16 juin 2010 - 10 h. - 18 h. - Centre Georges Chevrier
Journée d'étude : Pierre Broué, un historien engagé dans le siècle
Résumés des communications
Autour du Trotsky de Pierre
Broué :
quelle réception pour quelle postérité ?
En 1988, Pierre Broué fait paraître
ce qui apparaît comme son magnum opus,
sa biographie de référence consacrée à Léon Trotsky, la première du genre en
langue française depuis le travail d’Isaac Deutscher dans les années 1950. A
partir d’un corpus constitué d’une large sélection de critiques parues à l’époque
dans la presse nationale, quotidienne ou hebdomadaire, mais également dans la
presse régionale et militante, nous montrerons que si les jugements positifs
sur la qualité de ce travail et les lumières qu’il apporte sur certains épisodes
de la vie du révolutionnaire russe sont généralement unanimes, il n’en est pas
exactement de même en ce qui concerne l’engagement politique de Pierre Broué,
et plus précisément sa conception du travail de l’historien, avec en arrière
plan le contexte de réformes ayant cours en URSS et le changement de paradigme
quant à l’appréhension de l’histoire du communisme.
Jean-Guillaume Lanuque
Outsider ou pionnier, militant et universitaire. Pierre Broué historien dans les années 1960
De 1961 à 1971, Pierre Broué a publié aux Editions de Minuit les grands ouvrages qui l’ont fait reconnaître parmi les historiens et ont établi sa réputation. L’objet de cette communication est de revenir sur l’accueil qui a été réservé à ces publications, spécialement dans les revues dites “académiques”, ainsi que sur l’influence qu’elles ont pu exercer sur les jeunes générations des années 1960.
On s’interrogera aussi sur ce qu’elles nous apprennent sur les choix de l’historien, sa méthode et les filiations qu’il se reconnaissait.
Gilles Vergnon
Pierre
Broué, historien du trotyskysme
J'ai
travaillé étroitement avec Pierre Broué durant trois ans, de 1977 à 1980. Mon
témoignage portera essentiellement sur l'historien mais peu sur le militant, à
supposer qu'il soit possible de séparer ainsi ces deux facettes de son
activité. Pour ce faire, je dirai d'abord comment et dans quelles
circonstances, j'en suis venu à rencontrer Pierre Broué grâce à mon travail
d'historien. J'ai été en 1978 un des fondateurs de l'Institut Léon Trotsky,
j'ai été un des responsables des Cahiers
Léon Trotsky et jusqu'en 1980, j'ai collaboré avec Pierre Broué à la
publication des premiers tomes des Oeuvres de Léon Trotsky. Mon témoignage portera sur trois points. Tout d'abord, il est
indispensable de savoir d'où parle l'historien. Or si Pierre Broué fut un
historien, il fut également un
militant politique : cela me semble essentiel pour comprendre son oeuvre.
J'évoquerai ensuite le climat intellectuel des années 1970/1980 et ce que l'on
savait alors sur l'histoire du mouvement trotskyste ainsi que sur celle du
communisme international. Enfin dans une troisième partie, je tenterai de
dresser un bilan de ce que Pierre Broué a apporté à l'histoire du trotskysme et
plus généralement du communisme.
Michel Dreyfus
Pierre Broué et la discussion sur Cuba (1961- 1963)
Cette intervention portera sur le
rôle joué par Pierre Broué dans le débat sur la révolution cubaine en
1961-1963. Cette discussion se situe au sein du Comité international (CI),
regroupement d’organisations dissidentes de la IVe Internationale
trotskyste. A cette époque, les deux principales sections du CI, le SWP américain
et la SLL anglaise, portent un jugement bien différent sur le processus en
cours à Cuba. Le SWP soutient sans réserve le gouvernement de Fidel Castro. Au
contraire, la SLL assimile ce dernier à un régime bonapartiste et considère que
le capitalisme perdure à Cuba.
A partir du second semestre 1961, le groupe
Lambert, section française du CI, intervient dans ce débat. Il donne son avis
via trois textes rédigés par P. Broué. Cela nous amènera à évoquer la situation
du groupe Lambert à ce moment-là et en particulier la position importante que
P. Broué y occupe.
Puis, nous examinerons les trois
textes précités. Ils nous paraissent importants car P. Broué mêle certains
thèmes récurrents du courant lambertiste - la condamnation sans appel de la
bureaucratie russe, la primauté donnée aux prolétariats des pays occidentaux
par rapport à ceux des pays coloniaux ou semi-coloniaux, la fidélité au Programme
de transition… - avec des résultats de ses travaux historiques. Ainsi, il
illustre son propos avec les exemples de l’Espagne de 1936-1937 et de l’Allemagne
de 1918. Surtout, son expérience de chercheur lui fait adopter une démarche
plus nuancée et interrogative que les rédacteurs des textes de la SLL et du
SWP. A la différence de ces derniers, P. Broué considère que l’Histoire n’a
pas encore tranché le problème de la nature de l’état cubain. Celui-ci peut évoluer
vers la mise en place d’un état ouvrier ou restaurer le capitalisme.
