec des habitants et le monde associatif à l’élaboration de
notions et d’hypothèses ancrées dans l’expérience des pratiques de
l’oralité à la MPOB ; ces rencontres se nourriront également d’expérimentations locales d’autres territoires.
En 2019, la MPOB, site de l’Écomusée du Morvan (Parc naturel régional du Morvan) a été reconnue comme ethnopôle par le ministère de la
Culture pour le projet qu’elle porte depuis sa fondation de « Fabrique
sociale orale ». Elle est désormais à la fois un lieu de référence
nationale pour la recherche en ethnologie sur ses propres thématiques et un
lieu d’expérimentation pour l’action culturelle à l’échelle locale et
régionale. C’est cette « Fabrique sociale orale »
que ces journées viennent, cette année, tout à la fois inaugurer,
radiographier et interroger. En effet, avec l’appui du Centre Georges Chevrier, des journées
d’étude avaient préalablement permis d’identifier des
enjeux scientifiques et politiques singuliers au mouvement
associatif : d’une part en rassemblant dans une même
problématique les dimensions du patrimoine, de la participation et de
la citoyenneté et, d’autre part, en interrogeant la notion de
« culture populaire » au prisme des démarches de
recherche scientifique et d’action citoyenne (Jean-Louis Tornatore,
2013). Ces journées étaient revenues sur les fondements de la
MPOB et de son engagement militant dont les acteurs portent, depuis une
cinquantaine d’années, en Bourgogne, une demande et une
expérience patrimoniale et politique d’expression populaire
(Caroline Darroux, 2017).
Ce mouvement suscite, soutient, expérimente,
documente et actualise des pratiques de l’oralité qui engagent des rapports
particuliers à soi et aux autres et une dynamique sociale permanente (Josep Rafanell I Orra, 2018).
Étroitement associée à la possibilité d’habiter
des lieux auxquels nous sommes attachés, l’oralité se
propage en dehors des normes académiques et par des relations durables
et non-marchandes entre des individus. La parole ordinaire
échangée dans une situation de confidence, les formes de
sociabilité constituées par et dédiées à
l’oralité (veillées non-spectaculaires, communautés
d’expression en langue régionale, improvisation musicale
collective dans des lieux publics, etc.), la création artistique,
ainsi que toutes les modalités liées à la production de
l’oralité (entretien ethnologique, enregistrement,
écriture, rencontres festives) contribuent à fabriquer des
attachements (Antoine Hennion, 2004 ; Augustin Berque, 2010 ;
voir aussi les réflexions proposées dans séminaire
« Cosmopolitique des attachements » de Florence
Brunois-Pasina, Barbara Glowczewski).
La dimension active de la Fabrique sociale orale favorise
l’émergence des subjectivités et des groupes
d’affinité : par la mise en présence des uns et des
autres, émergent des possibilités d’espaces pour
s’exprimer en commun (Pascal Nicolas Le Strat, 2016) ; par le
désir que pratiquer ensemble enclenche une dynamique, émerge la
possibilité que ce qu’on produit ensemble soit beau selon de
critères propres au groupe et en décalage avec ceux de la culture
dominante. Par la spécificité de l’espace public qui se
crée au gré de ces attachements, des formulations collectives de
rapports de force s’énoncent : on peut alors observer et
alimenter de nouvelles solidarités entre les êtres et les choses
(Philippe Descola, 2005), de nouveaux agencements micropolitiques (Felix
Guattari et Suely Rolnik, 2007).
Alors qu’elle met en mouvement une dynamique de civilité
(Étienne Balibar, 2010), depuis ses origines la Fabrique sociale orale
s’appuie sur et bricole avec des modes opératoires disponibles
et utilisés ailleurs. Elle actualise en pratique les droits culturels
des individus et des groupes avec lesquels elle travaille (Luc Carton,
2015). Elle joue un rôle dans la sélection de ce qui devient
patrimoine oral de Bourgogne. Elle favorise des pratiques culturelles
émergentes. Pour autant, le constat peut être fait que les
opérations patrimoniales, scientifiques, archivistiques, touristiques,
artistiques y sont réappropriés selon une manière
singulière. Comment la dimension politique de la Fabrique sociale
orale fait-elle bouger ces processus et selon quelles modalités ?
Quelle forme politique se produit dans ces pratiques diverses de
l’oralité ou en rapport avec elle ? Que faut-il alors
entendre par oralité ? Comment celle-ci est-elle prise en compte
dans des dispositifs de gouvernement des territoires, doit-elle
l’être ? Faudrait-il voir là quelque chose de
spécifique à la MPOB ou bien quelque chose d’un commun avec
d’autres positionnements du même ordre ?
