26 janvier 2019 – [Lieu à déterminer]
Journée d'études : Les territoires en lutte à l'épreuve du droit
[Dans le cadre du séminaire de l'atelier « Penser la/les transition(s) »]
Aux cours des dernières années, on a régulièrement
entendu la catégorie policière « zone de
non-droit » appliquée aux territoires en lutte contre
l’expansion du capitalisme. L’expression permettait à la
fois de justifier la brutalité du rétablissement de l’ordre
étatique et d’occulter la diversité d’usages nouveaux
et inventifs permis par la suspension des normes et des institutions. Par
ailleurs, si elle est révélatrice du bouleversement en cours,
l’idée d’une révocation du droit conventionnel rend
aveugle sur les pratiques juridiques réelles des mouvements de
résistance ainsi que sur la production de normes immanentes aux
situations d’autonomie.
D’un côté, on observe une utilisation stratégique du
droit conventionnel : les luttes, en particulier celles contre les
projets d’aménagement du territoire, établissent des
rapports de force qui reposent partiellement mais essentiellement sur une
capacité à freiner le camp adverse en le mettant en défaut
sur le terrain juridique (par exemple en prouvant son incapacité
à respecter les mesures de protection environnementale). D’un
autre côté, on constate une invention originale de normes à
la lisière du droit : les communautés en résistance se
dotent de formes et d’énoncés leur permettant de
s’organiser, de perdurer, de surmonter leurs conflits.
Dans le cas des luttes territoriales, la notion d’autonomie prend un
sens profond et originaire. Le terme nomos, qui passe pour
être la racine grecque de notre concept de loi, désigne à
l’origine la prise et le partage de la terre structurant une
société. Si l’on considère alors que nos
catégories juridiques voire ontologiques sont informées par un
mode de distribution de la terre (ou, à l’inverse, une
manière de se distribuer sur la terre), on mesure à nouveau frais
l’importance de la rupture induite par les zones arrachées au
capitalisme et à l’État.
Ainsi après l’abandon du projet d’aéroport,
l’enjeu pour la ZAD de Notre-Dame-des-Landes est devenu
d’obtenir une forme de propriété collective des terres afin
de pouvoir prolonger les usages révolutionnaires qui y étaient
apparus. Les négociations entre le mouvement et l’appareil
administratif voient se collisionner deux modes de liaison entre les
êtres humains et le terrestre à la limite de l’incompatible : appartenance et appropriation, usage et propriété, coexistence
et aménagement. Pour l’autonomie en construction, la rencontre
avec le droit conventionnel et la nécessité de le prendre en
compte au vu du rapport de forces, a ouvert une séquence de transition
inédite. Comment faire de la normalisation, un nouvel épisode de
la bataille pour l’autonomie plutôt qu’une mise au pas ?
Comment parvenir à se défendre face au pouvoir territorial, en
utilisant et en infléchissant le droit ? Comment inscrire
l’obtention de jurisprudences favorables dans un mouvement de
résistance généralisée ?
Afin de transformer l’imaginaire défaitiste lié à la
légalisation irrémédiable des luttes, deux axes seront
travaillés.
Dans une perspective généalogique, qui puisera à la fois
dans l’histoire et dans l’anthropologie, il s’agira de
mieux comprendre l’articulation entre les normes d’un corps
collectif et son rapport à la terre.
Dans une perspective pragmatique, on cherchera à travers la recension
de diverses expériences à enrichir notre connaissance des usages
du droit dans les luttes, en particulier lors des séquences de
transition.
Programme provisoire
-
10 h 00 – Quentin Deluermoz (professeur
associé à l’Université Paris XIII) :
Les rapports au droit dans la Commune de Paris
- 14 h 00 – Isabelle Stengers (professeur de
philosophie à l’Université libre de Bruxelles) et Serge Gutwirth (professeur à la faculté de loi
et de criminologie de la Vrije Universiteit Brussel) :
Le droit à l’épreuve du retour des Commons
- 17 h 00 – Sarah Vanuxem, (maître de
conférences en droit privé à l’Université de
Nice-Côte d’Azur) [sous réserve] :
La propriété de la Terre
Entrée libre, gratuite, sans inscription,
dans la limite des places disponibles
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