Atelier de recherche
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Le populaire comme adjectif |
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Coordonné et animé par Vincent Chambarlhac
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Colloque : Collecter, lire, faire avec le populaire ?
7-8 décembre 2023 – uB – Amphithéâtre de la MSH de Dijon.
Accès/informations pratiques ici.

En clôture d’une recherche menée conjointement par le LIR3S
et le CHXIX sous forme d’ateliers et de journées
d’étude[1] et avec
la participation de l’Écomusée de la Bresse Bourguignonne,
cet appel à communication souhaite questionner ce que serait, dans le
domaine des SHS « Collecter le populaire ». Une
définition, en tension devant l’opération qu’est la
collecte, introduit cet appel.
Populaire
- Qui appartient au peuple, qui le caractérise; qui est répandu parmi le peuple
(Bonhomie, coutumes, crédulité, croyances, culture, génie, imagination, insouciance, instinct, légendes, mythes, opinion, passe-temps, préjugés, sagesse, tradition populaire(s) ; musée des arts et traditions populaires.)
- Qui est composé de gens du peuple; qui est fréquenté par le peuple
(Arrondissement, bal, bar, café, fête, restaurant populaire). En parlant d’un groupe : classes, masses, meetings populaires.
- Qui est accessible au peuple, qui est destiné au peuple.
Air, chanson, conte, drame, édition, éducation, imagerie, littérature, publication, université populaire.
C’est ainsi que cartographie le Centre national de ressources
textuelles et lexicales les principales acceptions d’un adjectif, populaire. L’adjectif, ou son substantif, semble toujours
aller de soi, se donne abruptement comme tel : ainsi d’expressions
comme
mondes populaires, fêtes populaires, arts et traditions
populaires, universités populaires, théâtre populaire,
bibliothèques populaires, émeutes populaires…
Cet inventaire borgesien, jamais fini plus qu’infini, comment
l’appréhender dans le monde des SHS ? Que désigne
l’épithète populaire, si ce n’est l’apposition
d’une forme de distinction, sinon de clôture à
l’intérieur d’un espace social et/ou politique,
intellectuel, plus vaste – au hasard, les bibliothèques, le
théâtre, l’histoire, l’art, le patrimoine, la
littérature…. Un espace qui n’est pas exactement celui
d’un autre exotique, mais bien plus celui de l’autre
d’une société, un espace socialement dénivelé[2]. Cet espace, l’analyste, le savant, le militant… l’arpentent,
informant ainsi par l’adjectif une distance parcourue. Populaire s’étreint toujours sous la forme de la
distance, s’entend dans un rapport construit et donné. On peut
l’entendre dans le lexique de la domination, au risque
d’écraser ce que ce qualificatif est pour l’essentiel, un mouvement. Un mouvement, une manière d’étreindre
un reste anthropologique et/ou littéraire, artistique, sociologique,
historique… quelque chose qui délimite, dit une tension.
Précisément, et c’est là le postulat de cet appel
à communication, la collecte, qu’elle soit programmée et
méthodique ou sauvage, pratiquée par les SHS au sens large, nous
semble pouvoir questionner les temps de ce mouvement, les moments de cette
mesure par l’objet, la photographie, le recueil de contes, de mots,
de traditions, de savoir-faire et de gestes…
L’interrogation du colloque se déploie sur quatre temps, pariant
sur la qualité de « faiseur d’embarras » de
l’adjectif ou du substantif [3] :
- Dans le moment de la collecte, dans le
choix des objets – matériels/immatériels –
s’informe l’adjectif populaire. Les récits, les carnets
d’enquête, les fonds photographiques… apparaissent comme
l’un des lieux où questionner ce qui se joue, soit l’art
d’une pensée du classement par le mouvement même de
collecte du populaire devant d’autres objets.
- La collecte implique ensuite la
collection et l’archivage par une autorité (scientifique,
institutionnelle, élitaire…) en surplomb qui instaure ainsi un
effet de hiérarchisation. La collection, dans ses processus
d’analyses, comme d’expositions dans l’horizon de
différentes institutions et/ou productions culturelles, donne à
voir des écritures du populaire. Ces écritures peuvent être
savantes, muséales, artistiques, littéraires… Elles
constituent dans l’après-coup des archives du populaire
à un moment donné de sa monstration. Un populaire qui
aurait « la beauté du mort », selon la formule de
Michel de Certeau[4], ou qui
serait supposé conserver une mémoire active (un reste) des
publics pris en charge par ces écritures et récits (ainsi, par
exemple des écomusées). Il s’agit ici d’interroger
tout autant la collection en tant que regard de la collecte, que les usages
et les discours qui enserrent une collection d’arts, de traditions,
etc., désignée comme populaire.
- Troisième temps du
questionnement, la revisite critique des opérations de collecte, comme
celles des RCP de l’Aubrac et du Chatillonnais conduites par le
Musée des ATP, ou le retour à nouveaux frais par
l’exposition, l’édition critique, de ces moments de
collecte qui n’échappent pas à la patrimonialisation et
à « l’effet musée » [5]. L’après-coup
demande également à être interrogé dans la manière
dont il informe, à nouveau, ou non, une acception située du
populaire, supposant comme dans les moments précédents
qu’il est autant l’expression d’un point de vue
situé que d’un mouvement vers le populaire. Ici, en écho
à Michel de Certeau, peut-on supposer que le mort saisit le vif ?
- Enfin dans un quatrième temps, il
s’agit d’interroger l’historicité de la
catégorie de populaire et des effets de ses
inflexions/substitutions/tensions vers/par/avec d’autres articulant,
comme elle, l’analytique et le politique, telle celles (en
autres) de subalternité et d’hégémonie [6]. Là le populaire,
auparavant souvent compris comme l’effet d’un cannibalisme
collectionneur qui détruit et réduit au silence son objet à
mesure qu'il le saisit, pourrait s’analyser comme la tentative
ou le geste même d’échapper, selon différentes
modalités, à une objectivation par les SHS. Populaire serait ici
soit une ressource permettant la constitution de sujets politiques
visant à la transformation d’un ordre social et politique ou
résistant aux effets de la modernité, soit pu simultanément
encore comme la possibilité d’un contre-espace où
s'actualiseraient des pratiques non-extractivistes des SHS avec lesquelles
il s’articulerait dans un « avec » et non un
« sur ».
[2]
Cf. l’introduction de Jacques Revel à Richard Hoggart en France, textes rassemblés par J.-C. Passeron, Paris, BPI/ Centre Georges Pompidou, 1999.
[3]
Dominique Julia, « Un faiseur d’embarras ?
», les historiens et les débats autour de la culture et
de la religion populaire (1960-1980), Archive des sciences sociales des religions, n°176,
octobre 2016.
[4]
Michel de Certeau, Dominique Julia et Jacques Revel, « La
Beauté du mort, le concept de culture populaire », Politique aujourd'hui, décembre 1970, p. 3-23
[5]
Dominique Poulot, dir., « L’effet musée,
Objets, pratiques et cultures », Histo.art,
n° 14, 2022.
[6]
Cf. Antonio Gramsci, Cahiers de prison, édition de R.
Paris, Gallimard, « NRF », Paris, 1978-1996,
5 vol. Et Gavraty Spivak,
Can the Subaltern Speak ?
in Cary Nelson and Larry Grossberg, eds. Marxism and the interpretation of Culture (1988).
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