In memoriam
Jean-Claude Farcy (1945-2020)
Jean-Claude Farcy est décédé le 2 août 2020. Nous ne l’avons appris qu’un
mois après. Il est mort aussi discrètement qu’il a vécu.
Normalien (ENS de Saint-Cloud) et agrégé d’histoire, il avait commencé
sa carrière comme professeur au lycée Marceau à Chartres, au coeur de cette
Beauce dont il était originaire (son père était ouvrier agricole) et où il
a toujours conservé son domicile, d’abord à Chartres même, à quelques
mètres du bâtiment des Archives départementales d’Eure-et-Loir, puis dans
sa petite maison de famille à La Bazoche-Gouet. Après quelques années
d’enseignement, il a rapidement été recruté au CNRS comme chargé de
recherche, rattaché d’abord à l’université Paris-10, puis à l’université de
Bourgogne dans le cadre du Centre Georges Chevrier. Il n’est jamais devenu
directeur de recherche : recalé une première fois, ce qui l’avait
profondément marqué, il n’a pas voulu présenter de nouveau sa candidature.
On peut pourtant penser qu’il l’aurait cette fois emporté. Quoi qu’il en
soit, il aurait mérité une reconnaissance universitaire éclatante, mais
si lui ont manqué les titres académiques les plus prestigieux, son œuvre,
elle, parle pour lui, et elle parle fort.
Jean-Claude Farcy laisse en effet une œuvre considérable : une douzaine de
recueils de documents (élaborés alors qu’il était responsable du service
éducatif des Archives départementales d’Eure-et-Loir, avant son recrutement
au CNRS), une centaine d’articles et de contributions à diverses
publications collectives, et une vingtaine d’ouvrages (dont plusieurs
publiés « en ligne »). D’abord passionné par l’histoire rurale du XIXe siècle, avec sa grande thèse sur les paysans beaucerons, il
s’est ensuite tourné vers l’histoire de la justice, où il a alterné la
publication d’instruments de recherche (notamment sur les sources
judiciaires, un ouvrage qui lui a valu le prix Malesherbes, décerné cette
fois-là judicieusement par l’Association pour l’histoire de la justice),
celle de documents (comme les discours de rentrée des magistrats) et
d’ouvrages de référence (sur la peine de mort, sur l’histoire de la
justice, etc.).
J’ai connu Jean-Claude Farcy à Chartres, il y a près d’un demi-siècle, et
je l’ai retrouvé un peu plus tard à Dijon, nos carrières ayant suivi
géographiquement des routes parallèles. Nous avons publié ensemble deux ou
trois livres et il a toujours participé activement aux colloques, consacrés
à divers aspects de l’histoire de la justice, que j’ai organisés pendant
près d’une trentaine d’année à l’université de Bourgogne. Je peux
témoigner, comme le feraient certainement tous ceux qui l’ont vu à l’œuvre,
de son extraordinaire puissance de travail (le côtoyer dans la salle de
lecture des Archives départementales d’Eure-et-Loir, accumulant les
archives et les notes, était une leçon d’humilité…), de sa compétence
extrême (qui oserait la mettre en doute ?), mais aussi de son extrême
gentillesse et de sa profonde modestie, des qualités plutôt rares chez les
chercheurs et les universitaires.
Comme l’avait affirmé Frédéric Chauvaud lors d’un colloque tenu il y a une
bonne vingtaine d’années à l’université de Poitiers, Jean-Claude Farcy
était « le meilleur d’entre nous ».
Benoît Garnot,
Professeur honoraire d’histoire moderne
à l’université de Bourgogne
C’est avec une immense tristesse que les membres du laboratoire LIR3S ont
appris la disparition récente de Jean-Claude Farcy.
Longtemps chargé de recherche au CNRS, rattaché au centre Georges Chevrier
de l'université de Bourgogne où il a mené
une partie de sa carrière, Jean-Claude Farcy a travaillé sur l’histoire
rurale et l’histoire de la justice à l'époque contemporaine et laisse une
œuvre personnelle riche et foisonnante, ainsi que de nombreux travaux
collectifs et outils mis au service de la communauté des chercheurs. Ses
recherches et bases de données ont nourri et alimentent encore et pour
longtemps les travaux des juristes, des historiens, des politistes et des
sociologues.
