L'atelier de philosophie,
qui a vocation à courir sur plusieurs années, veut fournir un cadre de rencontre, de réfléxion et d'instruction commune aussi
bien aux professeurs de philosophie du secondaire qu'aux étudiants et chercheurs de toutes disciplines qui pourraient être
intéressés par ses travaux.
Pour l'année 2016-2017, le thème de la mémoire a été retenu. Les travaux de l'atelier font varier les approches de cette notion à la fois complexe et centrale pour les questions du rapport entre l'esprit et le corps et pour l'abord des notions d'identité personnelle et collective.
Présentation de la séance
Que serions-nous sans nos souvenirs – ou plutôt, qui serions-nous sans nos souvenirs ? La mémoire est pour chacun particulièrement intime. Par le rapport affectif entretenu avec ses souvenirs et par leur singularité, tout homme est pour lui-même ce qu'il considère être un seul et même individu, à la fois le même malgré le passage du temps, à la fois différent d'autrui. L'amnésie ne prouve-t-elle pas, par l'absurde, toute l'importance de la mémoire dans la reconnaissance de soi, et l'amnésique n'est-il pas une autre personne que celle qu'il était auparavant ? Ainsi, parce qu'elle permet de rappeler le passé à la conscience présente et qu'elle garde le témoignage d'expériences uniques, la mémoire semble bien être une condition nécessaire de notre propre identité. C'est néanmoins cette conviction qu'il s'agira ici d'examiner de manière critique, à travers une relecture du texte fondateur de Locke sur « l'identité personnelle ». Distincte de l'identité substantielle, Locke montre que l'identité personnelle a pour unique critère la conscience, dont seul l'individu peut témoigner pour lui-même. Mais la mémoire n'est-elle pas ici déjà dans la conscience ? La continuité de notre conscience assure à chacun qu'il reste le même : mais en quel sens cela implique-t-il que la mémoire y joue un rôle décisif ? La reconnaissance et l'affirmation d'une identité pour soi passe-t-elle nécessairement par nos souvenirs ? Car ce que Pascal dit de l'imagination, on doit l'admettre aussi de la mémoire : « maîtresse d'erreur et de fausseté, et d'autant plus fourbe qu'elle ne trompe pas toujours », notre mémoire est certes sélective, faillible et changeante, rendant alors incertaine notre propre identité ; mais en retour, la capacité que nous avons à nous souvenir dépend également de notre certitude première d'être resté le même. La conception lockienne de l'identité personnelle ouvre des difficultés sur lesquelles il faudra ici revenir, mais elle pourrait également ne pas attribuer à la mémoire une prédominance si grande qu'on aurait pu le croire par une lecture trop rapide du texte.