Afin d’appréhender finement les mécanismes à
l’œuvre dans cette Fabrique sociale orale, ces journées
déploieront et mettront en débat les trois régimes
d’expérience par lesquels elle peut être saisie : le
régime de la matérialité, le régime documentaire et le
régime de la performance. En effet, au sein des pratiques de
l’oralité, comme nous l’avons affirmé plus haut,
différents types de rapports sont entretenus par les humains avec un
ensemble d’entités diverses lorsqu’ils dansent, chantent,
racontent, préparent, soignent, se rassemblent, travaillent, etc. En
qualifiant et en décrivant ces rapports, ces co-présences par
lesquelles des liens se fabriquent dans les actes, les gestes et les
attachements communs, ces journées auront pour vocation de poser les
jalons d’une problématique de recherche de la MPOB pour les
années à venir.
Cet exercice de ressaisissement de leur objet de travail et de passion est
aujourd’hui crucial pour les acteurs de la MPOB, car la notion
d’ « oralité » évolue depuis quelques dizaines
d’années au gré d’un usage institutionnel comme
catégorie englobante et peu précise. Elle peut être
confondue avec ce que l’on appelle « patrimoine ethnologique
» ou « patrimoine culturel immatériel » et leurs
politiques (Noël Barbe, 2013). Les notions se succèdent et
semblent revêtir un caractère interchangeable sans toutefois
recouvrir les mêmes réalités ni renvoyer aux mêmes
référentiels de valeur (John Dewey, 2011). Pour avoir prise sur
ce que désigne l’oralité au sein de la MPOB, il nous faut
revenir sur la matérialité qu’elle recouvre dans ce
contexte particulier, la tentation documentaire qu’elle a pu y
engendrer et la dimension d’expression et de performance qui
s’est affirmée comme première et primordiale.
L’oralité est en effet souvent incarnée à travers des
objets matériels. Ce peut être des objets qui parfois ont une
valeur économique, comme des instruments de musique ou des livres
anciens. D’autres fois la matière ne devient objet que pour
l’œil initié : un mirliton réalisé avec une
feuille de houx, une prière de panseur ou de rebouteux en langue
régionale écrite sur un lambeau de papier. La
matérialité renvoie aussi aux traces laissées sur une
cassette audio ou un cahier de chanson. L’environnement social et
naturel, le lieu concret de ces pratiques déterminent la qualité
des rapports qui se créent. L’objet s’anime car il
transporte une charge narrative, le récit peut être employé
pour lui donner une valeur économique (Luc Boltanski et Arnaud
Esquerre, 2017). Mais la qualité « d’objet de
l’oralité » semble aussi soumise à un principe
récurent de régénération par l’actualité de
son usage : un instrument en vitrine n’est pas le même
qu’un instrument actionné par un musicien. Dans cet écart
infime se glisse l’acte, l’expression, le politique.
Produire l’oralité en tant que matériau consiste notamment
en un processus documentaire largement décrit et qui fait
l’objet de controverses dans le champ de l’histoire et de
l’anthropologie (Bertrand Müller, 2006). Depuis la
démocratisation des techniques de captation sonore et vidéo, ce
processus est aussi revendiqué comme mode d’administration de la
preuve d’existence de certains groupes minoritaires (sur les pas
d’Alan Lomax). Plus encore l’effort de documenter les
situations de rapport de force du point de vue des dominés traduit une
philosophie de terrain (Christiane Vollaire, 2017) et un soin de
l’entretien et de l’enquête comme « acte
amoureusement politique », où le Sujet, dans un dialogue de
vie, peut s’énoncer depuis son propre centre. Par ces processus,
on donne un statut présent, via l’oralité, à
quelque-chose d’absent ou de perdu : la parole prend les
caractéristiques du témoignage sur des situations passées,
un glossaire en langue autochtone prend valeur de preuve d’existence
d’une culture qui disparaît, un morceau de musique
interprété par un homme ordinaire dans une situation donnée
devient la référence musicale d’un territoire. Les
documents sont des véhicules et ne valent pas pour eux-mêmes, les
logiques qu’ils transportent sont multiples. Pour ce qui concerne les
pratiques de l’oralité, le document ressemble à un
traitement préventif de la disparition. On peut lire en creux le plus
souvent le mythe de production d’une présence perpétuelle.
Peut-on aussi le détourner à des fins de perpétuation ?
Nombre d’exemples actuels démontrent un usage politique du
document : captations vidéo des militants Gilets Jaunes contre les
violences policières, démarches pour la prise en compte et la
diffusion des archives du massacre du 17 octobre 1961 (Le Cour Grandmaison,
2001), gestes artistiques pour donner à voir les lieux du
« patrimoine sombre ». La tentation documentaire
devient alors un mode d’action subversif.