D’abord ruraliste, il avait soutenu en 1985 sa thèse d’État sur Les paysans
beaucerons : de la fin de l’Ancien Régime au lendemain de la Première
Guerre mondiale (thèse publiée en 1989 à Chartres par la Société
Archéologique d'Eure-et-Loir, 1989, 2 vol., 1 229 p.). Maurice Agulhon
considérait cette thèse immense comme « tout à fait comparable à ce qui
s'est fait de mieux depuis un quart de siècle dans la grande tradition des
thèses d’histoire sociale ». Au cœur de la démonstration minutieuse de
Jean-Claude Farcy se trouvaient les enjeux du capitalisme agraire et du
monde des ouvriers agricoles, des journaliers et domestiques. Il soulignait
avec force et vigueur comment ce prolétariat rural, qui n’avait pas acquis
une conscience de classe ni développé une conflictualité particulière, est
resté totalement dominé par des grands fermiers exploitants. Ces derniers
avaient mis en place un système de contrôle fondé essentiellement sur
l’octroi aux domestiques et ouvriers agricoles d’une partie de la terre,
comme exploitants indépendants… Jean-Claude Farcy a pu ainsi contribuer à
déconstruire le mythe ou le mirage de la petite exploitation, en permettant
de comprendre les mécanismes de la stabilité du système – même si la
propriété est passée de la noblesse à la bourgeoisie – bien après la
Première Guerre mondiale.
Marqué par ce monde souvent oublié de l’historiographie rurale, celui du
prolétariat agricole, Jean-Claude Farcy s’est intéressé aux migrations au
sein du monde rural et à la jeunesse. Citons entre autres, l’ouvrage qu’il
a codirigé avec Ronald Hubscher, La moisson des autres. Les
salariés agricoles aux XIXe-XXe siècles (actes du colloque international de
Royaumont, 13-14 novembre 1992, Rencontres à Royaumont, Paris, Éditions
Créaphis, 1996). Il s’agissait de faire connaître ces obscurs ou anonymes
en soulignant avec force l’existence de paysanneries plurielles et
diverses, loin de la vision agrarienne sur l’unité paysanne. L’apport de
l’histoire sociale et quantitative permettait aussi de comprendre que la
condition du salariat était souvent une condition « transitoire » : le
temps de la jeunesse ou d’une migration temporaire, voire d’un
remboursement de dette. Dès lors, ces travaux essentiels permettaient
d’envisager les logiques de mobilité sociale au sein des sociétés rurales.
Surtout dans cet ouvrage, Jean-Claude Farcy proposait une étude pionnière
sur les grèves, longtemps délaissées face à une histoire du prolétariat
urbain, des ouvriers agricoles en 1936-1937.
Par la suite, son travail s'est réorienté vers l’histoire de la justice et
du crime à l’époque contemporaine, d’abord sous la forme de la réalisation
d’instruments de recherches extrêmement précieux mis au service de la
communauté savante (Guide des archives judiciaires, Bibliographie de
l’histoire de la Justice, étude historiographique), mais aussi via des
publications de sources sur les discours de rentrée des magistrats aux deux
derniers siècles ou leurs rapports périodiques sous le Second Empire.
Il a publié de nombreux articles et ouvrages consacrés aux sources
judiciaires, au fonctionnement de la justice, à la délinquance juvénile et
à la criminalité parisienne, citons quelques-uns de ses livres les plus
marquants comme La Jeunesse rurale dans la France du XIXe siècle
(Christian, 2004), Meurtre au bocage. L’affaire Poirier, 1871-1874
(Société archéologique d’Eure-et-Loir, 2012) ou encore sa synthèse sur l'Histoire de la justice en France de 1789 à nos jours (La
Découverte, 2015).
Ses dernières années ont notamment été consacrées à la réalisation de bases
de données nominatives – mises en ligne sur le site du LIR3S – sur le
personnel judiciaire (Annuaire rétrospectif de la magistrature, XIXe-XXe siècles), ou sur les victimes des répressions politiques du XIXe siècle
(inculpés de juin 1848, poursuivis suite au coup d’État du 2 décembre 1851, et répression judiciaire de la Commune de Paris). Il venait d’achever pour
la Revue d’histoire du XIXe siècle un article consacré
à la base de données sur la répression judiciaire de la Commune de Paris,
immense travail (41 375 inculpés) qui permet d’entrer dans la logique de la
répression politique la plus massive de tout le XIXe siècle.
Historien passionné et passionnant, qui se mit largement au service des
autres contre toute velléité carriériste, Jean-Claude Farcy fut un
véritable savant, nourri par la curiosité et la volonté de comprendre. Nous
lui répétons nos plus sincères remerciements et adressons nos plus vives
condoléance à sa famille et à ses proches.
La liste de ses publications disponible ici est la version complétée de celle qu'il avait rédigée pour le site Criminocorpus, indispensable à tous les historiens qui croisent la justice et les peines. Membre du comité de rédaction, il en a été l’un des piliers,
en particulier en tant que rédacteur en chef entre 2011 et 2013 et maître
d’œuvre de plusieurs de ses bases de données.
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