Nous terminerons en examinant les
suites de la discussion dans le mouvement trotskyste ainsi que l’itinéraire
suivi par P. Broué les années suivantes.
Jean Hentzgen
La création de l’institut Léon Trostsky
Le propos de cette contribution n’est
pas de faire une histoire de l’Institut Léon Trotsky et des Cahiers Léon Trotsky qui reste à
entreprendre – et qui ne pourra se faire tant que les archives déposées à
la BDIC ne seront pas classées – mais de retracer les circonstances de
leur création. Projet collectif, l’ILT reposait en réalité essentiellement sur
la volonté et l’activité de Pierre Broué et l’occupera jusqu’à la fin de sa
vie. Effort gigantesque et réussi au regard des résultats même si l’édition des
œuvres complètes demeure inachevée. On insistera essentiellement sur les
premiers numéros de la revue qui lui tenait particulièrement à cœur et sur la
complémentarité entre celle-ci et les œuvres complètes. Cette communication ne
se veut pas seulement une approche historiographique mais aussi le témoignage
sur une collaboration et le travail d’une équipe. Témoignage avant tout sur les
méthodes de l’historien Pierre Broué mêlant avec puissance le travail d’archive
et l’enquête orale, restituant dans le récit et le document la profondeur et la
dimension véritablement humaine des acteurs. Une recherche passionnée qui pour
lui était une raison d’être comme historien et militant révolutionnaire, inséparable
de l’espoir en une société socialiste et démocratique.
Gérard Roche
Pierre Broué, historien de l’Union Soviétique
La majorité des ouvrages de Pierre
Broué portent sur l’histoire de l’URSS et , en dehors de l’ouvrage sur le Brésil de l’affaire Collor, les autres l’abordent
de façon plus ou moins directe : la Révolution allemande , l’Histoire de l’Internationale communiste La Révolution espagnole sont des éléments
constituants de cette histoire qui est donc au cœur de son travail.
En quoi a consisté son apport ?
Lorsqu’il publie en 1963 le Parti bolchevique, aujourd’hui inévitablement vieilli à la
suite de l’ouverture des archives, il porte un coup à une histoire façonnée par
l ‘héritage , certes ébranlé mais toujours dominateur, du stalinisme c’est-à-dire
l’imposture de la prétendue construction du socialisme dans un seul pays. Son
dernier ouvrage Communistes contre
Staline enrichit cet apport en décrivant l’histoire du combat de l’Opposition
de gauche à travers l’étude d’une série de destins individuels jusqu’alors
souvent mal voire pas connus.
Il ébranle un second pilier du
stalinisme dans La Révolution espagnole et Staline et la révolution en démontant
après Trotsky la mystification stalinienne qui réduisait, conformément aux intérêts
diplomatiques du Kremlin, la révolution
espagnole à un conflit purement politique entre république et fascisme c’est-à-dire
à un moment de l’antifascisme.
Il en ébranle un troisième dans son Histoire de l’Internationale communiste en étudiant dans le détail
le mécanisme monté de Moscou qui réduit
l’internationale à un simple instrument de manœuvre du Kremlin et débouche sur
sa liquidation.
Une faiblesse dans cette œuvre : Pierre Broué n‘a
guère creusé l’analyse sociale du stalinisme donnée par Trotsky dans la Révolution trahie ; il n’a en
particulier guère analysé le caractère « restaurationniste » croissant (c’est-à-dire de rétablissement de la propriété privée et d’ouverture au marché
mondial) de la bureaucratie dirigeante. C’est ce manque qui l’a amené dans un
ouvrage disparu de sa bibliographie( Moscou
, le putsch du 19 août 1991) à partager les illusions alors largement répandues
sur la perestroïka gorbatchevienne,dont la portée réelle lui a échappé comme à
beaucoup d’autres. Il en est ainsi arrivé à se demander si Eltsine serait un « Super-Gorbatchev
ou un Nouveau –Lénine »,comme si la bureaucratie arrivée au stade
ultime de sa décomposition pouvait engendrer autre chose qu’un destructeur de
la propriété d’Etat et de la planification centralisée.
Jean-Jacques Marie
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