Il semble que le fait de donner une valeur politique aux situations que
l’on vit ensemble soit le fil rouge de la production de
l’oralité, pour laquelle La Fabrique sociale orale souhaite
proposer un lieu de recherche et de pratique dans le Morvan. Il y a là
une ligne éthique à tenir pour la Fabrique sociale orale :
le respect des êtres et des rêves attachés à ces
pratiques ; la résistance à l’effacement
télécommandé des groupes et des héritages dissidents,
des dynamiques de singularisation et des mobilisations
émergentes ; la possibilité de fabriquer des rapports en
dehors de la culture marchande. L’oralité y est
considérée comme une forme d’expérience plus que comme
un contenu objectivable (Tornatore, 2019). Elle y est traversée par
une expression singulière car à chaque fois recomposée par
l’initiative et la personnalité des individus présents
ensemble dans une situation. Cette esthétique particulière de la
performance lui confère des repères en dehors de normes
instituées. C’est l’oralité « en
acte », c’est l’acte qui devient premier. C’est
une « manière de faire » où
s’abolissent les grandes séparations : quand les objets
s’animent, quand ce que l’on perd nous engage à
réaliser un désir de société (Karine Basset et
Michèle Baussant, 2018), quand l’expression singulière nous
fait sortir des cadres.
Par son histoire et les acquis de ses pratiques, la MPOB porte une approche
interdisciplinaire de la notion d’oralité qui embarque à la
fois des objets d’étude de « l’ethnologie de la
France » (récits, chants, danses, musiques, savoir-faire,
langues), les principes épistémologiques de l’anthropologie
interactionniste (les savoirs produits dans l’expérience de
relation), et les outils pragmatiques des théoriciens du langage
(l’oralité comme rhizome et comme « trame »
du territoire). Les intervenants de la MPOB et les invités apporteront
des éclairages situés et de nature diverse pour comprendre
comment ces régimes d’expérience sont travaillés dans
ce contexte particulier.
Programme
Vendredi 4 octobre
12 h 00 – Accueil des participants et repas en commun
14 h 00 – Ouverture et « Entrée en matière » orchestrée par Anaïs Vaillant, ethnologue en d’ici dense, Terrain à déminer (TaD-iD)
14 h 30 – Changer les valeurs qui ne sont pas les nôtres
Dialogues d’expériences :
-
Collectif technique du bal, MPOB : Le bal-parquet est-il un objet comme les autres ?
- Aurélie Dumain, ethnologue et responsable de
l’ethnopôle « Réinventer les
musées populaires » : Musée populaire
voire animiste. Ce que disent les objets...
-
Alice Margotton, chargée de médiation
documentaire, MPOB : Nos spectres ne sont pas à
vendre
- Franck Beuvier, ethnologue CNRS-IIAC : « Nos
pères qui sont là ». Oralité et
présence des objets coutumiers au Cameroun
Agitation : Anaïs Vaillant et Maud Marchand, chargée de
mission Écomusée du Morvan, PNR du Morvan
18 h 30 – Récréation sonore et kaléidoscopique
Écoute détendue et discussion autour d’une réalisation sonore « maison »
19 h 30 – Inauguration de la Fabrique Sociale Orale
20 h 30 – Sous le bal-parquet : Bal Duo Meunier-Buteau
Samedi 5 octobre
10 h 00 – Éclairages. « Philosophie du pouvoir, mémoires et résistances » par Théophile Lavault, philosophe
10 h 30 – Preuves d’existence : quand l’oubli s’institutionnalise
Décrire des pratiques de résistance :
-
Gilles Barot, MPOB, enseignant et animateur d’un
atelier en langues régionales : Traces
d’oralité pour redonner vie, les
Raibâcheries du Bochot
-
Théophile Lavault, Paris 1 Panthéon-Sorbonne
/ PhiCo-ISPJS :
Traces et subjectivations en contexte post-coloniaux et
d’enfermement
-
Caroline Darroux, ethnologue et directrice scientifique,
MPOB ; Benjamin Burtin, artiste slameur et
réalisateur, Mohamed El Eujama, Walid Halaimya,
Noémia Goncalves, Meryam Kadour, Hilal Ozturk (tous
participants à la Fabrique de rêves
portée par la MPOB, les collectivités
d’Autun et du Grand Autunois Morvan et le service de
Prévention spécialisée de la Sauvegarde
71) : Fabrique de rêves. Pratiquer
l’oralité pour changer de monde
Agitation : Michèle Matthis, penseuse libre et membre active,
MPOB, et Jean-Baptiste Bing, géographe-raconteur,
directeur MPOB
13 h 00 – Buffet en commun et discussion
14 h 00 – Subvertir
Décrire des pratiques de résistance :
-
Performance-parlerie de Jean-Pierre Renault,
écrivain et parleur, membre actif de la MPOB : Les
arts de la parole. Le dire direct comme subversion
-
Oncle Salvador. Film d’Armand Gatti
réalisé avec les travailleurs migrants du pays
de Montbéliard (50 min), en partenariat avec
Anost-Cinéma.
- Débat et re-saisissement collectif de nos paroles
et de nos actes, avec Noël Barbe, anthropologue
(CNRS/IIAC) et conseiller à l’ethnologie de la
DRAC Bourgogne-Franche-Comté.
Agitation : Caroline Darroux, MPOB et Noël Barbe
17 h 00 – Conclusion. De la citoyenneté à l’oralité, retour sur une collaboration. Jean-Louis Tornatore, anthropologue, CGC, et Jean- Baptiste Bing, géographe, MPOB
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